La police administrative est organisée autour d’une distinction essentielle (A) : la police générale (au singulier) et les polices spéciales (au pluriel). La police générale existe même en l’absence de texte pour l’organiser et est définie par son but (l’ordre public général) et son titulaire (Premier ministre, Préfets, présidents des conseils départementaux et maires). Organisées par la loi, chaque police spéciale autorise l’autorité de police désignée à agir dans certains domaines particuliers (ordre public spécial) et/ou selon une procédure spécifique. Dans les rapports entre ces polices, la question est alors de savoir qui peut agir et dans quels cas (B).
La distinction police générale / polices spéciales
Distinguer entre police générale et polices spéciales implique d’identifier un critère de distinction (1) avant d’en comprendre l’intérêt et les difficultés (2).
Le critère de la distinction
Dans la recherche d’un critère de distinction entre police générale (PG) et polices spéciales (PS), deux critères doivent être exclus :
- Critère organique : une même autorité administrative peut en effet exercer des activités correspondant aux deux sortes de police (ex. : le préfet ou le maire sont des autorités de PG et de PS).
- Critère géographique : la police générale n’est pas celle qui s’applique sur l’ensemble du territoire et la spéciale seulement sur une partie : ainsi, par exemple, la police municipale est une police générale, tandis que la police du cinéma sur l’ensemble du territoire est une police spéciale).
La distinction entre PS et PG se fait au niveau de l’objet et du régime juridique applicable :
La police générale a pour objet la préservation de l’ordre public tel que généralement défini. L’autorité de PG peut alors intervenir sans qu’un texte l’ait expressément prévu (CE, 1919, Labonne).
A contrario, les polices spéciales sont marquées par une spécificité qui peut se situer au niveau :
- du but poursuivi qui peut être un but plus précis d’ordre public ou légèrement différent ;
- de l’objet concerné par l’opération de police (activité particulière ou catégorie particulière de personnes).
La mise en place d’une police spéciale a pour objectif de répondre à un besoin spécialement identifié de l’administration dans le but de maintenir l’ordre public. Sont ainsi des polices spéciales : la police de la conservation des espèces (chasse et pêche), la police du cinéma, celles des étrangers ou encore celle des immeubles menaçant ruine. Toutes ces polices spéciales se traduisent par la mise en place d’un régime juridique spécifique sur le fondement d’un texte de loi.
L’intérêt et les difficultés de la distinction
Le régime juridique n’est pas le même pour la PG et les PS. Pour chaque police spéciale le régime applicable est celui prévu par le texte législatif spécifique qui la met en place. De plus, le contrôle effectué par le juge sur la mesure de police ne sera pas le même s’il est confronté à une opération de PG ou de PS.
Puisque le régime juridique est différent, il est nécessaire de savoir qualifier la mesure de police en cause (mesure de police générale ou de police spéciale), en se référant à l’existence ou non d’un texte législatif instituant une police spéciale.
L’impact d’une telle qualification est d’autant plus important qu’au-delà des pouvoirs différents des autorités, le contrôle du juge est lui aussi différent :
- PG : contrôle normal ou maximal (si la mesure de PG porte atteinte à une liberté publique) ;
- PS : contrôle restreint ou normal. Le juge considère que si le législateur soumet une activité à un régime de police spéciale c’est que cette activité est plus susceptible que d’autres de troubler l’ordre public. Il faut donc laisser une marge de manœuvre plus importante à l’administration dans la qualification juridique des faits et l’adéquation de la décision à la situation.
La distinction est tout aussi importante en cas de concours de polices, c’est-à-dire pour les interventions concurrentes et/ou successives de plusieurs autorités de police sur la même question (voir plus loin).
L’autorité compétente en matière de police administrative
Toute autorité administrative n’est pas une autorité de police, et il est fondamental de pouvoir les identifier (1). De plus, dès lors que la police générale permet normalement à l’autorité de police d’agir pour tout motif d’ordre public, se pose la question de son action lorsqu’en parallèle une autre autorité est elle aussi compétente, soit au titre de la police générale, soit au titre d’une police spéciale. C’est ce que l’on nomme les concours de polices (2).
