II. Les modes de gestion des services publics
Toute activité de service public est prise en charge par une personne juridique. Si le principe veut que ce soit une personne publique qui assure cette mission, cette dernière peut aussi la confier à des personnes privées. Pendant longtemps, cette « délégation » a été mise en œuvre par un système de concession de service public, tel en matière de transport ferroviaire avec la première concession d’une ligne de chemin de fer par une ordonnance de Louis XVIII en février 1823.
Le développement de l’interventionnisme étatique, et donc de la prise en charge par les pouvoirs publics d’activités plus nombreuses et plus diversifiées, a conduit l’État et les collectivités locales à faire de plus en plus souvent appel aux personnes privées pour gérer ces activités, tout en leur imposant les contraintes du service public. Aujourd’hui, la gestion de service public par des personnes privées est ainsi devenue chose courante et peut se faire en dehors du système de la concession classique qui n’est plus qu’un mode parmi d’autres de gestion du service public par une personne privée.
Sauf pour quelques exceptions prévues par la loi, l’administration est libre de choisir le mode de gestion du service (CE, ass., 1932, ville de Castelnaudary), la collectivité publique disposant ici d’un pouvoir discrétionnaire. Le choix de la gestion déléguée à des personnes privées comporte des avantages (souplesse, compétences techniques de la personne privée, application au moins partielle du droit privé), mais aussi des risques (la personne privée n’est pas désintéressée et risque donc de sacrifier les exigences de l’intérêt général à ses intérêts financiers). Il y a un véritable choix politique derrière cela.
Il existe donc actuellement deux grands modes de gestion des services publics : la gestion directe par l’État ou une collectivité territoriale (A) et la gestion déléguée à une personne publique ou privée (B).
La gestion directe : la régie
Dès lors que le service public est directement géré par l’État ou une collectivité territoriale, on parle de gestion en régie. Il faut toutefois faire attention à ce terme de « régie », souvent employé dans des sens différents. Ainsi la Régie autonome des transports parisiens (RATP) ou la Régie des transports métropolitains de Marseille ne sont plus aujourd’hui des régies au sens où on l’entend ici mais des établissements publics (bénéficiant donc d’une délégation de service public).
Lorsqu’un service public est géré en régie, son fonctionnement est entièrement dépendant de la personne publique qui le gère. La plupart des activités de l’État relèvent de ce mode de gestion : c’est le cas de la justice, de la défense, de l’équipement, c’était le cas jusqu’à 1990 de la poste et des télécoms. Doivent être considérées comme des régies les formes traditionnelles de régies impliquant une unité de personnalité juridique (1), mais également les faux-tiers que sont les organismes transparents (2).
Les formes traditionnelles de régies
Il faut distinguer deux sortes de régies : la régie simple d’une part (a), la régie locale autonome d’autre part (b) ; toutes deux sont de véritables régies (elles n’ont donc pas la personnalité juridique) mais leur organisation diffère légèrement.
La régie simple ou directe
La régie directe est la forme traditionnelle de gestion des services publics administratifs. C’est d’ailleurs le mode de gestion obligatoire pour les grands monopoles régaliens de l’État (défense, fiscalité, police judiciaire…) et pour la police municipale, sauf lorsque la loi ou un texte réglementaire autorise une délégation (CE, Ass., 17 juin 1932, ville de Castelnaudary). La régie directe correspond donc à la prise en charge complète du service par l’État ou la collectivité territoriale, au travers de son propre budget, de ses personnels et de ses infrastructures. Le plus souvent, cette forme de régie ne correspond qu’à un simple guichet de l’administration, avec parfois un nom et un logo (par exemple la Documentation française). Le régime juridique de la régie simple est alors celui de la personne publique.
En revanche, la régie directe n’est pas possible lorsque la loi impose la gestion du service public en cause sous la forme d’un établissement public (comme par exemple pour les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, prévus aux articles L. 123-4 et suivants du Code de l’action sociale et des familles).
