Autrefois placée en haut de la hiérarchie des normes, comme expression de la volonté souveraine du Parlement, la loi n’occupe aujourd’hui que le deuxième rang dans la hiérarchie des normes internes (et un rang encore inférieur dans la hiérarchie des normes globale dès lors que doivent être respectées les normes supranationales).
De plus, le terme lui-même de « loi » n’est pas des plus explicites : toutes les normes appelées « loi » n’ont pas forcément une valeur législative alors que d’autres normes ne portant pas ce nom peuvent avoir une valeur législative (A).
Enfin, alors que le législateur pouvait autrefois tout faire, la Constitution de 1958 a limité son domaine d’action, ce qui n’est pas sans conséquences sur la manière dont elle s’impose à l’administration (B.).
Les différents types de « lois »
En France, la loi est définie comme un acte général et impersonnel voté par le Parlement selon la procédure législative prévue par la Constitution, à l’issue d’une discussion publique entre représentants élus de la Nation. Toutefois, cette définition ne s’applique qu’à l’une des normes appelées « loi » (1) et ne prend pas en compte certains actes de l’exécutif ayant valeur législative (2).
Les normes appelées « lois »
La Constitution de 1958 distingue aujourd’hui entre trois types de lois : les « lois référendaires » (articles 11 et 89), les « lois organiques » (notamment mentionnées aux articles 6, 11, 13, 23, 25…), les lois ordinaires (articles 24 et 34) et les « lois du pays de Nouvelle-Calédonie » (Accord de Nouméa du 5 mai 1998 mentionné à l’article 76). Certaines ont une valeur constitutionnelle (lois référendaire de l’article 89) ou quasi-constitutionnelle (lois organiques), d’autres ont une valeur législative (lois référendaires de l’article 11 et lois ordinaires) ou quasi-législative (« lois du pays »). Certaines sont adoptées par le Parlement (lois organiques et ordinaires), d’autres directement par le Peuple (lois référendaires), d’autres encore par le Congrès de Nouvelle-Calédonie (lois du pays).
Lois référendaires
Les lois référendaires forment un ensemble normatif particulier dès lors qu’elles sont l’expression directe du peuple souverain consulté lors d’un référendum. Elles ont pour objet de modifier la Constitution (article 89) ou simplement d’adopter une norme de valeur législative (article 11).
Alors que toutes les normes législatives peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la constitutionnalité des lois référendaires adoptées sur le fondement de l’article 11 au motif qu’elles « constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » (CC, 6 nov. 1962 n° 20DC). Elles conservent pourtant une valeur législative et pourront être modifiées selon la procédure ordinaire (sauf le cas particulier et exceptionnel de l’utilisation en 1962 par Charles de Gaulle de l’article 11 de la Constitution pour procéder à la révision de l’article X de la Constitution sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Dans ce cas-là, la norme finale est de valeur constitutionnelle).
Lois organiques
Les lois organiques ont pour objet de compléter la Constitution lorsque celle-ci le prévoit explicitement (ainsi par exemple selon l’article 25 de la Constitution, une loi organique doit intervenir pour fixer la durée des pouvoirs de chaque assemblée). Ces « lois » sont votées par le Parlement selon une procédure spécifique et obligatoirement soumises au contrôle du Conseil constitutionnel avant leur promulgation. Elles s’imposent aux lois ordinaires et à l’administration.
Sont également assimilées à ces lois organiques certaines ordonnances prises par le Gouvernement lors de la mise en place des institutions de 1958. Ces ordonnances ont valeur de lois organiques et s’imposent aux lois ordinaires et aux actes administratifs.
Lois ordinaires
Les lois ordinaires sont les lois adoptées par le Parlement selon la procédure législative prévue par l’article 45 de la Constitution et intervenant dans le domaine tel que défini par ses articles 34 et 37. Ces lois ordinaires s’imposent à l’ensemble des actes de l’administration qu’elles ont vocation à régir, à quelque niveau que ce soit.
