I. La notion de police administrative

Sommaire

    La protection et le maintien de l’ordre public (A) impliquent à la fois des activités de prévention (éviter les atteintes) et de répression en cas d’atteinte à celui-ci. Parmi ces activités, il faut alors pouvoir identifier celles qui relèvent ici de la police administrative, là de la police judiciaire (B), cette distinction impliquant un régime juridique et un juge différents.

    La notion d’ordre public

    La notion d’ordre public permet de définir aussi bien la police administrative que la police judiciaire. L’ordre public n’est pas l’ordre en général, c’est un ordre finalisé pour reprendre l’expression d’Etienne Picard, en lien avec l’idée d’État libéral. C’est un ordre indispensable à la garantie des droits.

    L’ordre public n’est mentionné qu’une seule fois dans les textes constitutionnels, à l’article 11 de la DDHC qui indique que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Toutefois, en 1981, le Conseil constitutionnel reconnait « la recherche des auteurs d’infractions et […] la prévention d’atteintes à l’ordre public » comme « nécessaires à la mise en oeuvre de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle » (CC, 1981, n° 80-127, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, § 56). Mais jamais, il n’a défini ce qu’il fallait entendre par ordre public.

    En droit administratif, l’ordre public a d’abord été défini par la loi, renvoyant traditionnellement à une approche matérielle (1), avant d’évoluer de manière prétorienne vers une approche immatérielle (2), tout autre motif étant sinon exclu (3).

    La notion classique d’ordre public matériel : tranquillité, sécurité et salubrité publiques

    Reprenant en grande partie l’article 97 de la loi du 5 avril 1884, lui-même inspiré d’un décret du 14 décembre 1789, l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) énonce que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». L’objet de la police municipale étant le maintien de l’ordre public, il faut donc comprendre qu’il intègre les notions ici listées à savoir la tranquillité publique ou le bon ordre (a), la sûreté et la sécurité publiques (b), ainsi que la salubrité publique (c).

    La tranquillité publique

    C’est l’idée que l’autorité de police a pour mission de prévenir tous les risques de désordre tels que ceux qui résulteraient de manifestations, de bruits excessifs, de querelles, de bagarres… C’est sur ce fondement qu’un maire pourra par exemple réglementer les horaires d’utilisation des tondeuses à gazon ou la mendicité dans toutes les rues de la ville.

    Un tel motif est susceptible de donner lieu à une interprétation large mais certaines limites s’imposent aux pouvoirs publics dans son utilisation. Ainsi, ne peuvent être considérés comme des troubles à la tranquillité publique « le seul fait de laisser plus de deux chiens stationner, même temporairement, sur la voie publique, ainsi que, de manière générale, le fait pour un groupe de plus de trois personnes d’émettre des bruits de conversation et de musique « audibles par les passants », sans en préciser la durée ni l’intensité » (CE, 2021, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen). Le juge y voit alors une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir.

    La sécurité publique (incluant la sûreté)

    C’est l’idée de prévenir les administrés contre les dangers, les risques d’accidents, de dommages aux personnes ou aux biens. Ce motif va notamment justifier la possibilité de réglementer la circulation en ville, d’interdire l’accès à certains lieux…

    La salubrité publique

    Appelée aussi hygiène publique ou santé publique, la salubrité publique renvoie à l’idée de prévention des maladies et des risques d’épidémie. A ce titre, le maire peut par exemple intervenir sur les marchés en plein air, agir pour éviter des pollutions… Là encore, la notion est floue avec des contours imprécis, renvoyant notamment à des préoccupations de santé publique qui ne cessent de s’étendre avec le temps (lutte contre le tabagisme, prévention sanitaire…).

    Cette notion classique de l’ordre public a évolué, et on ne se contente plus aujourd’hui de la trilogie matérielle traditionnelle à laquelle le juge a en effet ajouté des composantes immatérielles.

    L’évolution vers un ordre public immatériel : moralité et dignité

    Au-delà des possibles atteintes matérielles à l’ordre public, c’est-à-dire ayant des conséquences physiques objectivement observables et mesurables, le juge administratif a ajouté une dimension immatérielle à l’ordre public, d’abord autour de l’idée de moralité (a), puis de celle de dignité humaine (b).