Au niveau local, les régies autonomes ou indirectes
Prévue par le Code général des collectivités territoriales, la régie autonome se distingue de la régie simple par son autonomie financière et de fonctionnement (L. 1412-1 et L. 1412-2 CGCT, complété par les articles L. 2221-11 à L. 2221-14 CGCT). Si elle ne dispose pas de la personnalité morale, elle comprend un budget propre, annexé à celui de la collectivité, et est administrée par un conseil d’exploitation, sous l’autorité directe de la collectivité. Sauf quelques rares exceptions pour des services déjà pris en charge avant 1926, la régie autonome est le régime obligatoire pour les SPIC que la collectivité souhaite gérer directement (L. 1412-1 CGCT).
« Faux tiers » et gestion directe
Le juge connait depuis longtemps la notion de personne privée transparente, ou d’ « association administrative » pour reprendre les mots de Jean-Paul Négrin. En 1987, le Conseil d’État avait reconnu que l’Association pour l’information municipale de la ville de Paris n’était en fait qu’une structure transparente, et que donc, les décisions de son président (le maire de Paris) devaient être qualifiées comme des décisions du maire en tant qu’autorité administrative (CE, 1987, Divier). En mars 2007, faisant le point sur cette question, le juge définit une telle association transparente comme celle « créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources » (CE, 2007, Commune de Boulogne-Billancourt).
Dès lors qu’une personne privée est reconnue comme transparente, le juge analysera son activité comme relevant d’une gestion directe par la collectivité la contrôlant. En ce sens, les actes unilatéraux de l’association seront requalifiés en actes administratifs (CE, 1987, Divier), les contrats pourront être requalifiés en contrats administratifs (TC, 1985, Laurent), les personnels seront considérés comme des agents publics contractuels (CAA Marseille, 2004, Mme Martin-Metenier), et la responsabilité engagée en cas de litige sera celle de la collectivité (CE Sect., 1964, Commune d’Arcueil).
Même si les idées sont proches, il ne faut ici pas confondre la notion d’association transparente avec celle de « quasi-régie », issue du droit de l’Union européenne et aujourd’hui codifiée aux articles L. 3211-1 à L. 3211-5 du Code de la commande publique (nous reviendrons sur la quasi-régie dans le chapitre sur les contrats administratifs). Tandis que la première s’intéresse à la question de savoir qui gère le service public (donc qui en est juridiquement responsable), la seconde ne vise qu’à l’identification des situations où une procédure ouverte et transparente de marché public ou de concession de service public n’est pas obligatoire. En droit de l’Union européenne, pour respecter le principe de libre concurrence, toute délégation d’un service d’intérêt économique général (SIEG) doit en effet passer par une procédure ouverte de mise en concurrence. Toutefois, cette procédure peut être écartée lorsque les deux acteurs de la délégation peuvent être considérés comme n’étant pas réellement des personnes juridiques distinctes, c’est-à-dire lorsqu’à la fois « la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services » et que le cocontractant « réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent » (CJCE, 1999, Teckal Srl). Au regard du droit de l’Union européenne, toute situation de personne transparente relèvera de la quasi-régie. Toutefois cette dernière catégorie est potentiellement plus large que celle de personne transparente, pouvant ainsi inclure d’autres entités juridiques ne répondant pas à la définition de la personne transparente.
La gestion déléguée
Pour l’État ou une collectivité territoriale, déléguer un service public c’est confier la gestion d’un service public dont on a la charge à un tiers, personne publique ou privée, avec un cahier des charges à respecter. Toute délégation de service public s’accompagne en effet d’obligations de service public à même de permettre le respect de l’intérêt général. Une telle habilitation du tiers à gérer un service public peut être unilatérale (1) ou contractuelle (2).
