Face à une décision administrative que l’on trouve inopportune ou défavorable, une alternative à la saisine du juge consiste à s’adresser directement à l’administration : ces « plaintes » sont appelées recours administratifs. Longtemps organisés de manière prétorienne (c’est-à-dire par le juge), ces recours ont été codifiés en 2015 aux articles L. 410-1 à L. 412-8 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). L’article L. 410-1 définit ainsi le recours administratif comme « la réclamation adressée à l’administration en vue de régler un différend né d’une décision administrative ».
Il faut donc au préalable une décision administrative : il n’est en effet pas possible de formuler un recours administratif contre les actes de droit privé de l’administration.
De manière générale, il existe deux classifications possibles des recours administratifs : la première tient compte de la nature de l’autorité saisie (A), la seconde se fonde sur le régime juridique auquel obéit le recours (B).
Classification selon la nature de l’autorité saisie
L’article L. 410-1 CRPA définit deux types de recours administratifs selon l’autorité administrative saisie :
- Recours gracieux : le recours administratif adressé à l’autorité qui a pris la décision contestée (1) ;
- Recours hiérarchique : le recours administratif adressé à l’autorité à laquelle est subordonnée celle qui a pris la décision contestée (2).
Recours gracieux
Le recours gracieux est celui adressé à l’auteur même de l’acte contesté. Ce recours est en général présenté directement à cette autorité qui statue, selon les cas, seule ou au vu d’un avis émis par une commission.
Dans d’autres cas, beaucoup plus rares, le recours peut être adressé à une commission consultative dont l’avis, transmis à l’auteur de l’acte, peut inviter ce dernier à reconsidérer sa position initiale. C’est le cas notamment en matière d’accès aux documents administratifs où un recours est possible devant la Commission d’accès aux documents administratifs, sur le fondement de l’article L. 342-1 du Code des relations entre le public et l’administration.
Recours hiérarchique
Le recours hiérarchique est celui adressé au supérieur hiérarchique de l’autorité qui a pris l’acte contesté. Dans la plupart des cas, il n’existe qu’un seul supérieur hiérarchique auquel le recours peut être présenté. Il s’agit, par exemple, du ministre de la Santé pour les décisions prises par les agences régionales de l’hospitalisation en matière d’autorisations d’équipements sanitaires.
Dans les cas, à l’inverse, où l’auteur de l’acte est soumis à un double pouvoir hiérarchique, la jurisprudence admet, en l’absence de texte l’interdisant, que le recours puisse être adressé à l’une ou à l’autre autorité. C’est notamment le cas pour les décisions par lesquelles un inspecteur du travail demande la modification du règlement intérieur d’une entreprise. Ces décisions peuvent être contestées aussi bien devant le directeur départemental du travail que devant le ministre du Travail (CE, 1980, Min. Travail c. Sté peintures Corona). Il en va de même des décisions par lesquelles le maire statue, en tant qu’agent de l’État, sur des demandes de permis de construire, des décisions qui peuvent être contestées aussi bien devant le préfet que devant le ministre (CE, 1982, Mestdahg).
Selon les cas, le supérieur hiérarchique statue seul ou au vu d’un avis émis par une commission.
Classification selon le régime juridique des recours
En matière de régime, on distingue généralement les recours administratifs de droit commun (1), qui n’étaient jusqu’à récemment prévus par aucun texte, et les recours administratifs préalables obligatoires (2), qui sont spécialement organisés par un texte et conditionnent la possibilité d’un recours juridictionnel.
Recours administratifs de droit commun
La jurisprudence admet depuis longtemps qu’un recours administratif puisse être exercé contre une décision alors même qu’aucun texte ne les avait prévus : il s’agit là de l’application d’un principe général du droit qui ne peut être écarté que si un texte exclut expressément la possibilité d’un tel recours. Le Conseil d’État énonce ce principe en 1950 pour le recours hiérarchique (CE, 1950, Quéralt) et en 1956 pour le recours gracieux (CE, 1956, Ecole professionnelle de dessin industriel).
Le recours administratif de droit commun n’est qu’une faculté à la disposition du justiciable. Il ne constitue ainsi jamais un préalable obligatoire au recours contentieux.
