Les recours contentieux sont les recours adressés à une juridiction administrative instituée par la loi qui statue sur ces derniers par une décision juridictionnelle qui a autorité de la chose jugée. Ces recours sont classés en différentes catégories, suivant les pouvoirs du juge (A) et ils doivent respecter des conditions de recevabilité strictes (B). En amont du procès principal, existe aussi une forme d’action juridictionnelle : les référés (C).
Une classification des recours contentieux selon les pouvoirs du juge
La classification traditionnelle des recours administratifs contentieux les distingue en quatre catégories, en fonction des pouvoirs des juges. Dans tous les cas, ce n’est pas au juge d’adapter ses pouvoirs à la demande dont il est saisi, mais c’est au requérant d’exercer la voie de recours adéquate à laquelle sont associés les pouvoirs du juge qu’il souhaite voir mis en œuvre pour répondre à sa demande.
Il faut ainsi distinguer entre :
- Le contentieux de l’annulation des actes administratifs ou recours pour excès de pouvoir (REP) : en la matière, le juge n’a que deux possibilités : 1. Soit annuler totalement ou partiellement l’acte administratif en cause, au regard d’une illégalité de l’acte au jour de son édiction ; 2. Soit abroger totalement ou partiellement un acte administratif initialement légal, au regard d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait (CE, 19 nov. 2021, association des avocats ELENA France et autres).
- Le plein contentieux : on parle ici de recours de plein contentieux (RPC) ou de pleine juridiction. Le juge dispose alors de pouvoirs plus larges : il peut réformer l’acte et/ou prononcer une condamnation pécuniaire. De plus en plus de contentieux sont aujourd’hui réservés à la pleine juridiction, tels le contentieux de la responsabilité publique délictuel et contractuel, le contentieux contractuel et précontractuel, le contentieux fiscal, le contentieux des pensions, le contentieux des sanctions adoptées par les AAI et API (CSA, CNIL…), etc.
- Le contentieux de l’interprétation ou de l’appréciation de légalité : le juge n’a ici qu’un pouvoir déclaratif au regard de la requête. Pour l’appréciation de légalité d’une norme, c’est toujours un recours incident dans le cadre d’une question préjudicielle posée devant le juge judiciaire.
- Le contentieux de la répression : en ce cas, le juge est habilité à punir certains comportements répréhensibles, comme le ferait le juge pénal. C’est un contentieux rare qui existe dans deux domaines :
- Contraventions de grande voierie, c’est-à-dire les atteintes à certaines composantes du domaine public (exemple des paillotes construites sur une plage en Corse) ;
- Contentieux relevant de certaines juridictions administratives spécialisées :
- Contentieux répressif de la Cour des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
- Contentieux disciplinaire, confié aux juridictions professionnelles.
Cette distinction entre les différents types de contentieux n’est pas que théorique. Outre les pouvoirs du juge qui changent, chaque type de recours est organisé selon des modalités spécifiques. Par exemple, le REP ne nécessite pas le ministère d’un avocat en première instance, au contraire des recours de plein contentieux (sauf exception).
Toutefois, face à la complexité de cette distinction pour les justiciables, des voix s’élèvent régulièrement pour la supprimer et tout regrouper sous le régime du plein contentieux.
Les conditions de recevabilité des recours contentieux
La plupart des conditions de recevabilité sont communes à l’ensemble des recours. Au-delà de conditions de formes extrêmement limitées (à savoir une requête en français présentant les moyens et conclusions du requérant et joindre la décision attaquée), il existe des conditions tenant à l’acte (1) et d’autres tenant au requérant (2).
Conditions tenant à l’acte
Un acte administratif
Seuls les actes administratifs sont susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif. Cela exclut donc :
- Les actes de droit privé, qui relèvent du juge judiciaire ;
- Les actes législatifs, qui relèvent du Conseil constitutionnel ;
- Les actes de gouvernement, qui ne relèvent d’aucun juge.
Ensuite, les recours contentieux ne peuvent être formés que contre les actes qui comportent une décision (R. 421-1 CJA). Il faut donc s’assurer que l’autorité publique a pris position par une décision préalable. Le plus souvent est en cause une décision explicite prise par l’administration. Mais en cas de silence de celle-ci sur une demande d’un administré, la technique de la décision implicite permet de surmonter cette absence de réponse.