À ce principe, il faut apporter deux tempéraments.
D’une part, le législateur empiète parfois sur le domaine règlementaire, en d’autres termes, certaines dispositions figurant dans des lois n’ont en réalité qu’une valeur réglementaire, ce qui permettra au pouvoir réglementaire de les modifier s’il le souhaite, après mise en oeuvre d’une procédure spécifique dite de délégalisation (art. 37-2 de la Constitution).
D’autre part, certaines dispositions figurant dans les lois ne sont que de simples déclarations d’intention, elles n’ont pas alors de valeur normative et ne s’imposent donc pas aux autorités subordonnées. Depuis les années 2000, le Conseil constitutionnel en est venu à censurer de telles dispositions non-normatives, par exemple lorsqu’il constate l’inconstitutionnalité du paragraphe II de l’article 7 de la loi d’orientation et de programme de l’école qui déclare pour partie : « l’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves » (CC, 21 avr. 2005, n° 2005-512 DC).
Lois du pays de Nouvelle-Calédonie
Il existe enfin les lois du pays de Nouvelle-Calédonie : votées par le congrès de Nouvelle Calédonie, ces actes ont valeur législative pour ce territoire et sont soumises au contrôle du Conseil constitutionnel (titre 2.1.3 de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998).
Au contraire, les lois du pays de Polynésie n’ont pas valeur législative mais sont plutôt assimilées à des règlements administratifs car elles relèvent du contrôle du Conseil d’État, juge de l’administration (article 140 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française).
Actes de l’exécutif ayant valeur législative
Le cas des ordonnances
Parmi les ordonnances prises par l’Exécutif, certaines ont valeur législative, d’autres non.
Les anciennes ordonnances de l’article 92 de la Constitution de 1958 (article désormais supprimé depuis la révision du 4 août 1995) sont les actes adoptés par le Gouvernement au cours des 6 premiers mois d’existence de la Vème République pour permettre la mise en place des nouvelles institutions. Ces ordonnances ont été très nombreuses (environ 300 textes), les plus importantes ont valeur de loi organique (elles ne peuvent donc être modifiées que par la loi selon la procédure de l’article 46 de la Constitution) ; d’autres ont valeur de lois ordinaires et peuvent donc être modifiées par une loi ordinaire.
Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution n’ont qu’une valeur réglementaire tant qu’elles n’ont pas été ratifiées par le Parlement (de manière nécessairement explicite depuis la révision constitutionnelle de 2008). Dans cet intervalle, elles peuvent être soumises au juge administratif qui pourra les contrôler par rapport aux normes supérieures, et notamment par rapport à la loi par laquelle le Parlement a habilité le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance. Dès que le Parlement les a ratifiées, elles acquièrent valeur législative et le juge administratif ne peut plus les contrôler que dans le cadre du contrôle de conventionnalité, comme détaillé au chapitre suivant.
En revanche les ordonnances référendaires (actes pris par le Président de la République dans le domaine de la loi sur habilitation donnée par référendum comme ce fut le cas lors du referendum du 8 avril 1962 sur les accords d’Évian) sont considérées par le juge administratif comme des actes administratifs soumis à son contrôle (CE, 19 octobre 1962, Canal : le juge annule une ordonnance référendaire du général de Gaulle comme contraire aux droits de la défense).
Les actes adoptés par le Président de la République dans le cadre de l’article 16 de la Constitution
L’article 16 relatif aux pouvoirs de crise permet au Président de la République de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face à une situation menaçant « de manière grave et immédiate […] les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux ». À ce titre, il peut notamment prendre des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi. Le juge administratif considère que l’article 16 de la Constitution habilite le Chef de l’État à agir dans le domaine de la loi, que ces actes ont dès lors valeur législative et qu’il ne peut donc pas les contrôler (CE ass, 2 mars 1962, Rubin de Servens).