Aujourd’hui, le recours de droit commun est prévu au Livre IV, Titre 1er du Code des relations entre le public et l’administration (L. 411-1 à L. 411-7).
Recevabilité
Les conditions de recevabilité de ce recours sont très réduites. Elles n’imposent à la personne qui présente le recours ni capacité, ni intérêt à agir. Elles ne prévoient pas de forme spéciale pour la présentation du recours. Elles n’exigent non plus pas de délai : ce n’est que dans la mesure où l’auteur du recours souhaite pouvoir saisir ultérieurement le juge qu’il doit veiller à le présenter dans le délai du recours contentieux (un recours administratif remet alors à zéro le délai de recours contentieux qui redémarre suite à la décision de l’administration quant au recours administratif).
Obligations et pouvoirs de l’autorité saisie
Les pouvoirs de l’autorité saisie sont les mêmes que ceux qu’elle pouvait exercer lors de l’adoption de la décision contestée. Les obligations de l’autorité saisie sont très minces. Celle-ci n’a pas à se conformer aux principes généraux de la procédure juridictionnelle : elle n’a pas, par exemple, à respecter les droits de la défense. Elle n’a pas non plus le devoir de recueillir des avis avant de statuer.
Délai et décision implicite de rejet
Suivant l’article L. 231-4 al. 2 CRPA, en matière de recours administratif, le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet. Un recours est alors possible, même en l’absence d’un « acte » explicite.
Les Recours administratifs préalables obligatoires (RAPO)
De nombreux textes ont organisé des recours administratifs particuliers et les ont soumis à un régime juridique spécifique. Certains de ces recours sont prévus par les textes comme obligatoires avant tout recours contentieux. Le défaut d’exercice par un justiciable d’un recours administratif obligatoire préalablement à l’enregistrement d’une requête juridictionnelle contre une décision rend cette requête irrecevable, d’une irrecevabilité qui n’est pas susceptible de régularisation (CE, 1964, Election des représentants du personnel enseignant français détaché au Maroc auprès de la mission universitaire et culturelle française de l’ambassade de France au Maroc – abrévié en « personnel français détaché au Maroc »). La juridiction n’est donc pas tenue d’inviter le requérant à régulariser sa requête et peut la rejeter par simple ordonnance.
Principe des RAPO
L’institution d’un recours administratif préalable obligatoire à la saisine du juge a pour objectif de laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’Administration. Il s’ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale et qu’elle est seule susceptible d’être déférée au juge de la légalité (L. 412-7 CRPA). C’est donc cette décision issue du RAPO qui pourra faire l’objet d’un recours contentieux (attention, ce n’est pas le cas pour les recours non obligatoires).
Si l’exercice d’un tel recours a pour but de permettre à l’autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l’intervention du juge, la décision prise sur le recours n’en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité.
Obligations de l’administration liées à un RAPO
Obligation de notification de la nécessité d’un RAPO : Lorsque l’administration adopte une décision dont la possible contestation est soumise à un RAPO, elle doit être notifiée à la personne avec l’indication explicite de cette obligation ainsi que des voies et délais selon lesquels ce recours peut être exercé (L. 412-3 CRPA).
Obligation de motivation des décisions de rejet : La décision de rejet d’un RAPO doit être motivée (L. 211-2 et L. 412-8 CRPA). Est considéré par le Conseil d’Etat comme une motivation réelle celle qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde (CE, 1982, SA Entreprise Jean Spada).
Domaines des décisions soumises à RAPO
Seul un texte (Loi ou Décret en CE) peut prévoir la mise en place d’un RAPO. C’est un outil apprécié des pouvoirs publics comme un moyen de prévenir le contentieux. On compte aujourd’hui environ 150 domaines soumis à RAPO, parmi lesquels :
- Les décisions matière d’inspection du travail pour la prévention des risques (instauré dès 1912) ;
- Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent (R. 421-1 CJA) ;
- En cas de sanction infligée par une fédération sportive lorsque son règlement intérieur a institué une telle procédure (Loi du 29 oct. 1975 relative au développement de l’éducation physique et du sport) ;
- …
Un RAPO peut aussi résulter d’un contrat (CE, 1976, Koch) et, notamment, du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux.
Commentaires