Avant 2015, l’administration pouvait ainsi rejeter une demande en gardant le silence pendant un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours. Toutefois, par une ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015, ce principe a été renversé et le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut aujourd’hui en principe décision d’acceptation (L. 231-1 CRPA). Les choses auraient alors pu être plus simples pour les justiciables si de très nombreuses exceptions n’avaient pas été prévues, des exceptions tellement nombreuses que l’on se demande si le principe a réellement été renversé. D’ailleurs les articles D. 231-2 et 3 CRPA prévoient que le site Legifrance répertorie les procédures pour lesquelles le principe s’applique (et non les exceptions).
Il faut également noter qu’existent des exceptions sur la durée au bout de laquelle le silence vaut acceptation. Par exemple, c’est au bout de 4 mois de silence qu’une demande d’agrément d’une association de défense des personnes en situation d’exclusion est réputée acceptée, tandis qu’il faut seulement attendre 1 mois pour une inscription temporaire sur la liste nationale des experts en automobile.
Un acte ayant des effets notables
Jusqu’à récemment, seuls les actes administratifs qui comportaient une réelle décision pouvaient faire l’objet d’un recours. Étaient considérés comme tels les actes qui modifiaient l’ordonnancement juridique, c’est-à-dire qui faisaient évoluer la situation juridique d’une ou plusieurs personnes. Depuis le début des années 2000, le juge a régulièrement élargi la catégorie des actes susceptibles de recours (voir le chapitre sur les actes administratifs unilatéraux), passant du critère de la décision à celui du caractère impératif de l’acte pour reconnaître leur justiciabilité. En juin 2020, le Conseil d’État synthétise cette évolution autour du critère de l’effet notable, affirmant que tout acte ayant un tel effet notable relève potentiellement du contrôle du juge de l’excès de pouvoir (CE, 2020, Gisti).
Un acte non définitif : les délais de recours
Règles générales
Selon l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, le délai de recours contre un acte administratif est de 2 mois francs à compter de la publication de l’acte ou de sa notification. S’agissant d’un délai franc, cela signifie que l’on ne compte ni le premier ni le dernier jour : ainsi pour une décision publiée le 7 février 2020, le recours est possible jusqu’au 8 avril inclus. L’acte n’est donc définitif qu’à compter du 9 avril 2020, sauf si le 8 avril est un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé (le délai prend alors fin le premier jour ouvré suivant).
Le point de départ du délai est la publicité de l’acte pour la personne qui souhaite l’attaquer, à savoir pour :
- Actes réglementaires : l’affichage ou la publication (généralement en mairie, en préfecture, sur le site internet de la collectivité) ;
- Actes individuels : la notification (pour la personne visée) et la publication (pour les tiers. Exemple du permis de construire affiché en mairie et sur la propriété).
Toutefois, pour les décisions individuelles, le délai n’est pas opposable au justiciable si l’administration n’a pas notifié en même temps que la décision les voies et délais de recours permettant de la contester (R. 421-5 CJA). Une telle règle permettait en théorie d’attaquer un acte à n’importe quel moment si l’administration ne la respectait pas. Mais par un arrêt de 2016 (CE, ass., 13 juillet 2016, M. Czabaj), le Conseil d’État a jugé que le principe de sécurité juridique implique que le recours soit exercé dans un délai raisonnable, lequel est d’un an, sauf circonstances particulières (en l’espèce le recours avait été exercé 22 ans après la notification ne mentionnant pas les voies et délais de recours).
Cas particulier : les décisions implicites
S’agissant des décisions implicites, le délai est le même, mais il court à l’issue du délai de rejet ou d’acceptation de la demande entrainant décision implicite. Cependant, si, à la suite d’une décision implicite de rejet (dans les cas prévus), l’administration prend une décision explicite de rejet pendant les 2 mois du délai de recours contentieux, la notification de cette décision fait redémarrer à zéro ce délai de recours.
Autre élément faisant le contrepoint de l’article R. 421-5 CJA, l’article L. 112-3 CRPA prévoit que « toute demande adressée à l’administration fait l’objet d’un accusé de réception », complété par l’article R. 112-5 qui précise que cet accusé doit comporter certaines mentions : date de la décision implicite d’acceptation ou de rejet et délais et voies de recours à l’encontre d’une telle décision implicite. En l’absence de cet accusé de réception détaillé, le délai n’est pas opposable (dans la limite du délai raisonnable de la jurisprudence Czabaj).
