Jamais le législateur ni le pouvoir réglementaire n’ont défini la notion de service public. Comme souvent en droit administratif, ce sont donc la jurisprudence et la doctrine qui ont forgé les éléments de cette définition. Or ces éléments ont logiquement varié en fonction de la conception que le pouvoir politique avait du rôle de l’administration. Aujourd’hui, le service public est une activité d’intérêt général assumée directement ou indirectement par une personne publique ; c’est une activité que les pouvoirs publics ont voulu soumettre à un régime spécifique. Nous retracerons ainsi cette évolution de la notion de service public (A) avant de préciser comment elle est aujourd’hui comprise et les conséquences qui s’y attachent (B).
La notion traditionnelle et son évolution
A la fin du XIXe siècle, la notion de service public est un élément homogène et central du droit administratif (1). Toutefois cette homogénéité va disparaitre à partir des années 1920 avec ce qui va être connu sous le nom de crise du service public (2).
L’unité initiale de la notion de service public
A la fin du XIXe siècle, un service public est une activité d’intérêt général prise en charge par une personne publique. Sa définition repose ainsi sur deux critères :
- Critère matériel : c’est le critère de l’activité, à savoir une activité d’intérêt général, c’est-à-dire, schématiquement, une activité visant la satisfaction d’un besoin de l’ensemble de la population (la distribution du courrier ou l’entretien des routes par exemple) ;
- Critère organique : c’est le critère de la personne en charge de l’activité, à savoir la gestion par une personne publique. Les personnes publiques sont justement supposées agir dans l’intérêt général, elles sont en charge de l’intérêt général.
Entendu ainsi, le service public est le critère de l’application du droit administratif, comme l’énonce le tribunal des conflits en 1873 (TC, 1873, Blanco). Dès lors que l’État prend en charge une activité d’intérêt général, alors le droit administratif s’applique, et avec lui la compétence du juge administratif.
Le Conseil d’État rappelle que cela vaut également pour les activités prises en charge par un département (CE, 1903, Terrier) ou par une commune (CE, 1910, Thérond). La décision Blanco explique pourquoi seul le droit administratif est applicable aux services publics : la personne publique est dans une situation différente de celle des personnes privées car elle doit agir dans l’intérêt général et pouvoir imposer ses volontés à tous pour faire prévaloir l’intérêt général, alors que les règles du code civil sont faites pour des personnes juridiquement égales qui agissent avant tout dans leur intérêt privé.
Ainsi définie, cette notion de service public est devenue la notion centrale du droit administratif au début du XXe siècle sous l’influence d’une partie de la doctrine de droit public, connue sous le nom d’école du service public ou encore école de Bordeaux. Son chef de file, Léon Duguit, professeur à la faculté de Bordeaux, considérait que le service public est la notion clé du droit administratif car il est le seul à pouvoir justifier l’autorité de l’État. L’État n’est en effet légitime que si son action vise l’intérêt général en développant notamment la solidarité sociale c’est-à-dire la solidarité entre les individus et entre les groupes, or le service public doit être précisément l’instrument du développement de cette solidarité, ce qui dans l’optique duguiste justifie le développement de l’interventionnisme. C’est en raison de cette finalité propre de l’action étatique que celui-ci doit être soumis à un droit spécial, le droit administratif.
Jusque-là, l’équation est simple : « service public = intérêt général + personne publique = droit administratif » (SP = IG + PP = DA).
Toutefois, malgré ce que pouvait laisser penser jusque-là la jurisprudence, le service public n’est pas le critère absolu d’application du droit administratif. La présence d’une activité de service public ne suffit plus et un contrat en lien avec cette activité peut être considéré de droit privé lorsqu’il en présente tous les aspects. C’est ce que juge le Tribunal des conflits en 1910 à propos du contrat passé entre la ville de Bernay et l’État pour le logement de militaires réservistes (TC, 1910, Compagnie d’assurance le Soleil). C’est ce que confirme deux années plus tard le Conseil d’État à propos du contrat passé entre la ville de Lille et la Société des granits porphyroïdes des Vosges relatif à la livraison de pavés pour refaire la voierie (CE, 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges).
C’est le début de ce qui sera appelé la « crise du service public ».
La crise de la notion de service public
A partir des années 1920 on va assister à la remise en cause de l’équation SP = IG + PP = DA. Initiée dès 1910 par le biais des contrats, cette remise en cause est alors générale et passe par deux étapes supplémentaires :
- En 1921 est remise en question l’idée que tout service public relève du droit administratif (1). Désormais « SP = IG + PP = DA OU Droit privé ».
- A partir de 1938, est remise en question l’idée que le service public est forcément une activité assurée ou assumée par une personne publique (2). Désormais « SP = IG + PP OU Personne privée ». L’équation de base ne semble plus du tout fonctionner, d’où la crise.