    La moralité publique

    La moralité publique, que l’on comprend également comme les « bonnes mœurs » est un motif ancien d’utilisation des pouvoirs de police municipaux (ceux entre les mains des maires). On la retrouve ainsi au début du XXe siècle au fondement de :

    • l’interdiction locale de la prostitution (CE, 1909, Chambre syndicale de la Corporation des marchands de vin et liquoristes de Paris) ;
    • l’interdiction d’un match de boxe, où le maire parle alors d’hygiène morale face au  « caractère brutal et parfois sauvage » des combats (CE, 1924, Club indépendant sportif châlonnais) ; ou encore
    • la réglementation de la tenue des baigneurs sur la plage, le maire parlant alors du maintien du « bon ordre et de la décence » (CE, 1930, Beaugé).

    Mais c’est en matière de cinéma qu’une bataille va avoir lieu à partir du milieu des années 1950. Certains maires invoquent alors la moralité publique dans des décisions de police visant à l’interdiction locale de la projection de films jugés immoraux. Le maire de Nice s’est ainsi illustré à l’époque par l’interdiction de certains films en invoquant « une vague d’immoralité se déversant sur la ville ». Du contentieux qui en découle va émerger un encadrement de la question de la moralité comme motif d’ordre public.

    En décembre 1959 (CE, 1959, société Les films Lutetia),le Conseil d’État statue sur la légalité de cette interdiction dans la commune de Nice. Il en ressort une réponse ambiguë du juge. Tandis qu’il affirme que la référence à l’immoralité doit être accompagnée de l’existence de circonstances locales particulières de nature à justifier l’interdiction de la projection, il se contente de l’affirmation de la « vague d’immoralité » pour considérer ce critère comme rempli. Le contrôle est en ce sens très faible, autorisant assez facilement une atteinte à la liberté d’expression artistique au nom de la moralité. Si les affaires sont assez nombreuses dans les années 1960, ce n’est plus le cas aujourd’hui, rares étant les maires cherchant à interdire la projection de films jugés immoraux.

    Si la moralité publique reste un motif d’ordre public, son utilisation au fondement de mesures de police administrative est devenue de plus en plus limitée (voir CE, 1997, Commune d’Arcueil : sur l’annulation d’une interdiction de police au nom de la moralité publique d’apposer une enseigne lumineuse sur un sex shop), pour être aujourd’hui remplacée par la notion de dignité de la personne humaine.

    La dignité de la personne humaine

    Alors qu’en droit international des droits humains, l’idée de dignité humaine est un concept central, présent au préambule de la Déclaration universelle de 1948 et des principales conventions en la matière (notamment le Pacte international sur les droits civils et politiques et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels), elle n’apparaît que tardivement en droit français. En France, s’il existe déjà dans une loi de 1986 relative à la liberté de la communication, ce principe juridique de dignité de la personne humaine n’est réellement consacré qu’en 1994 par le Conseil constitutionnel lors de l’examen des lois bioéthiques (CC, 1994, Loi relative au respect du corps humain…). Il se fonde en effet sur le premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 pour énoncer un principe de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation » alors que le terme n’y figure pas explicitement.

    Il est repris l’année suivante par le Conseil d’État dans un arrêt où il admet qu’un maire puisse interdire dans sa commune un spectacle de lancer de personne atteinte de nanisme au nom du principe de dignité de la personne humaine, sans qu’il soit nécessaire d’invoquer des circonstances locales particulières (CE, 1995, commune de Morsang s/ Orge). La dignité de la personne humaine (ou dignité humaine) devient dès lors le cinquième principe de l’ordre public.

    Est en ce sens considéré comme une atteinte à la dignité le fait de traiter une personne comme une chose, un objet et non plus comme un être humain. En l’occurrence, le spectacle de lancer de nain joue sur le handicap de la personne et celle-ci est utilisée comme un objet à lancer. Pour le juge, peu importe que la personne soit consentante et qu’il n’y ait pas de risque pour sa santé, c’est une atteinte à la dignité humaine qui peut fonder une mesure de police administrative pour l’interdire.

