Jean Rivero définit le recours pour excès de pouvoir (REP) comme un « recours contentieux par lequel tout intéressé peut demander au juge administratif de reconnaître qu’une décision administrative est illégale et d’en prononcer l’annulation ». Le REP est donc le recours qui permet de faire sanctionner le non-respect par l’administration du principe de légalité, il a pour objet d’ « assurer le respect de la légalité » (CE, ass., 17 févr. 1950, Min. Agriculture c/ dame Lamotte).
Il en découle que seuls des moyens de légalité peuvent être invoqués à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, ce qui permet au juge d’annuler totalement ou partiellement la décision illégale qui lui est déférée. Ce recours est ouvert contre toute décision administrative sans qu’il soit besoin qu’un texte l’ait expressément prévu : le REP est un recours de droit commun (dame Lamotte).
C’est aussi un recours dit objectif en ce sens que le procès est fait à un acte, non à une personne fût-elle une personne publique, il porte sur la violation de la règle de droit, non simplement sur l’atteinte à un droit subjectif du requérant. Autrement dit, en intentant ce recours le requérant sert ses propres intérêts, mais il sert en même temps l’intérêt de tous, l’intérêt de la légalité, puisque, à l’issue du procès, l’acte illégal sera expulsé de l’ordre juridique. Pour en ouvrir l’usage au plus grand nombre, c’est d’ailleurs le premier recours qui s’est trouvé dispensé du ministère d’avocat (dès 1864, aujourd’hui codifié aux articles R. 431-2, R. 431-11 et R. 432-2 CJA).
Au-delà des conditions de recevabilité communes à l’ensemble des recours contentieux, il existe des conditions spécifiques au recours pour excès de pouvoir : le recours doit être dirigé contre un acte administratif unilatéral (A) et nous verrons qu’il existe également certaines conditions supplémentaires tenant au recours (B).
Un recours contre un acte administratif unilatéral
Si nous abordons plus en détails la question de l’acte administratif unilatéral au chapitre qui lui est consacré, il est pertinent d’en faire rapidement le tour pour en comprendre le principe (1), mais aussi les exceptions (2).
Principe
Seul un acte unilatéral peut faire l’objet d’un REP. Est dit unilatéral tout acte qui émane d’une manifestation unilatérale de volonté et non de la rencontre de plusieurs volontés. Le REP est donc irrecevable contre les contrats, ceux-ci ne peuvent être annulés que par le biais d’un recours de plein contentieux.
Exceptions
Deux exceptions sont aujourd’hui possibles à la nécessité d’un acte unilatéral, à savoir les actes détachables des contrats administratif (a) et l’hypothèse des actes quasi-assimilables à des actes unilatéraux (b).
Les actes détachables des contrats administratifs
Un contrat peut porter préjudice à des tiers (le candidat non retenu, les usagers d’un contrat de délégation de service public), mais il n’y avait jusqu’à récemment aucune possibilité de recours qui leur était ouverte en annulation du contrat. L’initiative d’une action en nullité était en effet réservée aux parties et au préfet.
Cependant, le juge a progressivement élaboré la théorie des actes détachables, ce qui lui permet d’admettre la recevabilité du REP contre les décisions administratives unilatérales liées au contrat mais qui peuvent être isolées de sa conclusion. Ainsi, le Conseil d’État a admis en 1905 la recevabilité du REP contre la délibération d’une collectivité locale autorisant le maire à contracter (CE, 4 août 1905, Martin). Il en va de même de la décision d’approbation d’un contrat, ou encore du refus de résilier un contrat qui sont des actes susceptibles de REP.
Toutefois, un problème demeure, à savoir celui des conséquences de l’annulation d’un acte détachable. Le tiers ayant obtenu l’annulation de l’acte détachable ne pouvait en effet demander directement l’annulation du contrat qui y était lié. Il devait passer par le pouvoir d’injonction du juge administratif pour obliger l’administration à agir, une procédure longue et hasardeuse.
En conséquence, le juge a fait évoluer sa jurisprudence pour permettre l’ouverture d’un recours de plein contentieux (RPC) pour les tiers contre les contrats administratifs. En 2007 tout d’abord, il autorise un tel recours après la conclusion du contrat pour les candidats écartés (CE, 29 juin 2007, société Tropic travaux signalisation). En 2014 ensuite, il ouvre ce recours à d’autres tiers, à savoir ceux qui pourraient être directement lésés par le contrat, les membres de l’organe délibérant de la collectivité concernée et le préfet (CE, ass., 2014, Département Tarn-et-Garonne). Ne sont alors plus possibles les REP contre les actes détachables préalables au contrat, seul le contrat pouvant être attaqué par voie de RPC.