On peut se demander pourquoi l’administration fait appel à une entreprise privée pour la gestion de certains services. Il s’agit de recourir à une entreprise ayant les compétences techniques et les moyens financiers pour gérer le service. De son côté, l’entreprise n’a intérêt à conclure le contrat de délégation que dans la mesure où elle peut en attendre un bénéfice, en tirer un profit à partir du prix payé par les usagers. Le problème est évidemment d’éviter que le délégataire ne gère le service qu’à son seul profit en oubliant l’intérêt général, c’est ce qui explique les contraintes qui pèsent sur lui et le contrôle que la personne publique exerce sur la gestion. Pour l’usager, il peut être préférable de voir le service géré en régie dans la mesure où la personne publique ne recherche pas en principe le profit, le prix de la prestation doit donc logiquement être moins élevé que dans le cas de la concession, mais la compétence technique de la personne privée et son souci de rentabilité peuvent parfois permettre une meilleure gestion du service en évitant des gaspillages qui feraient renchérir le prix.
Dans tous les cas où une personne privée gère un service public, il faut d’abord qu’elle ait été habilitée par la personne publique qui a la maîtrise de ce service, sauf hypothèse rarissime envisagée par le Conseil d’État pour une activité de service public qui aurait été initialement crée par une personne privée (CE, 2007, ville d’Aix en Provence). Cette habilitation peut se faire soit par acte unilatéral (par la loi, par décret ou par décision d’une autorité décentralisée), soit par contrat, ce qui est le cas de loin le plus fréquent. Cette habilitation constitue le moyen de rattacher l’activité d’intérêt général à la personne publique, c’est grâce à elle que la personne privée va se voir dotée des moyens nécessaires à la gestion de l’activité dans l’intérêt général et que la personne publique va pouvoir contrôler l’activité de la personne privée gestionnaire.
La délégation unilatérale
La délégation unilatérale d’un service public n’est aujourd’hui pas la forme la plus courante de délégation (la délégation contractuelle étant le principe, voir CE, 2007, ville d’Aix-en-Provence), ni la plus explicite. Elle peut concerner des personnes publiques, créées dans le cadre de la procédure (a), ou plus rarement des personnes privées (b).
Délégation unilatérale à une personne publique
La délégation unilatérale d’un service public à une personne publique prend la forme de la création d’une personne morale de droit public à qui va être confiée la gestion d’un service public. L’objectif est alors de doter le service public d’une certaine autonomie organisationnelle, notamment par la mise en place d’organes propres de direction, d’un personnel et de moyens spécifiques. La personne publique dispose également d’une autonomie décisionnelle, ses décisions relevant de sa propre responsabilité, même si la collectivité de rattachement conserve un droit de regard et de contrôle. Une telle délégation peut prendre deux formes, longtemps considérées comme distinctes mais aujourd’hui reconnues comme similaires. Ce sont les établissements publics (i) et les régies personnalisées, dénommées établissements publics locaux depuis 2004 (ii).
Les établissements publics
Lorsque les pouvoirs publics souhaitent donner une plus grande autonomie à la gestion d’un service public tout en maintenant le choix d’une gestion par une personne publique, ils ont très souvent recours à un établissement public, c’est-à-dire à une personne publique spécialement créée pour gérer un service public.
Définition de l’établissement public
On peut ainsi définir l’établissement public comme une personne morale de droit public spécialisée dans la gestion d’un service public. On rencontre aujourd’hui cette forme de gestion dans de nombreux domaines, sont ainsi par exemple des établissements publics : l’Agence française de sécurité sanitaire, le musée du Louvre (comme de nombreux autres musées publics), l’Institut français, les universités et lycées, les offices de tourisme ou encore les centres hospitaliers et universitaires (CHU).
Un établissement public a normalement une compétence limitée au service public qui lui a été délégué (ce que l’on appelle le principe de spécialité). Toutefois, la jurisprudence admet une certaine souplesse pour la prise en charge d’activités annexes ne relevant pas de cette mission de service public, principalement pour les établissements en charge d’un service public industriel et commercial (CE, ass., 7 juillet 1994, avis, Principe de spécialité d’EDF-GDF).