    Cette vision de la dignité dont le respect peut être imposé à toute personne est appelée dignité objective. Elle est dite « objective » en ce sens qu’elle ne vise pas à protéger toute personne contre les atteintes extérieures à sa dignité mais à forcer toute personne à respecter dans sa vie de tous les jours la dignité qu’elle incarne en tant qu’être humain. Elle transcende la personne et son consentement. Cet arrêt de 1995 est toutefois la seule décision du Conseil d’État à se baser sur une vision objective de la dignité, une vision qui sert aussi de fondement à l’approche législative de l’indisponibilité et de la non-patrimonialité du corps humain.

    C’est une seconde approche de la dignité, dite dignité subjective, qui servira ensuite à justifier des arrêtés de police administrative dans différentes affaires. Cette approche est dite « subjective » dès lors qu’elle ne vise qu’à imposer à chacun le respect de la dignité d’autrui.

    La dignité ne réapparait ainsi dans la jurisprudence du Conseil d’État que 12 ans après Morsang s/ Orge, dans une ordonnance de référé de 2007, où il juge légale l’interdiction préfectorale de distribution par une association d’une soupe populaire au porc visant à exclure explicitement les bénéficiaires musulmans comme constituant une « atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé » (CE, 2007, ord. réf., Association Solidarité des Français). Puis il faut attendre 7 ans de plus pour la rencontrer à nouveau dans le cadre de plusieurs affaires liées à l’interdiction de spectacles de Dieudonné. Dans trois ordonnances de référé rendues en janvier 2014 (pour la première : CE, 9 janvier 2014, ord. réf., ministre de l’Intérieur c. société Les productions de la plume), le Conseil d’État juge que l’interdiction du spectacle de Dieudonné n’était pas manifestement illégale, notamment au regard du « risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine ».

    Mais là encore, la dignité humaine dans son acception subjective ne servira que très rarement de justificatif à une mesure de police administrative. Et c’est sûrement une bonne chose dès lors que l’intégration de la dignité comme motif d’ordre public amène à pouvoir justifier en tout lieu des mesures définitives. Contrairement aux autres mesures de police administrative générale qui doivent être adaptées et relever d’une conciliation entre des intérêts différents (ordre public d’un côté et droits et libertés de l’autre), l’interdiction est la seule mesure possible contre une atteinte à la dignité dès lors que celle-ci attaque l’humanité toute entière. L’interdiction ne peut alors être que générale et absolue, ce qui est une exception à une jurisprudence constante interdisant aux pouvoirs de police administrative de prononcer de telles interdictions qui ne peuvent relever que du législateur (CE, 1951, Daudignac).

    L’exclusion de tout autre but

    Comme nous venons de le voir, les contours de la notion d’ordre public sont flous, ce qui est propice à l’extension des pouvoirs de police. L’ordre public est en effet une notion qui permet de s’adapter et de faire face à une situation. La notion n’a pas un contenu précis, elle est évolutive, tout dépend de la perception des risques et de la demande de sécurité des citoyens. Toutefois, au-delà des objectifs d’ordre public énoncés par la loi et la jurisprudence, tout autre but est exclu pour l’utilisation des pouvoirs de police générale, notamment :

    • La protection des relations internationales de la France n’est pas un but d’ordre public (CE, 1997, ministre de l’Intérieur c. Communauté tibétaine en France : à propos de l’interdiction d’une manifestation devant l’ambassade de Chine) ;
    • Si la question a longtemps fait débat, avec une jurisprudence obscure du Conseil d’État, la protection de l’esthétique n’est pas non plus un but d’ordre public (CE, 1970, Loubat : dès lors que l’existence d’un dépôt de vieux véhicules n’est susceptible de porter atteinte ni à la sécurité, ni à la tranquillité, ni à la salubrité publique, le maire ne peut se fonder sur un motif esthétique pour en prescrire l’enlèvement). Toutefois, plusieurs polices spéciales visent à cette protection ;
    • La laïcité ne fait pas partie des buts d’ordre public (CE, 2016, ord., Ligue des droits de l’Homme : un maire voulant faire interdire les burkinis sur les plages de sa commune au nom du principe de laïcité).

    La distinction police administrative/police judiciaire

    Au nom de l’ordre public peuvent être prises des mesures de police administrative et des mesures de police judiciaire. Elles n’ont pas le même objet et ne sont pas encadrées par le même régime (1). Il est donc important de pouvoir en faire la distinction (2).