Les titulaires des pouvoirs de police
Si le titulaire d’une police spéciale doit être explicitement déterminé par la loi qui la met en place, en matière de police générale la répartition est a priori. Sont par principe des autorités de police générale le Premier ministre et le président de la République à l’échelon central (a), ainsi que le maire et le préfet à l’échelon local (b). En la matière, et sauf circonstances exceptionnelles, il n’est pas possible pour ces autorités de déléguer ou transférer leurs pouvoirs de police générale (CE, ass, 1932, ville de Castelnaudary).
A l’échelon central
Avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946, le Président de la République était le titulaire de principe du pouvoir de police générale en lien avec le pouvoir réglementaire général (CE, 1919, Labonne), mais ce rôle a ensuite été dévolu au Président du Conseil (CE, 1960, SARL Restaurant Nicolas) puis sous la Vème République au Premier ministre (CE, 1973, association cultuelle des israélites nord africains de Paris). Le Président de la République conserve tout de même des pouvoirs de police générale dans le cadre de décrets délibérés en Conseil des ministres ou dans celui, exceptionnel, de la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution.
Les autres ministres ne disposent pas de pouvoirs de police générale, seulement de pouvoirs de police spéciale.
A l’échelon local
Le maire est l’autorité de police de principe à l’échelon communal. Selon l’article L. 2212-1 CGCT, il est en effet le titulaire du pouvoir de police générale dans la commune, qu’il exerce seul, au nom de la commune et sans besoin d’une autorisation du conseil municipal. Il est également le titulaire de différentes polices spéciales (habitat insalubre, circulation et stationnement…) qu’il peut toutefois transférer au président d’un établissement public de coopération intercommunale auquel participe sa commune. Dans certains cas (art. L. 5211-9-2 CGCT), ce transfert sera d’ailleurs obligatoire sauf opposition du maire concerné.
Le préfet est l’autorité de principe de police générale et de police spéciale à l’échelon départemental, dès lors que la mesure excède les limites territoriales d’une seule commune. Il exerce la police de la circulation sur les routes nationales hors agglomération dans le département. Il dispose également de toute une série de polices spéciales : la police des aliénés, la police des étrangers, de la chasse et de la pêche… A cet échelon, le président du conseil départemental dispose également de certaines polices spéciales en matière de gestion domaniale.
Dans les communes à police étatisée (L. 2214-1 CGCT), c’est-à-dire notamment les chefs-lieux de département et, si établies par arrêté ou décret, les communes ou ensemble de communes de plus de 20 000 habitants où « les caractéristiques de la délinquance sont celles des zones urbaines » (R. 2214-2 CGCT), le pouvoir de police générale est partagé entre le maire et le préfet. Les forces de police étatisées sont chargées d’exécuter les arrêtés de police du maire et le préfet est seul compétent pour tout ce qui concerne la tranquillité publique, sauf en matière de troubles de voisinage (L. 2214-4 CGCT).
En outre, en cas de carence des autorités locales et au titre de l’article L. 2215-1 CGCT, le préfet peut se substituer au maire ou au président du conseil départemental après les avoir mis en demeure d’exercer leur pouvoir de police pour une situation donnée. Ainsi, face à un immeuble menaçant ruines, le préfet peut intervenir, après avoir mis en demeure le maire de le faire, si celui-ci n’en interdit pas l’accès au public.
Enfin, la ville de Paris est soumise à un régime spécial de police dès lors que le préfet de police de Paris détient la quasi-totalité des pouvoirs de police générale et certains des pouvoirs de police spéciale (L. 2512-13 CGCT). Pour la police générale, n’échappe à sa compétence que ce qui relève de la salubrité publique.
Le concours des pouvoirs de police
Puisque différentes autorités peuvent agir à différents niveaux, il peut arriver qu’elles entrent en concurrence sur une situation. Il est alors important de savoir comment régler ces cas, que ce soit dans le cadre de l’intervention de deux autorités de PG (a), d’une autorité de PG et d’une autorité de PS (b) ou de deux autorités de PS (c).