La dissociation partielle entre service public et droit administratif
Initiée en 1910 par le Tribunal des conflits pour un acte en lien avec un service public (TC, 1910, Compagnie d’assurance le Soleil), cette dissociation partielle entre service public et droit administratif prend un nouveau tournant avec la décision Bac d’Eloka de 1921 (TC, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain). Bien que la colonie de Côte d’Ivoire, qui était une personne publique, ait été en charge d’une activité de service public sous la forme d’un transport par bac, le Tribunal des conflits considère que cette activité relève du droit privé car elle est gérée comme le ferait un industriel ordinaire. Dès lors que la personne publique agit comme le ferait une personne privée, elle ne doit pas bénéficier des règles du droit administratif, dérogatoires du droit commun, mais être soumise à ces dernières.
À partir de 1921, il semble ainsi que l’on renonce à l’argument selon lequel l’obligation de servir l’intérêt général justifie le recours à un droit spécifique (le droit administratif) permettant à la personne publique gérant le service public d’imposer aux tiers le respect de cet intérêt général. La présence d’un service public n’est donc plus le critère suffisant du droit administratif.
Analysant cette décision, la doctrine développe une distinction entre deux types de services publics : les services publics administratifs (SPA) auxquels s’applique le droit administratif et les services publics industriels et commerciaux (SPIC) auxquels s’applique, majoritairement, le droit privé.
Cette expression de SPIC est reprise par le juge dès la fin de l’année 1921 (CE, 1921, Société générale d’armement, le juge parlant en l’espèce de « service public industriel »).
La dissociation partielle entre service public et personne publique
A l’origine sauf le cas particulier et rare à l’époque des concessions de service public (notamment pour les chemins de fer), un service public est une activité d’intérêt général gérée par une personne publique. Toutefois, les choses changent à partir du milieu du XXe siècle : juge et doctrine admettent que des personnes privées soient en charge de services publics en dehors de tout contrat de concession.
Ainsi en 1938, le Conseil d’État est saisi de la question de savoir si une législation applicable aux personnels des services publics l’est également pour les personnels d’une caisse primaire d’assurance sociale, un organisme de droit privé (CE ass., 1938, Caisse primaire Aide et Protection). Analysant l’activité de cette caisse, le Conseil d’État va juger que c’est une activité de service public même si sa gestion relève d’une personne privée. La loi en cause est alors applicable à ses personnels.
Face à cette jurisprudence, comment déterminer l’existence d’un service public dès lors que l’on ne peut plus se fier à la seule présence d’une activité d’intérêt général gérée par une personne publique (les critères matériel et organique) ou à l’existence d’un contrat de concession ? Faut-il parler de service public dès lors que l’on peut qualifier l’activité d’intérêt général, et donc se limiter au critère matériel ? Comment alors faire la distinction entre les activités publiques et les activités privées, entre l’application du droit public et l’application du droit privé ?
Après de nombreuses années de résolution des affaires au cas par cas, le Conseil d’État va développer en 1963 un faisceau d’indices pour définir dans quels cas une personne privée gère un service public et non pas une activité purement privée (CE, 1963, Narcy). C’est l’apparition de la définition moderne du service public.
Le service public aujourd’hui
Comme nous l’avons rappelé en introduction de ce chapitre, la notion même de service public n’est pas définie par le législateur. Au regard de la jurisprudence et des analyses de la doctrine, on peut aujourd’hui définir un service public comme une activité d’intérêt général assumée directement ou indirectement par une personne publique. Pour le dire autrement, c’est l’activité que les pouvoirs publics ont voulu soumettre à un régime juridique spécifique pour satisfaire l’intérêt général. Dès lors qu’elle est intimement liée à une notion floue et variable – l’intérêt général – la notion de service public ne peut qu’être elle-même floue et variable (1). C’est de plus une notion hétérogène puisqu’il faut distinguer entre deux catégories : les services publics administratifs (SPA) et ceux qualifiés d’industriels et commerciaux (SPIC) (2). C’est enfin une notion qui continue d’évoluer, notamment sous l’influence du droit de l’Union européenne (3).
Une notion floue, entre intérêt général et contrôle de la personne publique
De la définition initiale comme activité d’intérêt général gérée par une personne publique, la définition moderne du service public conserve en tout ou partie ces deux éléments. L’intérêt général reste la « pierre angulaire » du service public (Gaston Jèze) : sans intérêt général pas de service public (même pour les services publics industriels et commerciaux, l’identification d’une activité d’intérêt général reste le premier élément à vérifier). Dire que le service public est une activité d’intérêt général signifie à la fois que cette activité correspond à un besoin collectif et qu’elle doit être gérée en vue de satisfaire ce besoin (ce qui implique en général la détention d’un pouvoir de commandement), cela de manière à ce que l’intérêt général l’emporte sur les intérêts privés notamment sur ceux d’un possible gestionnaire privé de l’activité.
C’est pourquoi, derrière un service public, on trouve toujours la présence d’une personne publique, soit directement en le gérant (une activité d’intérêt général gérée par une personne publique reste qualifiée de service public), soit indirectement par une forme de contrôle de l’activité menée par la personne privée, visant à garantir la poursuite de l’intérêt général.