Un établissement public dépend toujours de la collectivité de rattachement qui a la maîtrise du service public qui lui a été délégué, que ce soit l’État ou une collectivité territoriale (ce que l’on appelle le principe de rattachement). Il est donc soumis à son contrôle. C’est en général la collectivité à laquelle est rattaché l’établissement public qui le crée. Toutefois, elle ne peut le faire que dans le cadre des catégories d’établissements prévus par la loi, l’article 34 de la Constitution affirmant en effet que seul le législateur peut fixer les règles de création de catégories d’établissements publics. Selon le Conseil constitutionnel (CC, 25 juillet 1979, ANPE), entrent dans une même catégorie les établissements publics ayant un même rattachement territorial et une spécialité analogue, peu importe en revanche le caractère industriel et commercial ou administratif du service public qui leur est confié. Au niveau local, il arrive également que la création d’un établissement public relève de la loi (par exemple les centres communaux d’action sociale) ou du préfet (par exemple les offices de tourisme avant 2004).
En tant que personnes morales de droit public, les établissements publics disposent de plein droit de prérogatives de puissance publique afin de faire prévaloir l’intérêt général. Ils échappent également aux voies d’exécution de droit commun (saisie sur biens notamment).
Diversité des établissements publics
Il existe aujourd’hui de nombreuses catégories d’établissements publics, notamment les Etablissements publics locaux d’enseignement (EPLE), à caractère scientifique et technologique (EPST), de coopération environnementale (EPCE), de coopération intercommunale (EPCI), voire du culte pour les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin qui fonctionnent encore sous le régime du Concordat. D’autres ne portent même pas explicitement le nom d’établissements publics, tels les syndicats mixtes fermés (L. 5711-1 et s. CGCT) ou ouverts (L. 5721-1 et s. CGCT). Au-delà de ces catégories, le classement le plus important, c’est-à-dire entraînant le plus de conséquences juridiques, est celui qui est fait suivant la nature du service public délégué à l’établissement. En ce sens un établissement en charge d’un SPA sera appelé établissement public administratif (EPA) et un établissement en charge d’un SPIC sera appelé établissement public industriel et commercial (EPIC).
Ces distinctions ont des conséquences juridiques importantes en termes de :
- Régime juridique : le régime juridique des EPA relève presque exclusivement du droit public, tandis que celui des EPIC relève principalement du droit privé (nous reparlerons de cela plus en détails à la section suivante).
- Contrôle : le contrôle exercé sur l’établissement par la collectivité de référence est différent. La tutelle exercée sur l’EPA est proche d’un contrôle hiérarchique, et les contrôles financiers auxquels il est soumis sont particulièrement stricts (contrôle préalable systématique de tous les engagements de dépenses par un contrôleur financier) alors que le contrôle exercé sur l’EPIC relève en général d’un contrôle a posteriori effectué par un contrôleur d’État ou une mission de contrôle. Cependant, tous les établissements publics relèvent du contrôle de la Cour des comptes et de l’Inspection des finances.
Toutefois, dans la pratique, certains problèmes se posent dès lors que les textes établissant les établissements publics les qualifient parfois à l’opposé de la nature du service public qu’ils prennent en charge. On s’aperçoit ainsi que des établissements gérant une mission purement administrative sont parfois qualifiés d’EPIC de manière à soumettre cette activité à un régime de droit privé moins contraignant. Lorsque la qualification est législative, le juge ne peut que s’y soumettre (CE, 1971, Renard) ; en revanche, si la qualification résulte d’un acte réglementaire le juge peut requalifier l’établissement en cause. Ainsi, en 1968, alors que le pouvoir réglementaire avait créé le Fonds d’orientation et de régulation des marchés agricoles sous forme d’un EPIC, le Tribunal des conflits relève que sa mission est « purement administrative », c’est-à-dire un SPA (TC, 1968, société Distilleries bretonnes), impliquant une compétence du juge administratif. Cette situation correspond à ce que la doctrine a appelé les établissements publics à visage inversé : EPIC gérant un SPA, ou, plus rarement, EPA gérant un SPIC.