Par exemple, une personne fait une demande en préfecture pour obtenir un titre de long séjour le 15 février 2024. Le Préfet accuse réception de ce recours le 25 février 2024 en indiquant le délai de deux mois donnant naissance à une décision implicite de rejet et les voies de recours juridictionnel contre cette décision implicite. Toutefois, il n’adopte pas de décision explicite dans le délai de deux mois. Une décision implicite de rejet est donc née le 15 avril 2024, date de départ du délai de recours contentieux de deux mois, jusqu’au 15 juin 2024. Le 30 avril 2024, le Préfet notifie à la personne une décision explicite de rejet de sa demande. Adoptée dans le délai de recours contentieux, cette décision fait repartir à zéro le délai de recours contentieux qui court donc jusqu’au 30 juin 2024 (au lieu du 15 juin).
Prorogation du délai
Si dans les limites du délai de recours contentieux, le requérant intente un recours administratif, le délai est alors prorogé. La prorogation signifie que le délai est interrompu et reprend à zéro à la suite de l’événement qui a permis la prorogation, en l’espèce à la suite de la décision de l’autorité administrative sur le recours administratif.
Conséquences de l’expiration du délai
Une fois le délai de recours expiré, l’acte devient définitif et le requérant est dit « forclos » (il ne peut en principe plus le contester). L’impératif de stabilité de l’action administrative l’emporte alors sur celui de juridicité.
Mais pour les actes réglementaires, l’expiration du délai n’empêche pas tout recours. Il est possible de soulever une exception d’illégalité de l’acte lors d’un contentieux visant un acte individuel l’appliquant. L’acte réglementaire alors reconnu illégal n’est pas supprimé de l’ordre juridique, mais son application est paralysée. Ensuite l’administration a l’obligation d’abroger les règlements illégaux (CE, ass., 3 février 1989, Cie. Alitalia). Il est alors possible de demander l’abrogation de ce règlement par un recours administratif, puis attaquer le refus (si refus).
Pour les actes individuels, seul un recours en responsabilité aux fins d’indemnisation pourra être intenté : c’est un recours de plein contentieux pour le préjudice causé par la faute de service qui résulte de l’adoption d’un acte illégal (CE, 5 janvier 1966, Dlle Gacon).
Conditions tenant au requérant
Deux conditions doivent être réunies qui forment ce que l’on appelle la qualité pour agir : la capacité d’ester (c’est-à-dire d’agir) en justice d’une part (a), l’intérêt pour agir d’autre part (b).
Capacité d’ester en justice
Pour être capable d’ester en justice, il faut que le requérant ait la capacité juridique, sinon il doit se faire représenter (par exemple un mineur doit se faire représenter par son représentant légal). En ce qui concerne les personnes morales, c’est le représentant légal de la personne morale qui intentera le recours.
Intérêt pour agir
Le recours de particuliers
Un recours est recevable si la mesure attaquée emporte des conséquences sur la situation personnelle du requérant, entendue de façon assez large (ex : recours du contribuable d’une collectivité locale contre les décisions de ces collectivités susceptibles d’aggraver les dépenses de la collectivité : CE, 1901, Casanova).
Les limites de l’intérêt pour agir correspondent à ce que l’on appelle l’actio popularis : il s’agit d’éviter que toute personne puisse intenter un recours contre toute décision administrative. Il faut donc mettre en avant un intérêt personnel suffisant, le seul souci de faire respecter la légalité n’est pas jugé comme un intérêt suffisant pour faire admettre la recevabilité du recours.
Dans certains cas, on peut estimer que l’appréciation de cet intérêt est relativement sévère. Ainsi, le juge administratif estime que le fonctionnaire n’a pas d’intérêt pour agir contre les mesures qui ne concernent que l’organisation du service où il travaille (s’il ne peut démontrer une atteinte à son statut, à ses prérogatives ou une aggravation de la concurrence dans sa carrière).
Recours des personnes morales
Pour les personnes morales, les recours sont possibles contre les mesures qui portent atteinte à leurs intérêts, tels qu’ils résultent de leur champ d’intervention fixé par leurs statuts ou les textes qui les régissent. Pour les associations et syndicats, il y a en ce sens intérêt pour agir contre les actes qui touchent aux intérêts collectifs de l’ensemble des membres de l’association/syndicat (CE, 1906, Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges).
Il faut de plus une adéquation géographique entre la décision et le champ d’action de la personne morale. Ainsi une association de protection des consommateurs à Paris ne pourra agir contre une décision prise par la ville de Marseille. De plus, une association dont le champ d’action est national n’a pas d’intérêt pour agir pour les décisions n’ayant qu’un champ d’application local (CE, 2002, Association En toute franchise), avec toutefois une exception pour toute décision qui soulève « en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales » (CE, 2015, LDH : en l’espèce la Ligue des Droits de l’Homme attaquait un arrêté interdisant sur le territoire d’une commune la fouille des poubelles et la mendicité). Une seconde exception est possible pour les fédérations d’association (CE, ass., 12 décembre 2003, USPAC CGT – Syndicat CGT des personnels des affaires culturelles).