Toutefois, l’absence de définition législative de l’intérêt général et de qualification législative obligatoire des services publics amène parfois le juge à devoir jongler entre des critères de distinction afin de discerner le service public qui se cache potentiellement derrière le flou initial.
Dans certains cas, le législateur est clair, tel par exemple pour le service public du transport scolaire (L. 3111-7 du Code des transports) ou le service public hospitalier (L. 6112-3 du Code de la santé publique). Mais, en l’absence d’une qualification législative ou constitutionnelle expresse, le juge va devoir rechercher si l’intention des pouvoirs publics est de comprendre l’activité en cause comme une activité de service public.
Pour les personnes publiques, c’est assez simple dès lors que la qualification d’une activité comme étant d’intérêt général suffit à identifier un service public.
Mais lorsque l’activité en cause est gérée par une personne privée, les choses se compliquent un peu et impliquent un contrôle par le juge de différents critères.
Le juge administratif va ainsi s’appuyer sur les critères qu’il a développés par deux jurisprudences successives en 1963 (a) et 1990 (b), puis synthétisés dans un arrêt de 2007 (c).
L’introduction de critères d’identification par l’arrêt Narcy
En 1963 (CE, 1963, Narcy), en l’absence d’une qualification législative ou d’une concession de service public, le juge va considérer que l’activité gérée par une personne privée (en l’espèce le Centre technique des industries de la fonderie) est une activité de service public si trois critères sont réunis :
- L’intérêt général ;
- La personne privée est contrôlée par une personne publique ;
- La personne privée bénéficie de prérogatives de puissance publique pour gérer l’activité.
Quoique la notion d’intérêt général reste floue et fluctuante selon les époques et les idéologies, le premier critère est évidemment nécessaire, il n’y a pas de service public sans intérêt général.
Ensuite le juge s’intéresse à ce qui fait normalement l’action de l’État : la présence de la personne publique et les moyens exorbitants dont elle dispose pour mettre en avant l’intérêt général. Cette présence de la personne publique est manifestée par le contrôle qu’elle opère sur la personne privée. Sans la présence directe ou indirecte d’une personne publique, il n’y a donc pas de service public.
Enfin, le juge s’intéresse aux moyens mis en œuvre au service de l’activité. S’il peut qualifier des moyens propres aux personnes publiques, alors il assume que la personne publique a souhaité faire de l’activité de la personne privée une activité de service public. C’est tout l’enjeu des prérogatives de puissance publique (PPP). Normalement, seules les personnes publiques détiennent de telles prérogatives que l’on peut définir comme des moyens d’action exorbitants du droit commun, des pouvoirs que l’on ne trouve pas dans les rapports juridiques entre personnes privées. Ce sont les pouvoirs qui manifestent l’existence d’une relation juridiquement déséquilibrée : pouvoir de commandement, pouvoir d’opposition, pouvoir de résiliation unilatérale d’un engagement… Leur objectif est de permettre à la personne publique, et ici à la personne privée en charge du service, de faire prévaloir l’intérêt général.
Si on s’intéresse à l’arrêt Narcy :
- Sur l’intérêt général : le juge considère que l’objet de l’activité du centre qui est de promouvoir le progrès des techniques industrielles est bien un objet d’intérêt général ;
- Sur le contrôle de la puissance publique : le centre ne peut agir qu’en vertu d’un agrément délivré par une personne publique, un agrément qu’il peut se voir retirer, illustrant ici un contrôle de la personne publique ;
- Sur les prérogatives de puissance publique : le centre peut imposer aux membres de la profession le paiement de cotisations alors même qu’ils n’ont pas choisi d’adhérer au centre contrairement au cas des membres d’une association. Un tel pouvoir n’est pas à la disposition d’une personne privée.
Au regard de la présence de ces trois critères, le juge considère donc que le centre gère effectivement un service public.
L’évolution des critères par l’arrêt Ville de Melun
En 1990 (CE, 1990, ville de Melun), le Conseil d’État fait face à l’activité d’une association qu’un requérant lui demande de qualifier de service public du fait de l’intérêt général poursuivi par l’association et malgré l’absence de prérogatives de puissance publique. Le juge estime alors qu’en l’absence de telles prérogatives, une qualification de service public reste possible si l’on peut identifier un contrôle étroit de la personne publique sur la personne privée.
En l’espèce, l’association a été créée par la ville de Melun pour prendre en charge l’animation culturelle de la ville. Cette association est présidée par le maire de la ville, son budget est uniquement constitué des subventions que lui verse la ville. Face à la forte dépendance de l’association, ces éléments amènent à qualifier de contrôle étroit ce contrôle de la personne publique sur la personne privée. Toutefois, l’analyse du caractère étroit de ce contrôle est alors simplement factuelle, et il manque des critères objectifs pour le qualifier dans d’autres affaires. C’est ce à quoi répondra le Conseil d’État en 2007.