A côté de ces établissements à visage inversé, il faut mentionner le cas des établissements publics à double visage, c’est-à-dire gérant à la fois un SPA et un SPIC. Cela a été le cas de l’ancien Office national interprofessionnel des céréales, considéré par le juge comme un EPA gérant un SPA quand il organise le marché des céréales et un SPIC quand il achète, vend ou stocke les céréales (CE, 1985, Syndicat national des industriels de l’alimentation animale). Requalifié en EPIC par le législateur en 1986, il est fusionné au sein de l’Office national interprofessionnel des grandes cultures, un EPIC créé en 2006, lui-même fusionné au sein de l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer, un EPA créé en 2009. La situation est similaire pour l’Office nationale des forêts (ONF), créé sous forme d’EPIC par le législateur en 1966, mais gérant à la fois un SPA, la surveillance et la protection des forêts, et un SPIC, l’exploitation des ressources forestières (TC, 1993, Matisse). En cas de litige pour ces établissements à double visage, le Tribunal des conflits considère que la qualification de l’établissement public l’emporte pour désigner la juridiction compétente. Ainsi, le juge judiciaire est compétent pour les litiges concernant un EPIC, le juge soulignant toutefois que cela ne vaut pas pour « les activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissances publiques » (TC, 2004, Blanckeman et TC, 2011, Groupement forestier de Beaume-Haie).
En conclusion, soulignons que depuis quelques années on parle d’une crise de la notion d’EPIC résultant en partie de la transformation de nombre d’entre eux en sociétés commerciales au nom du respect de la libre concurrence. Il en a été ainsi par exemple d’EDF et GDF, créés sous forme d’EPIC en 1946 puis transformés en sociétés anonymes en 2004 ; ou de France Telecom et de La Poste, créés sous forme d’EPIC par scission des PTT en 1990 puis transformés en société anonyme, respectivement en 1996 et en 2010.
La régie personnalisée ou établissement public local
Créée par le décret-loi 55-579 du 20 mai 1955, la régie personnalisée est une « régie » dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière. En ce sens elle ne correspond pas à la définition de la régie. Longtemps considérée comme distincte de la notion d’établissement public, elle s’en rapproche pourtant par de nombreux aspects. Toute régie personnalisée est en effet « une personne morale de droit public spécialisée dans la gestion d’un service public » et répondant aux trois critères de l’établissement public : autonomie, spécialité et rattachement à une collectivité. En 2004, le législateur a toutefois éclairci les choses en qualifiant les régies personnalisées d’établissements publics locaux (L. 2221-10 CGCT, tel qu’issu de la loi 2004-809 du 13 août 2004). Tous ces éléments amènent donc à devoir considérer la régie personnalisée comme une forme de délégation unilatérale d’un service public à une personne morale de droit public créée pour l’occasion.
Tout comme pour les établissements publics au sens traditionnel du terme, une régie personnalisée peut se voir confier un service public administratif ou un service public industriel et commercial, et en cas de litige le juge fera les mêmes contrôles de qualification de l’activité que pour un établissement public.
Délégation unilatérale à une personne privée
La forme de la délégation unilatérale n’est pas réservée aux personnes publiques, et il arrive parfois qu’elle vise également une personne privée. Si le procédé est interdit pour tous les services d’intérêt économique général au sens du droit européen (puisqu’il faut une mise en concurrence obligatoire pour leur délégation), c’est un procédé souvent utilisé pour les services publics non marchands en matière culturelle et sportive. Leur gestion peut ainsi être confiée à une association loi de 1901. C’est d’ailleurs dans ce type de cas que le juge administratif a souvent été conduit à rechercher si la personne privée gérait ou non un service public dans la mesure où l’habilitation donnée à la personne privée par la personne publique n’était pas explicite sur ce point, voire n’existait que de manière implicite (simplement par un contrôle et un financement de l’association par la personne publique).