    Le critère de distinction entre les polices

    Si, schématiquement, on entend souvent dire que la police administrative s’occupe de la prévention des atteintes à l’ordre public et la police judiciaire de la répression lorsqu’une atteinte est commise, cette dichotomie est toutefois simpliste et ne permet pas de réellement distinguer entre les deux ordres de police. Il faut alors s’intéresser au critère retenu par la jurisprudence (a) avant d’aborder les difficultés que le juge rencontre dans sa mise en œuvre (b).

    Le critère finaliste du lien ou non avec une infraction pénale

    Tout d’abord, il est important de noter qu’un critère organique de distinction n’est pas fiable. En effet, une même autorité administrative peut disposer d’attributions de police administrative et de police judiciaire. Les préfets, les maires ou encore les agents de la police municipale ou nationale peuvent intervenir dans le cadre d’opérations de police administrative ou de police judiciaire.

    De même, si elle est globalement juste, la caractérisation de la police administrative comme préventive et de la police judiciaire comme répressive reste caricaturale pour distinguer entre les deux polices. En effet, d’une part certaines opérations de police administrative consistent à faire cesser un trouble à l’ordre public qui existe déjà ; d’autre part, certaines opérations de police judiciaire visent à prévenir des infractions (ex. : lutte anti-terroriste ou contre le grand-banditisme).

    La jurisprudence a petit à petit défini un critère : le critère finaliste,c’est-à-dire le critère du but poursuivi par l’auteur de l’opération de police. Si ce but a un lien avec une infraction pénale, visant à la constater, à rassembler des preuves, ou à en rechercher les auteurs, alors c’est une opération de police judiciaire. Pour tous les autres éléments de prévention des atteintes et de maintien de l’ordre public, ce sera une opération de police administrative.

    Ainsi, lorsqu’une personne tierce à une opération est mortellement blessée par des policiers alors qu’ils chercher à appréhender des malfaiteurs, le juge considère que le dommage résulte d’une opération de police judiciaire. Les policiers visaient à l’arrestation de personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction (CE, 1951, Baud).

    En revanche, lorsqu’une personne est blessée à sa fenêtre lors d’une opération de police alors que « l’instruction n’établit pas qu’elle avait pour objet la recherche d’un délit ou d’un crime déterminé », le dommage résulte d’une opération de police administrative (TC, 1951, Noualek).

    A priori clair, ce critère de la présence d’une infraction pénale ne l’est pas dans tous les cas et les situations parfois se brouillent.

    Difficulté de la distinction police administrative / judiciaire

    Si l’on s’intéresse par exemple au placement d’une personne ivre en cellule de dégrisement, est-on dans une opération de police administrative ou de police judiciaire ? Face à l’ivresse sur la voie publique, ce placement est considéré comme relevant d’une mesure de protection des troubles à l’ordre public que la personne pourrait causer (que ce soit pour elle-même ou pour autrui) et relève donc d’une opération de police administrative. Pourtant, l’ivresse publique est également une infraction pénale passible d’une contravention de 2e catégorie au titre des articles L. 3341-1 et R. 3353-1 du Code de la santé publique. En fait, le critère de distinction déterminant dans ces cas limites est celui de l’intention de l’agent (i). D’autres cas posent problèmes dès lors que l’on est face à des opérations de police complexes, c’est-à-dire comportant des phases de police judiciaire et de police administrative (ii).

    L’intention de l’agent

    Le juge semble brouiller les pistes lorsqu’il accepte de qualifier d’opération de police judiciaire des opérations préalables à une infraction non encore commise mais sur le point de l’être, même si l’agent de police ne sait pas si une infraction va réellement être commise :

    • Par exemple, lorsqu’un agent considère qu’une personne a un comportement suspect et souhaite la contrôler, si celle-ci s’enfuit et qu’en cherchant à l’appréhender des dommages en résultent, ces dommages relèvent d’une opération de police judiciaire. Dès lors que l’agent a cru avoir affaire à un délinquant, l’opération visait une possible infraction pénale et donc correspondait à une action de police judiciaire. C’est ici l’intention de l’agent qui compte (TC, 1968, Tayeb).
    • Il en est par exemple de même si un policier ordonne la mise à la fourrière d’un véhicule pour stationnement irrégulier alors que le stationnement est régulier (avec au final une absence d’infraction). Le policier pensait agir en réaction à une infraction, c’est une opération de police judiciaire (CE, 1981, Ferran).