La synthèse des critères opérée dans l’arrêt APREI
En 2007 (CE, 2007, APREI), le juge administratif reprend dans un même considérant de principe les arrêts Narcy et Ville de Melun, et ajoute à l’interprétation de ce dernier des éléments objectifs de qualification du contrôle étroit d’une personne publique sur une personne privée. Il faut en ce sens s’intéresser à un faisceau d’indices dont la présence permet cette identification, à savoir :
- Les conditions de création de la personne privée ;
- Les conditions de son organisation et de son fonctionnement ;
- Les obligations imposées à la personne privée et notamment si des mesures sont prévues pour vérifier que la personne privée poursuit effectivement l’intérêt général.
Si l’on résume en un tableau la synthèse faite par l’arrêt APREI, cela donne ceci :

En matière de contrôle renforcé, le juge a été amené à appréhender la question des « personnes privées transparentes » où il faut alors parler de contrôle total ou absolu. Lorsque le juge constate que la personne privée, généralement une association, n’a aucune autonomie au regard de la personne publique qui exerce un contrôle sur elle, il requalifie l’activité en cause comme étant directement gérée par la personne publique (CE, 2007, commune d’Aix en Provence). De telles personnes privées sont parfois crées par des collectivités territoriales pour échapper aux contraintes du droit administratif, notamment en matière d’emploi et de budgets. La requalification par le juge permet de combattre ces tentatives.
Une notion hétérogène
Une fois une activité de service public identifiée se pose alors la question de la nature de cette activité : relève-t-elle d’une activité étatique « traditionnelle » ou d’une activité dite industrielle et commerciale ? Comme mentionné plus haut, en 1921 le Tribunal des conflits dissocie en partie le service public du droit administratif en considérant qu’une activité de service public peut être soumise au droit privé si elle est gérée comme le ferait un industriel ordinaire (TC, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain). Se pose dès lors la question des critères de distinction utiles pour identifier ces activités industrielles et commerciales relevant du droit privé et, incidemment, du juge judiciaire (a), ce qui ne se fait pas sans soulever certaines questions autour de la distinction (b).
L’identification de la nature du service public géré
Normalement, la nature de l’activité d’un service public résulte de la volonté de l’autorité qui a créé le service. Toute qualification législative comme SPA (service public administratif) ou SPIC (service public industriel et commercial) s’imposera aux juridictions, tandis que le juge pourra requalifier une désignation effectuée par le pouvoir réglementaire (TC, 1968, Société Distillerie bretonne). En l’absence d’une qualification législative, le juge partira d’une présomption de service public administratif, réfragable si certains critères sont remplis (i). Toutefois, une catégorie particulière d’activité se détache de cette approche, celle des services publics dits en réseaux (ii).
L’existence d’une présomption réfragable de service public administratif
L’identification d’un service public entraîne une présomption réfragable de service public administratif, donc soumis au droit administratif et relevant de la compétence du juge administratif en cas de litige. Cette présomption est indifférente au gestionnaire du service : elle s’applique même si l’activité est gérée par une personne privée.
Depuis un arrêt de 1956 (CE, 1956, USIA), le Conseil d’État fait appel à trois critères cumulatifs pour renverser cette présomption et qualifier l’activité en cause de service public industriel et commercial.
En l’espèce, un requérant contestait la légalité d’un décret qui supprimait un établissement public en affirmant que cette suppression ne relevait pas du pouvoir réglementaire mais du législateur. En effet, à l’époque, le pouvoir réglementaire était compétent pour supprimer un établissement public administratif (un EPA, c’est-à-dire un établissement public en charge d’un service public administratif), mais la suppression d’un établissement public industriel et commercial (un EPIC) relevait de la compétence du seul législateur. La question était alors de savoir si l’établissement en cause dans cette affaire gérait un service public administratif (SPA) ou un service public industriel et commercial (SPIC). S’appuyant sur les critères qu’il dégage alors, le Conseil d’État considère l’activité comme un service public administratif.
Partant de la présomption d’existence d’un service public administratif, le juge cherche à savoir si l’on peut renverser cette présomption en mettant en évidence une ressemblance de l’activité en cause avec celle d’un industriel ordinaire au regard de trois critères :
- L’objet de l’activité : si l’activité consiste à produire des biens ou vendre des biens ou des prestations, alors c’est un indice de SPIC. Pour un SPA, l’activité consiste à appliquer ou faire appliquer une réglementation ou une politique publique. Par exemple, participer à la mise en œuvre d’une politique agricole est une activité de SPA (TC, 1990, CNASEA). ATTENTION : il ne s’agit pas ici de savoir si l’activité est d’intérêt général ou non. Dès lors que c’est un service public, l’activité est forcément une activité d’intérêt général ;
- L’origine des ressources : si le service public fonctionne par un système de redevances (à savoir un prix payé par les bénéficiaires du service) alors, l’activité tend vers le SPIC. En revanche, si les ressources du service proviennent de subventions, taxes, impôts… ces ressources ne sont pas celles d’un industriel ordinaire, et c’est donc un SPA. Dès lors que le service est gratuit pour les usagers, il sera difficile d’y trouver une activité de SPIC, puisque les ressources proviendront alors forcément de taxes, impôts et subventions. Par exemple, la question s’est posée à propos des services d’enlèvement des ordures ménagères (CE, 1992, avis, SARL Hofmiller). Le Conseil d’État a souligné que dès lors que la rémunération du service provient d’une taxe payée par le contribuable local, ce ne peut être qu’un SPA. Seul un prix payé par chacun des usagers, au regard de son usage du service d’enlèvement des ordures, pourrait tendre vers un SPIC.