En la matière, on peut citer les fédérations sportives qui ont été reconnues par le juge comme gérant un service public (CE, 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, aujourd’hui prévu aux articles L. 131-8 et 9 du Code du sport) ou encore les ordres professionnels dont la nature juridique a longtemps été incertaine. En 1943, le Conseil d’État considère ainsi que « le législateur a entendu faire de l’organisation et du contrôle de l’exercice de la profession médicale un service public ; que, si le Conseil supérieur de l’Ordre des médecins ne constitue pas un établissement public, il concourt au fonctionnement du dit service » (CE, 1943, Bouguen). Si la doctrine a pendant longtemps considéré que cet arrêt ouvrait la porte à l’existence d’une nouvelle catégorie de personne publique, on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et que les ordres professionnels doivent être considérés comme des personnes privées chargées par la loi de la gestion d’un service public (CE, 7 décembre 1984, Centre d’études marines avancées).
Que penser en revanche des personnes privées qui prennent en charge de leur propre initiative une activité d’intérêt général ? Le Conseil d’État a depuis longtemps reconnu que la qualification d’une activité de service public était alors possible, si une personne publique disposait d’un contrôle étroit sur l’activité de cette association (CE, 1990, ville de Melun), un contrôle se manifestant par des indices à rechercher autour des conditions de création de la personne privée, des conditions de son organisation et de son fonctionnement et des obligations qui lui sont imposées pour la poursuite de l’intérêt général (CE, 22 fév. 2007, APREI). Dans ce cadre, faudrait-il qualifier la convention de subventionnement de la personne privée de délégation de service public ?
Pour le Conseil d’État, on ne peut ici parler de délégation d’un service public (CE, 6 avril 2007, Aix-en-Provence), mais d’une simple forme d’habilitation a posteriori de l’activité par la personne publique. En revanche, dès lors que l’activité en question est reconnue de service public, tout transfert de l’activité à une personne morale autre que la collectivité de référence devra alors faire l’objet d’une délégation en bonne et due forme.
La délégation contractuelle
La délégation contractuelle constitue le principe lorsqu’il s’agit de confier la gestion du service à une personne privée : dès lors que l’État ou une collectivité territoriale souhaite confier la gestion d’un service public dont elle a la compétence à un tiers, elle doit en principe passer par une délégation contractuelle de ce service public (CE, 6 avril 2007, Aix-en-Provence).
Relevant auparavant de l’ancien Code des marchés publics, du Code général des collectivités territoriales et de la jurisprudence, le régime de la délégation contractuelle a été profondément remanié depuis 2015, avec la transposition en droit interne de trois directives européennes du 26 février 2014 sur les marchés publics (2014/24/UE et 2014/25/UE) et les contrats de concession (2014/23/UE). Ces évolutions ont depuis été codifiées par l’ordonnance n°2018-1074 du 26 novembre 2018 qui a mis en place le Code de la commande publique (CCP), en vigueur depuis le 1er avril 2019.
Mettant de l’ordre dans l’ancien foisonnement des contrats de délégation, le CCP permet aujourd’hui de distinguer entre deux grandes catégories que sont les marchés publics et les contrats de concession, chacun de ces types de contrat peut aujourd’hui être utilisé pour déléguer la gestion d’un service public à un tiers (2). Nous verrons toutefois au chapitre sur les contrats administratifs que les marchés et contrat de concession n’ont pas pour seul objectif de permettre la délégation de services publics mais constituent des catégories bien plus larges.
Le code impose aussi un certain nombre de règles communes (a) à ces différentes délégations (b).
Les règles communes aux contrats de délégation de service public
Le choix par la personne publique de la personne à laquelle elle confie la gestion d’un service public est en principe un choix qui est fait intuitu personae, ce qui signifie que la personne publique devrait être libre de choisir qui elle veut comme délégataire ; elle doit avoir confiance dans la personne à laquelle elle confie la gestion du service.
Un service public peut être délégué tout autant à une petite association locale à but non lucratif qu’à une société anonyme à capitaux privés côtée en bourse, en passant par une société privée à capitaux public, une SPL (société publique locale dont la collectivité territoriale détient la totalité du capital), une SEM (société d’économie mixte)… Certains ont un but lucratif, d’autres non.