Le concours de police générale
La question de l’action concurrente de deux autorités de police générale sur un même domaine a été réglée par la jurisprudence dès 1902 (CE, 1902,commune de Néris-les-Bains etCE, 1919, Labonne). Dans la première espèce, le préfet de l’Allier interdit au titre de son pouvoir de police générale les jeux d’argent dans tous les lieux publics du département, avec des exceptions possibles pour les stations thermales. Usant lui aussi de son pouvoir de police générale, le maire de Néris-les-Bains prend par la suite un arrêté portant interdiction totale de ces jeux dans les lieux publics de sa commune. Analysant ce concours de polices, le juge du Conseil d’État considère que l’autorité à compétence territoriale plus limitée peut intervenir au titre de son pouvoir de police générale si une autorité à compétence plus large est déjà intervenue, mais seulement pour renforcer la sévérité de la mesure au regard de circonstances locales particulières. Le juge confirme cette approche dans l’affaire Labonne selon laquelle le fait que le Chef de l’État ait le pouvoir de police générale n’empêche pas le préfet d’intervenir à son tour, à condition de prendre des mesures plus sévères.
Le concours entre polices spéciales
La répartition des compétences entre autorités titulaires d’une même police spéciale est organisée par le texte qui institue cette police. S’agissant des concours entre polices spéciales différentes, chaque autorité intervient au titre de ses compétences pour l’activité en cause. Les actions ne sont alors pas concurrentes, mais généralement successives. Ainsi par exemple, en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement soumises à autorisation (c’est-à-dire des installations dont les activités présentent de graves dangers notamment pour la santé, la sécurité publique ou l’environnement), c’est le maire qui délivre le permis de construire (police de l’urbanisme) et le préfet qui autorise l’ouverture (police des ICPE).
Le concours police générale / police spéciale
Pour le concours entre une police spéciale et une police générale, et sauf texte particulier qui le prévoirait, il n’existe pas une solution simple et unique.
Certains rares domaines autorisent l’utilisation d’un pouvoir de police générale en concurrence avec une mesure de police spéciale en cas de circonstances locales particulières la justifiant et tant que la mesure locale n’allège pas les restrictions prévues par la mesure de police spéciale. C’est le cas en matière de police spéciale du cinéma, par laquelle le ministre de la Culture est en charge des visas d’exploitation, voire de la censure d’un film pour trouble à l’ordre public, incluant la protection des mineurs. Toutefois le fait que le ministre accorde un visa à un film n’empêche pas le maire d’agir ensuite au titre de son pouvoir de police générale pour interdire ou limiter sa projection dans sa commune dès lors qu’il peut démontrer des circonstances locales particulières (CE, 1959, société les films Lutetia). Il en est de même en matière de police des publications présentant un danger pour la jeunesse (CE 9 oct. 1996, Commune de Taverny c. Société Comareg Ile-de-France).
Dans un sens proche, certaines polices spéciales autorisent une intervention concurrente de l’autorité de police générale mais seulement en cas de péril imminent. Il en est ainsi pour la police des installations classées (CE, 1965, Consorts Alix), celle des activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds (CE, 1997, Société AS Conseil formation) ou encore celle des réquisitions de logements (CE, 1938, Fichot).
Au contraire, certaines polices spéciales sont considérées par le juge comme exhaustives, c’est-à-dire comme se suffisant à elles-mêmes pour tout ce qui touche au domaine particulier en cause, excluant alors toute intervention de police générale en complément. Il en est ainsi pour la police des transports ferroviaires (CE, 1914, Gurnez), celle de la circulation aérienne (CE, ass., 1930, Compagnie aérienne française et Chambre syndicale de l’industrie aéronautique) et des produits phytosanitaires (CE, 2020, Commune d’Arcueil).
En tout état de cause, le juge administratif a tendance depuis quelques années à restreindre les possibilités de concours entre police générale du maire et police spéciale de l’État. Ainsi pour certaines matières, alors que le juge considérait au départ une action possible de l’autorité de police générale en cas de péril imminent, il a par la suite transformé la police spéciale en police exhaustive. C’est le cas en matière d’antennes-relais de téléphonie mobile (police spéciale des communications électroniques). En 2011, le juge considère qu’une intervention de police générale du maire est possible en cas de péril imminent (CE, 2011, commune de Saint Denis). L’année suivante, il revient sur cette approche, écartant toute intervention possible de l’exécutif local en la matière (CE, 2012, commune de St Pierre d’Irube). Il en va de même concernant la police des organismes génétiquement modifiés (CE, 2012, commune de Valence).
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