- Les modalités de fonctionnement : si par son fonctionnement l’activité ressemble à celle d’une personne privée (application du droit privé, passation de contrats de droit privé, personnels de droit privé…) alors on tend vers un SPIC. En revanche, lorsque par exemple la ville de Cannes exploite directement le palais des festivals, en mettant à disposition des personnels et des biens, le fonctionnement n’est pas « ordinaire » et implique donc une qualification de SPA (TC, 1988, Ponce).
Les trois critères doivent en principe tendre vers le SPIC pour que la présomption soit renversée. Dès que le juge constate que l’un des critères relève d’un SPA, il peut donc arrêter son examen de l’identification de la nature du service et le qualifier de SPA.
Cette qualification de la nature du service peut en revanche évoluer avec le temps si évoluent les conditions de financement et d’organisation d’une activité dont l’objet est industriel et commercial. Ainsi, le ramassage et la distribution du courrier – une activité jugée commerciale effectuée à l’origine uniquement par la Poste sous forme de SPA – est devenu un SPIC dès lors que le fonctionnement et le financement de cette activité se sont rapprochés de ceux d’une entreprise privée sur un marché concurrentiel.
Normalement, les services publics dont l’objet de l’activité est administratif ne peuvent devenir des SPIC, cet objet restant administratif. Toutefois, cette qualification de l’objet de l’activité n’est pas toujours évidente, elle peut en outre évoluer suivant le courant politique aux affaires. L’enseignement ou la santé sont-elles des activités administratives malgré l’existence parallèle d’un marché en ces domaines ? Pour le moment, la France continue de les qualifier comme telles, mais il n’est pas certain que les choses restent en l’état.
Le cas particulier des services publics en réseau
A cette approche qui ne voit la présomption de SPA renversée que par l’effet cumulatif des trois critères d’USIA, le juge des conflits va apporter une exception en 2005 (TC, 2005, Alberti-Scott). Sous l’influence du droit de l’Union européenne, les services publics dont l’activité est mise en œuvre à travers un maillage physique territorial – dit en réseau (télécommunications, électricité, eau, gaz, chemin de fer, courrier…) – sont considérée par le Tribunal des conflits comme des activités de SPIC de par leur objet. Dans l’affaire Alberti-Scott qui touchait au service de distribution d’eau, les deux autres critères ne correspondaient pas ainsi à une activité d’un industriel ordinaire, et la présomption de SPA n’aurait donc pas dû être renversée.
Comme souligné au paragraphe 3 ci-après, cette évolution résulte d’une application de la législation européenne qui oblige à considérer l’ouverture à la concurrence de tous ces services dits en réseau. Or la qualification de SPA permet de maintenir en droit français des avantages concurrentiels au profit du gestionnaire du service, avantages qui seraient contraires à une approche concurrentielle équitable au sens du droit européen.
Peu de temps après cette décision du tribunal des conflits, le législateur va d’ailleurs explicitement qualifier les services d’eau et d’assainissement de SPIC.
Les questions soulevées par la distinction SPA/SPIC
La notion de SPIC est assez paradoxale : nous sommes face à un service public, donc une activité d’intérêt général, conduite comme le ferait un industriel ordinaire, donc comme le ferait une personne qui poursuit un intérêt privé. Comment maintenir alors la poursuite de l’intérêt général ? C’est en ce sens qu’il faut comprendre qu’une activité de SPIC n’est pas exactement la même chose que l’activité d’un industriel ordinaire, qu’une activité privée, puisque cette dernière ne poursuit pas l’intérêt général, au contraire du gestionnaire du SPIC.
La difficulté est d’autant plus importante que de plus en plus d’entreprises privées fonctionnent notamment, voire principalement, à partir de fonds publics, de subventions… Les rapprochant d’un financement public, donc d’un SPA. À l’inverse, la culture d’entreprise ayant pénétré le service public, il est aujourd’hui considéré comme normal qu’un SPA puisse aussi être rentable et adopte des méthodes de management proches de celles des sociétés commerciales.
Malgré ce flou, les conséquences de la qualification restent pourtant essentielles dès lors que le régime juridique applicable n’est pas le même, notamment pour les usagers et les personnels du service public (cf. la section 3 de ce chapitre).
Une notion affectée par le droit de l’Union européenne
Dès lors que l’on s’intéresse à la distinction entre les activités d’intérêt général et les activités privées, et au sein des premières entre les activités administratives et les activités industrielles et commerciales, il est difficile de ne pas tomber sur les questions de marché et de libre concurrence. C’est l’un des enjeux fondamentaux dans la définition des limites à l’action des États.