Face à cette diversité des possibles délégataires et de leurs objectifs, aux risques de favoritisme, voire de corruption dans la procédure de délégation et à la nécessité de toujours faire prévaloir l’intérêt général, le législateur a mis en place un ensemble de règles encadrant la liberté contractuelle des parties et le pouvoir discrétionnaire de la personne publique.
Sur la passation
Etre délégataire d’un service public peut représenter des bénéfices importants pour une société, l’on pense par exemples aux contrats de délégation de la gestion des autoroutes, à ceux de la gestion de l’eau ou encore aux contrats de gestion des transports publics.
Afin de limiter les risques de corruption et de ne pas non plus fausser le principe de libre concurrence imposé par le droit de l’Union européenne, le législateur a entrepris d’imposer des règles visant à assurer un minimum de transparence dans le choix qui est effectué.
Depuis les années 90 et plus encore depuis 2016, la liberté de choix du délégataire est ainsi restreinte par des textes qui imposent notamment de publier le projet détaillé de déléguer le SP, de mettre à disposition des entreprises intéressées par le projet un dossier complet et de mettre ces entreprises en concurrence. À défaut, les entreprises lésées pourraient saisir le juge administratif. Nous reviendrons sur ces règles au chapitre sur les contrats administratifs.
Sur le contenu du contrat
Le caractère public ou privé du délégataire ainsi que son but lucratif ou non sont des éléments qui présentent à la fois des avantages et des risques pour la réalisation du contrat.
Confier le service public à une entreprise aux capitaux uniquement privés permet une plus grande souplesse de fonctionnement et de capitaliser sur la compétence technique que possède l’entreprise. Mais le risque est que la personne privée cherche uniquement son intérêt (faire du profit dans la gestion de l’activité plutôt qu’assurer l’activité dans le souci d’assurer l’intérêt collectif) et en toute hympothèse, en cas de profit dans la gestion du seervice, celui-ci tombera dans un patrimoine privé et non dans un patrimoine public.
Par ailleurs, lorsque la gestion du service est déléguée par une petite collectivité locale à une très grosse entreprise, on peut craindre que la collectivité délégante n’ait pas vraiment les moyens de contrôler son délégataire et de lui imposer sa volonté.
Là encore, la liberté contractuelle de l’administration et de son cocontractant est encadrée afin que la personne publique ait toujours les moyens de faire prévaloir l’intérêt général. Aucune clause ne pourra ainsi aller à l’encontre des lois du service public sur lesquelles nous reviendrons plus loin, à savoir : le principe d’égalité, le principe de continuité et le principe de mutabilité.
Les différents types de délégation contractuelle
Il existe aujourd’hui deux grands types de contrats de délégation d’un service public : le contrat de concession (i) et le marché public (ii).
Les concessions de service public
La notion de contrat de concession a beaucoup évolué dans le temps. Si le régime juridique de ces contrats résultait en grande partie de la jurisprudence, cette notion a été revisitée par le législateur sous l’influence marquante du droit de l’Union européenne. C’est aujourd’hui dans le code de la commande publique (CCP) que l’on trouve définition et régime juridique de ces contrats dont certains seulement concernent la concession de SP.
Au sein de la catégorie générale des contrats de concession (L. 1121-1 CCP) figure la concession de service public (L. 1121-3 CCP), une sous-catégorie qui remplace notamment l’ancienne dénomination de « délégation de service public », même si l’on rencontre encore cette appellation pour les contrats de concession de services publics des collectivités territoriales et de leurs établissements (L. 1411-1 CGCT).
La concession de service public est un contrat visant à déléguer un service public à un « opérateur économique » public ou privé à qui est transféré le risque lié à l’exploitation du service, en contrepartie du droit de se rémunérer sur l’exploitation du service. Dans un service public concédé, le coût du service est pris en charge par le concessionnaire. Le deuxième alinéa de l’article L. 1121-1 CCP précise ainsi que le risque lié à la concession « implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable ».