    L’intention de l’agent est donc un élément fondamental de qualification d’une opération de police spontanée (non prévue). La prise en compte de cet élément se justifie par le fait que l’agent ne mettra pas en œuvre les mêmes pouvoirs, ni n’appliquera exactement les mêmes règles selon qu’il se pense agir dans le cadre d’une opération de police administrative ou de police judiciaire. Toutefois, il est clair que ce critère de l’intention est éminemment problématique en ce qu’il permet facilement à l’agent de choisir le terrain sur lequel il a agi.

    Opérations de police complexes

    Les opérations de police complexes sont celles qui comportent deux phases : une phase administrative et une phase judiciaire. L’exemple le plus simple est celui de l’agent de police qui règle la circulation à un carrefour (opération de police administrative) et qui s’engage à la poursuite d’un automobiliste venant de commettre une infraction devant lui (opération de police judiciaire). Si un dommage est causé lors de cette opération de police complexe, quel est le droit applicable et quel juge sera compétent ?

    En 1978, le Tribunal des conflits souligne que le litige doit alors être confié à un seul juge (le litige ne peut être scindé en deux) et qu’il faut rechercher quelle phase de l’opération est à l’origine essentielle du dommage (TC, 1978, société le Profil). En l’espèce une société privée fait surveiller ses transferts de fond par des agents de la force publique mais, malgré cette surveillance, un braquage est commis et la police ne réussit pas à en appréhender les auteurs. Nous sommes face à une opération de police complexe car l’étape de surveillance relève de la police administrative tandis que celle de la tentative d’interception des voleurs enclenche une phase de police judiciaire. Pour obtenir réparation du préjudice, la société se plaint que l’opération de surveillance était mal conçue (dommage potentiellement lié à la phase de police administrative) et que les policiers n’ont pas été capables d’arrêter le voleur (dommage potentiellement lié à la phase de police judiciaire). Pour le tribunal, c’est la mauvaise préparation de l’opération de surveillance, et donc l’élément de police administrative, qui est essentiellement à l’origine du dommage, faisant relever l’affaire du juge administratif.

    Intérêt de la distinction

    La distinction entre police administrative et police judiciaire renvoie à l’application de pouvoirs différents (a), par des autorités différentes (b), sous le contrôle d’un juge différent (c).

    Distinction des pouvoirs

    Suivant que l’opération relève de la police administrative ou de la police judiciaire, les autorités de police n’ont pas les mêmes pouvoirs et les textes applicables ne sont pas les mêmes. En matière de police judiciaire ce sont le code pénal et le code de procédure pénale qui vont s’appliquer, tandis qu’en matière de police administrative ce sont les règles administratives.

    Selon les situations, les pouvoirs des autorités de police peuvent être plus importants dans un cas que dans l’autre, et il arrive ainsi qu’une autorité de police cherche à faire passer une opération de police administrative pour une opération de police judiciaire, ou inversement. Toutefois, le juge est habilité à requalifier une opération afin d’appliquer le droit qui correspond à la situation.

    Ainsi, pendant la Guerre d’Algérie, le préfet d’Alger ordonne la saisie de journaux. Il essaie de faire passer cela pour des saisies destinées à constater des infractions pénales car la légalité de ces saisies est plus facilement admise. Le juge administratif saisi par l’entreprise de presse requalifie toutefois l’opération en opération de police administrative car elle est destinée à prévenir une atteinte à l’ordre public. Il annule alors cette mesure pour excès de pouvoir (CE, 1960, société Frampar).

    Distinction des autorités

    Les autorités compétentes ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi les opérations de police administrative peuvent être effectuées par l’État, les communes et EPCI, les départements. En revanche, les opérations de police judiciaire ne le sont qu’au nom de l’État, ce qui implique alors que seul l’État pourra être mis en cause et que c’est sur son patrimoine qu’un dommage sera indemnisé.

    Distinction du juge compétent

    Le juge compétent ne sera pas le même en cas de litige. Le contentieux d’une opération de police administrative relève du juge administratif, tandis que celui d’une opération de police judiciaire relève du juge judiciaire.

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