Dans ce cadre, il est alors impossible de ne pas faire référence à l’Union européenne, dès lors que son objet premier fut l’instauration d’un marché commun et d’une libre concurrence au sein des États membres. Initialement, dans les traités institutifs des communautés européennes, aucune mention n’était faite des services publics mais les choses ont aujourd’hui évolué. La logique de marché européenne (a) a un impact direct sur la distinction française entre les SPA et les SPIC (b) et cette évolution présente certains risques auxquels ont été apporté des correctifs (c).
La logique européenne de marché
La logique de l’Union européenne est celle de la libre concurrence entre les entreprises. Or le droit européen a sa propre définition de la notion d’entreprise (i). Cette qualification n’empêche pas complètement la possibilité d’aides publiques dès lors qu’existe une mission d’intérêt général (ii), amenant l’Union européenne à distinguer au sein des services d’intérêt général entre ceux qui sont économiques et ceux qui ne le sont pas (iii).
La notion d’entreprise
Depuis l’arrêt Höfner rendu le 23 avril 1991, la Cour de Justice a adopté une conception fonctionnelle et extensive de la notion d’ « entreprise ». Elle fonde ainsi son approche sur le critère de l’activité économique : toute entité exerçant une activité économique (à savoir la production et la commercialisation de biens et/ou de services) est considérée comme une entreprise au sens du droit de l’Union, et ce quel que soit son statut juridique ou son mode de financement (incluant donc potentiellement certaines personnes publiques dans la définition). Selon cette jurisprudence de la Cour, seuls les organismes qui remplissent une fonction exclusivement sociale, fondée sur le principe de solidarité et dépourvue de tout but lucratif ne sont donc pas des « entreprises ».
Cette interprétation de la notion d’entreprise est importante dès lors qu’elle implique l’application du droit européen de la concurrence aux activités en cause. En France, face à la prise en charge de certaines de ces activités par des services publics, tant les prérogatives de puissance publique que les possibles subventions dont elles peuvent bénéficier sont autant de facteurs de distorsion de la concurrence en violation potentielle du droit de l’Union. Sous la pression de certains États membres, dont la France, la Cour de justice de l’Union va être amenée à gérer cette question délicate de la frontière entre les services publics et les autres services.
Les aides autorisées pour les missions d’intérêt général des « entreprises »
Dès lors qu’une personne publique ou une personne privée prend en charge une mission d’intérêt général qualifiable d’ « économique » au sens européen, elle bénéficie (ou peut bénéficier) de conditions spécifiques d’action et de financement pour faire prévaloir l’intérêt général. Toutefois, dans un système européen où la libre concurrence est la règle, de telles pratiques sont autant d’entorses au principe énoncé. La jurisprudence de la Cour de justice va alors contribuer à baliser la conception européenne du service public, et en particulier les situations dans lesquelles le droit de la concurrence cesse de s’appliquer. Trois arrêts sont fondamentaux dans cette évolution :
- Arrêt Corbeau (CJCE, 1993, Paul Corbeau) : dans cette affaire, la Cour valide la possibilité pour un État de fournir à une entreprise des compensations financières pour qu’elle puisse assurer une mission de service public ;
- Arrêt Commune d’Almelo (CJCE, 1994, Commune d’Almelo et autres contre NV Energiebedrijf Ijsselmij) : la Cour autorise des restrictions à la concurrence tant qu’elles sont nécessaires à l’accomplissement d’une activité de service public ;
- Arrêt Altmark (CJCE, 2003, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg contre Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH) : la Cour précise ici les conditions selon lesquelles une aide à un service public est autorisée. Selon la Cour, les compensations apportées par un État à une entreprise pour l’accomplissement d’une mission de service public sont compatibles avec le droit européen si et seulement si :
- L’entreprise bénéficiaire a été clairement chargée de l’exécution d’obligations de service public qui sont elles-mêmes clairement définies ;
- Cette compensation est calculée sur des paramètres objectifs et transparents ;
- Cette compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l’accomplissement des obligations de service public, en incluant un « bénéfice raisonnable » ;
- S’il n’y a pas eu de marché public, le niveau de la compensation doit être calculé sur la base d’une analyse des coûts en prenant comme référence une « entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée ».
Dans ces cas, on va parler de SIEG, les services d’intérêt économique général.
L’apparition des Services d’intérêt économique général (SIEG)
Parmi les entreprises au sens européen (qui peuvent comprendre des activités menées par des personnes publiques), il faut dès lors distinguer celles qui sont ou non chargées d’un « service d’intérêt économique général » (SIEG). Ces services sont ceux qui, malgré leur nature économique au sens européen, sont soumis à des obligations de service public dans le cadre d’une mission particulière d’intérêt général. Les SIEG recouvrent un large spectre d’activités : santé, logement social, entreprises déployant des réseaux (eau, assainissement…), culture… Le concept s’est initialement construit en droit de l’Union en négatif ou en creux, c’est-à-dire comme une exception ou une dérogation à l’application du droit de la concurrence.