Dans les contrats de la commande publique, c’est sur cet élément de risque économique pour le cocontractant que se fait la différence entre le marché public et la concession.
On comprend dès lors que la concession de service public ne peut donc véritablement concerner que les services marchands. Le concessionnaire est un opérateur économique intervenant sur un marché, soumis aux règles du marché et à la libre concurrence.
Suivant les termes de l’article L. 3114-7 du Code de la commande publique, si la durée du contrat de concessions est nécessairement limitée, elle est généralement assez longue du fait du volume d’investissements souvent liés à la gestion d’un SP. Elle est ainsi « déterminée par l’autorité concédante en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire, dans les conditions prévues par voie réglementaire ». Cette durée doit permettre l’amortissement économique des investissements financés par le cocontractant.
Ces contrats peuvent comprendre :
- soit la seule gestion d’un service public à partir des équipements déjà construits mis à diposition contre le paiement d’une redevance (anciens contrats d’affermage et de régie intéressée) ;
- soit la construction et/ou l’achat des éléments nécessaires à la gestion du service ainsi que la gestion du service (ancien contrat de concession).
Le paiement du concessionnaire résulte d’une rémunération versée :
- par les usagers (affermage, concession) ;
- par la personne publique concédante, en fonction des résultats d’exploitation (régie intéressée).
Les marchés publics de service (public)
Les marchés publics sont réglementés par le CCP. De manière générale, l’objectif de ces contrats est de permettre à la personne publique de répondre à ses besoins en travaux, en fourniture ou pour réaliser des prestations de services envers des tiers.
Dans ce dernier cas, il s’agit d’un marché de service public constituant donc un contrat de délégation de service public. La caractéristique du marché public est d’être conclu « en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent » (L. 1111-1 CCP). Le co-contractant ne subit aucun risque lié à l’exploitation du service, c’est le responsable du service qui continue à en supporter les risques.
Ce type de délégation est notamment utilisée en matière de transports publics, dès lors que des obligations de service public importantes sont présentes, s’agissant par exemple de desservir des zones peu rentables, ou pour maintenir une fréquence de bus plus importante que la fréquentation réelle.
Au sein des marchés publics existe également une sous-catégorie prévue à l’article L. 1112-1 CCP, à savoir les marchés de partenariat. Autrefois appelés « contrats de partenariat » (ordonnance du 17 juin 2004), ces marchés ont initialement permis à l’État de faire financer par des opérateurs privés la construction et l’entretien de bâtiments moyennant le versement d’un loyer, c’est ainsi par exemple que fut financée la construction de nouvelles prisons.
Les marchés de partenariat constituent une catégorie particulière de marché public par lequel la personne publique confie à un opérateur économique une mission globale comportant nécessairement le financement au moins partiel, et la construction de biens ou équipements nécessaires à un service public (ou plus largement aujourd’hui à l’exercice d’une mission d’intérêt général). La mission peut également inclure l’entretien ou l’exploitation des ouvrages et la gestion du SP (ou des prestations de SP). Dans ce dernier cas, on est alors en présence d’un contrat de délégation de service public. L’opérateur est ici rémunéré par la personne publique qui lui verse un loyer pendant la durée du contrat ; les risques sont partagés entre la personne publique et son cocontractant. Ces marchés sont étroitement réglementés par le Code de la commande publique.
On le voit, les modes de gestion des SP sont aujourd’hui très diversifiés et cette diversification contribue à rendre plus floue la frontière entre public et privé, notamment la distinction personne publique / personne privée. On peut en effet s’interroger sur la différence qui existe par exemple entre un EPIC et une société privée (dont le capital peut d’ailleurs être entièrement public) gérant un service public. Cette différence existe cependant et explique le choix que peut faire l’administration entre ces deux types de formules: le fonctionnement interne de l’EPIC relève en effet du droit public alors que celui de la personne privée relève purement du droit privé et nous allons voir que le droit applicable aux services publics diffère largement en fonction de la nature de l’organisme qui le gère.
Laisser un commentaire