Actions collectives
Jusqu’en 2016, il existait un problème pour la gestion des contentieux dits de masse, c’est-à-dire ceux où un grand nombre de personnes sont concernées soit par une décision individuelle équivalente de l’administration (ex : fonctionnaires qui se sont vu refuser par décision individuelle un supplément de traitement), soit par un préjudice commun causé par une action de l’administration. En ces cas, la justice administrative se retrouvait face à la possibilité d’un nombre très important de recours (avec le même objet et les mêmes moyens).
La loi du 18 novembre 2016 a alors introduit en droit administratif (et en droit privé) deux possibilités d’actions collectives, l’action en reconnaissance de droits et l’action de groupe :
- Action en reconnaissance de droits : elle est prévue aux articles L. 77-12-1 et suivants CJA. Elle permet à une association ou à un syndicat de déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement en faveur d’un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt, à la condition que leur objet statutaire comporte la défense dudit intérêt. Cette action ne peut en revanche pas tendre à la reconnaissance d’un préjudice. La publication du jugement permet ensuite à toute personne intéressée de s’en prévaloir devant l’administration (voire devant le juge).
- Action de groupe : Une action de groupe peut être exercée devant le juge administratif lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles (L. 77-10-3 CJA). Cette action vise à la cessation du manquement et/ou à l’engagement de la responsabilité de l’administration pour le préjudice subi. Une action de groupe peut être formée dans cinq domaines :
- Discrimination subie par les administrés (art. 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008) ;
- Discrimination subie par les salariés d’un employeur public (L. 77-11-1 CJA) ;
- Violation du droit de l’environnement (L. 142-3-1 Code de l’environnement) ;
- Faute commise dans la production, la fourniture ou la délivrance d’un produit de santé (L. 1143-1 Code de la santé publique) ;
- Violation des règles garantissant la protection des données à caractère personnel (art. 43 ter de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978).
En amont du procès au principal : les référés
Le référé est une procédure contentieuse visant à demander à une juridiction d’ordonner des mesures provisoires pour la protection et/ou la préservation des intérêts et/ou des droits du requérant.
Trois procédures de référées nécessitent qu’une urgence soit constatée, à savoir :
- Référé-conservatoire ou « référé mesures utiles » (L. 521-3 CJA) : vise à faire prescrire, dans l’urgence, des mesures nécessaires à la sauvegarde d’intérêts publics ou privés ou de droits. Ne doit se heurter à aucune contestation sérieuse. Aujourd’hui subsidiaire aux référé-suspension et référé-liberté ;
- Référé-suspension (L. 521-1 CJA, ancien sursis à exécution) : en cas de recours au fond, le juge des référés peut être saisi pour suspendre les effets d’un acte administratif si deux conditions réunies : 1. Urgence et 2. Un « doute sérieux quant à la légalité » de la mesure, critère interprété avec souplesse (la présence d’un doute réel suffit au juge) ;
- Référé-liberté (L. 521-2 CJA) : référé visant à protéger les droits et libertés fondamentaux. Le juge doit intervenir en 48 h. Il peut suspendre l’acte en cause et prononcer des injonctions à la personne morale en cause. Deux conditions sont à remplir : 1. Urgence et 2. Une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Quatre autres procédures en référé existent, pouvant être menées en dehors de toute urgence :
- Référé-précontractuel (L. 551-1 CJA) : mécanisme permettant au candidat évincé d’un contrat administratif de contester la conclusion du contrat en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;
- Référé-instruction (R. 532-1 CJA) : permet d’ordonner toutes les mesures d’instruction qui paraissent utiles, par exemple une expertise ;
- Référé-provision (R. 541-1 s CJA) : autorise le juge à ordonner le versement immédiat d’une somme d’argent, s’il existe un litige pécuniaire entre le requérant et l’administration et que la créance n’est pas sérieusement contestable ;
- Référé-constat (R. 531-1 CJA) : permet d’obtenir la désignation d’un expert pour que celui-ci procède à la constatation d’une situation de fait afin d’éviter le dépérissement des preuves avant l’engagement d’une procédure contentieuse (peut être utilisé notamment pour la description des conditions d’hospitalisation d’un malade, ou de détention d’un détenu).
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