Après l’introduction de l’article 14 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) concernant les SIEG, par le Traité d’Amsterdam en 1997, le Traité de Lisbonne introduit au sein du droit primaire de l’Union la notion de service d’intérêt général (SIG), que le protocole 26 aux Traités distingue entre deux catégories séparées : les services d’intérêt économique général (SIEG) et les services d’intérêt général non-économique (SIGNE ou parfois notés SINEG). Pour ces derniers, les États disposent d’une compétence exclusive, tandis que pour les premiers le protocole parle d’un « large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales », reprenant ici une jurisprudence de la Cour de justice (CJUE, TPI, 2005, Fred Olsen). Selon l’article 106 TFUE, les SIEG sont soumis au droit de la concurrence « dans les limites où ces règles ne font pas obstacle à l’accomplissement de ces missions d’intérêt général ».
Dans les secteurs qui ont été harmonisés au niveau de l’Union – par exemple, les télécommunications, les postes et l’énergie – et où des objectifs d’intérêt général ont déjà été pris en compte par l’Union, le pouvoir d’appréciation des États membres ne peut pas être contraire aux règles de cette harmonisation. Dans tous les cas, ce pouvoir d’appréciation des États membres est toujours exercé sous réserve d’un contrôle visant à vérifier qu’ils n’ont pas commis d’erreur manifeste (CJUE, TPI, 2005, Fred Olsen).
Apparaît enfin, une dernière catégorie à cheval sur les deux précédentes (SIEG et SINEG), ce sont les Services sociaux d’intérêt général (SSIG). En 2006, la Commission (Commission, 2006, COM(2006)177) a identifié, au-delà des services de santé proprement dits, deux grands groupes de SSIG :
- « Les régimes légaux et les régimes complémentaires de protection sociale, sous leurs diverses formes d’organisation (mutualistes ou professionnelles), couvrant les risques fondamentaux de la vie, tels que ceux liés à la santé, la vieillesse, les accidents du travail, le chômage, la retraite, le handicap » ;
- « Les autres services essentiels prestés directement à la personne. Ces services jouant un rôle de prévention et de cohésion sociale, ils apportent une aide personnalisée pour faciliter l’inclusion des personnes dans la société et garantir l’accomplissement de leurs droits fondamentaux ».
Ils relèvent alors d’un statut à mi-chemin. La spécificité des SSIG n’étant pas reconnue par le droit primaire ou dérivé, c’est la Cour de Justice qui règle aujourd’hui les contentieux au cas par cas. La reconnaissance d’un SSIG permet alors certaines dérogations, notamment en matière de financement.
Impact sur le droit français et sur la distinction SPA/SPIC
Ouverture à la concurrence
Le premier impact du droit européen va être d’obliger l’ouverture à la concurrence de toute une série de services publics notamment ceux qui sont fournis en réseau (transport, électricité, gaz, eau, communications, courrier…). En France, tous ces services étaient auparavant exercés sous le régime du monopole étatique parce que l’on considérait que c’était le meilleur moyen d’assurer un service de même qualité sur l’ensemble du territoire. Avec l’Union européenne, le marché devient le principe et le monopole d’État l’exception.
Tous ces services à objet économique doivent se soumettre à la libre concurrence et cette transformation va impliquer la suppression progressive des monopoles étatiques. Toutefois, dès lors que l’activité est ouverte à la concurrence (possibilité pour les entreprises privées de prendre en charge ces activités), toute entreprise publique qui gère à la fois une partie de l’activité et le réseau risquerait de fausser la concurrence. Par exemple, si la même entreprise publique fournit à la fois un service de téléphonie, en concurrence avec d’autres entreprises privées, et gère à elle seule le réseau de distribution, il pourrait y avoir une présomption qu’elle ne va pas faciliter les conditions d’accès au réseau pour les entreprises privées concurrentes.
C’est pourquoi deux correctifs vont être mis en œuvre par les États, dont l’État français :
- Dissocier la gestion du réseau et la gestion de l’activité. Pour l’activité ferroviaire, une telle distinction va avoir lieu entre Réseau ferré de France (RFF) qui gère les rails (devenu l’EPIC SNCF Réseau en janvier 2015, puis la société anonyme du même nom en 2020) et la SNCF qui gère les trains (devenue l’EPIC SNCF mobilité en 2015, puis la société anonyme SNCF Voyageurs en 2019) ;
- Mettre en place des autorités indépendantes de surveillance (en France des Autorités publiques indépendantes ou des autorités administratives indépendantes) qui ont pour rôle de vérifier le respect de la concurrence et de vérifier que les réseaux sont gérés de manière à ne pas fausser la concurrence.
Transformation de certains SPA en SPIC
En France, dans les SPA traditionnels il n’est pas rare de trouver des services publics à objet économique. On se souvient en effet qu’au sein des trois critères cumulatifs de la jurisprudence USIA, l’objet de l’activité n’est que l’un des critères pour renverser la présomption de SPA.