Restent aujourd’hui quelques rares cas de REP contre des actes détachables, notamment la possibilité pour le préfet de contester les actes préalables mais seulement avant la conclusion du contrat, celle de contester les actes d’approbation d’un contrat signé et conditionnant son entrée en vigueur, et celle pour les tiers de contester les actes détachables d’un contrat de droit privé passé par une personne publique.
Hypothèse des actes quasi-assimilables à des actes unilatéraux
A côté des actes détachables du contrat contre lesquels la possibilité d’un REP a aujourd’hui quasiment disparu, la jurisprudence admet tout de même la recevabilité du REP contre un contrat administratif dans deux hypothèses où existe une forte similarité du contrat avec un acte administratif unilatéral :
- REP contre le contrat en lui-même :
- Contrat de constitution d’un GIP. C’est en effet une convention à contenu intégralement réglementaire ;
- Contrat de recrutement d’agents publics, car la situation est proche d’une décision de nomination (CE, 30 octobre 1998, ville de Lisieux).
- REP contre certaines clauses du contrat : les clauses réglementaires d’un contrat peuvent faire l’objet d’un REP (CE, ass., 10 juillet 1996, Cayzeele). Par exemple, il en va ainsi des clauses d’un contrat de délégation de service public concernant non pas les rapports des cocontractants entre eux mais l’organisation et le fonctionnement du service et les droits et obligations en découlant pour les usagers.
Les conditions liées à la spécificité du recours pour excès de pouvoir
Le recours pour excès de pouvoir étant un recours en annulation d’un acte, l’objet du recours ne peut être qu’une demande d’annulation (1). De plus, ce recours de droit commun n’est ouvert qu’en l’absence de recours parallèle (2).
Objet du recours : l’annulation
La consécration législative du recours pour excès de pouvoir par l’article 9 de la loi du 24 mai 1872, littéralement repris par l’article 32 de l’ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945 place l’annulation au cœur de la définition du REP : « Le Conseil d’État statue souverainement sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées contre les actes des diverses autorités administratives ». Seules les conclusions aux fins d’annulation sont donc recevables au titre du recours pour excès de pouvoir (CE, 24 nov. 1967, Noble).
Lorsqu’une requête en excès de pouvoir contient à la fois des conclusions aux fins d’annulation d’une décision et des conclusions aux fins de réparation du préjudice qui en résulte, elle est jugée recevable mais considérée comme mixte, c’est-à-dire comme ressortissant de deux contentieux distincts dont les conditions de recevabilité sont appréciées séparément, notamment sur la question du ministère obligatoire d’un avocat pour les RPC (CE, 31 mars 1911, Blanc, Argaing, Bézie). Le juge se prononcera par une seule décision, en commençant par le contentieux de l’annulation (les arrêts du Conseil d’Etat utilisent d’ailleurs le vocabulaire de « juge de l’excès de pouvoir » pour cette étape), pour ensuite envisager le reste des conclusions.
Il est en outre possible aujourd’hui de demander au juge statuant sur le REP d’enjoindre à l’administration de prendre une nouvelle décision en cas d’annulation de la décision attaquée, éventuellement sous astreinte (art. L 911-1 et s. du CJA).
L’absence de recours parallèle
Cette condition de recevabilité signifie que le REP n’est ouvert que dans la mesure où il n’existe pas d’autre recours juridictionnel susceptible d’aboutir lui aussi à l’annulation de l’acte : par exemple le recours fiscal contre une décision individuelle d’imposition devant le juge de l’impôt est un recours parallèle.
En 1912, le Conseil d’Etat énonce une exception importante à cette condition de recevabilité (CE, 8 mars 1912, Lafage) : lorsqu’un agent public conteste une décision de l’administration affectant sa situation pécuniaire (par exemple le refus de lui verser une prime, une indemnité de fonction, le supplément familial de traitement…), il doit intenter en principe un recours de plein contentieux, mais le juge administratif admet tout de même la recevabilité du REP contre la décision administrative si le requérant se borne à demander l’annulation de la décision. Cette jurisprudence Lafage s’explique par la volonté d’éviter au requérant de devoir payer des frais d’avocat pour un litige portant sur des sommes parfois faibles. Cette exception ne s’applique pas aux recours portés contre les états exécutoires (saisie contre un débiteur de l’administration) et les ordres de versement (invitation amiable à payer une somme due à l’administration) adressés par l’administration, ces recours relèvent du plein contentieux selon une jurisprudence de 1988 (CE, 27 avril 1988, Mbakam).
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