Sous la pression du droit européen, les pouvoirs publics vont avoir tendance à considérer que dès lors qu’un service public a un objet économique, il correspond à une activité qui doit être ouverte à la concurrence. De ce fait, les SPA à objet économique vont être transformés au fur et à mesure en SPIC. C’est le cas par exemple de l’activité de distribution du courrier, qualifiée de SPA en 1968 (TC, 1968, consorts Ursot), transformée par le législateur en SPIC en 1990 (Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom) ou de celle de la distribution d’eau et d’assainissement, qualifiée de SPIC par le Tribunal des conflits en 2005, puis par le législateur en 2006 (Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques).
Au regard de cette évolution, la part des SPA tend à diminuer au profit des SPIC, avec à terme un risque de remise en cause de la jurisprudence USIA dès lors que l’activité est considérée comme économique (et donc qualifiable d’entreprise au sens européen).
Le risque d’une privatisation des profits et d’une collectivisation des pertes
Le premier et principal risque de l’ouverture à la concurrence des services publics est celui de la privatisation des profits et de la collectivisation des pertes. Pour une entreprise intervenant sur un marché où est présent le titulaire d’un SPIC, il n’y a aucun intérêt à investir dans les zones territoriales et domaines non rentables, elle cherchera plutôt à concentrer son activité sur ceux qui le sont. Face à cela, le titulaire du SPIC doit, en vertu du principe d’égalité devant les services publics, permettre l’accès à tous à ce service. Un tel accès à un coût qu’il doit répartir sur l’ensemble de ses activités, étant alors moins performant économiquement qu’une entreprise privée n’agissant que sur les domaines rentables.
C’est alors à la collectivité publique de prendre en charge les pertes liées à l’exercice du SPIC sans pouvoir en compenser au moins une partie par les profits des activités rentables. Par exemple, en matière de distribution du courrier, l’ouverture à la concurrence permet à des entreprises privées de se concentrer sur des zones à forte démographie (zones rentables, car permettant des économies d’échelles importantes) et de ne pas investir pour la distribution dans des villages éloignés (zones peu rentables). En revanche, la Poste doit distribuer de manière équitable et au même coût le courrier et les colis sur l’ensemble du territoire. Cette contrainte de service public l’empêche de proposer des tarifs concurrentiels sur les zones urbaines, et elle ne peut donc compenser les pertes liées aux zones peu densément peuplées par ces profits potentiels. Avant l’ouverture à la concurrence, l’entreprise pouvait compenser le coût de cette distribution par les profits qu’elle pouvait réaliser dans les autres parties de son service.
Au final, ce sont donc les entreprises privées qui réalisent des profits, et la collectivité qui supporte les pertes d’un service public accessible à tous.
D’où un correctif principal, la mise en place du service universel. C’est une notion développée aux États-Unis en matière de téléphonie. Elle apparaît en Europe pour la première fois en 1992 dans le livre vert de la Commission européenne sur le développement du marché unique des services postaux.
Le service universel a été défini par la Communication de la Commission européenne de 2000 comme « un ensemble minimal de services d’une qualité donnée auquel tous les utilisateurs et les consommateurs ont accès compte tenu de circonstances nationales spécifiques, à un prix abordable ». Son accomplissement justifie des dérogations au principe de libre concurrence par l’octroi de moyens exorbitants (notamment obliger les acteurs du marché à financer un fonds qui servira à le prendre en charge) ou d’aides publiques (cette approche relevant d’une collectivisation des pertes). On retrouve en Europe ce service universel en matière d’électricité ou de télécommunications (un accès minimum de tous à un service de téléphonie fixe à prix abordable, permettant l’accès à internet). Il est financé par l’ensemble des opérateurs par l’intermédiaire d’un fonds de compensation destiné à supporter les charges de service public.
Cette idée de service universel reprend en partie les enjeux des services publics à la française : il n’y a service universel que si est mise en place une égalité de traitement et une continuité du service. Toutefois elle en inverse l’approche : le marché devient le principe, le service universel un simple correctif.
L’ouverture à la concurrence et la logique libérale ont entraîné une privatisation à plusieurs niveaux : privatisation juridique des entreprises gérant les activités de service public (des établissements publics sont transformés en sociétés anonymes donc en personnes privées dont le fonctionnement relève du droit privé…) ; privatisation économique avec l’ouverture du capital de ces entreprises à des actionnaires privés souvent majoritaires ; application du droit privé au service public géré considéré comme un SPIC et dissociation des activités entre celles qui relèvent du SP et celles qui sont purement commerciales.
Le service public à la française semble ainsi se dissoudre progressivement dans des obligations de service public éparpillées entre acteurs publics et privés ne poursuivant pas les mêmes fins, et cela tant du fait de la mise en concurrence presque systématique que du fait de l’application à l’administration des méthodes managériales (exemple la tarification à l’acte dans les CHU).
Ces évolutions se retrouvent lorsque l’on étudie les modes de gestion des services publics.
Commentaires