Mais le Conseil constitutionnel ne peut pas non plus les contrôler car il ne s’estime compétent que pour contrôler la constitutionnalité des actes votés par le Parlement. Cette situation est évidemment problématique au regard de l’État de droit. Seule une destitution pourrait être prononcée par le Parlement (article 68 de la Constitution).
Le domaine de la loi
La constitution de 1958 est censée avoir opéré une révolution juridique en délimitant le domaine de la loi, alors que jusqu’ici la tradition républicaine permettait au Parlement de légiférer dans tout domaine en se fondant sur l’idée que la loi constitue la garantie suprême contre l’arbitraire et que le Parlement est le protecteur des libertés.
À partir de 1958 au contraire, les articles 34 et 37 de la Constitution assignent au législateur une compétence d’attribution et, en apparence du moins, au pouvoir réglementaire une compétence de principe pour l’édiction de normes générales et impersonnelles (1). Mais la pratique et la jurisprudence ont en partie relativisé la portée de ce changement (2)
La répartition opérée par la constitution
L’article 34 de la Constitution énumère les matières dans lesquelles le législateur est compétent, le reste relevant du pouvoir réglementaire (article 37). En définissant limitativement le domaine de compétence normative du pouvoir législatif, cette approche laisse entrevoir la place fondamentale de l’exécutif au sein des institutions de la Ve République.
Les matières pour lesquelles le législateur est compétent restent tout de même les plus importantes et les plus nombreuses. À l’énumération de l’article 34, il faut ajouter les dispositions du Préambule constitutionnel qui renvoient elles aussi fréquemment à la compétence législative, c’est le cas notamment de la Charte de l’environnement dont certains articles enjoignent au législateur le soin de les préciser.
L’article 34 opère en outre une distinction entre d’une part les matières dans lesquelles la loi fixe les règles (c’est le cas notamment des garanties accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, de l’état et de la capacité des personnes, de la détermination des crimes et délits…), et d’autre part les matières dans lesquelles elle ne fixe que les principes fondamentaux (enseignement, propriété, obligations civiles et commerciales…), charge dans ce cas au pouvoir règlementaire de venir les compléter.
Cette répartition conduit à distinguer deux formes du pouvoir règlementaire :
- d’une part le pouvoir réglementaire autonome, pour tous les actes règlementaires qui interviennent dans les matières ne relevant pas de la compétence législative. Ce pouvoir est dit « autonome » car sa compétence n’est pas fondée sur une loi, mais directement sur la constitution. Le champ de ce pouvoir autonome est en définitive relativement étroit : il s’agit essentiellement de la procédure administrative non contentieuse, de l’organisation interne de l’administration et de la détermination des peines contraventionnelles non privatives de liberté. Ce à quoi il faut ajouter le pouvoir règlementaire reconnu depuis très longtemps par la jurisprudence en matière de police administrative (CE, 8 août 1919, Labonne). Attention, les actes adoptés par le pouvoir réglementaire autonome conservent une valeur infra-législative.
- d’autre part le pouvoir réglementaire d’exécution des lois, pour tous les actes qui viennent compléter la loi et en permettre une application concrète. Ces actes réglementaires se fondent sur la loi et lui sont complètement subordonnés. Le champ d’intervention du pouvoir réglementaire d’exécution est en principe plus important pour les matières dans lesquelles la loi ne fixe que les principes fondamentaux que lorsqu’il s’agit de matières dans lesquelles elle fixe également les règles.
Dans tous les cas, ces actes réglementaires, qu’ils soient autonomes ou d’exécution des lois, relèvent du contrôle du juge administratif en cas de litige.
Les sanctions de la répartition
Tant le pouvoir réglementaire que le pouvoir législatif sont susceptibles en pratique d’empiéter, par leurs actes, sur le domaine de l’autre. Toutefois, des mécanismes existent pour préserver leurs domaines de compétence respectifs.
La protection du domaine réglementaire
La Constitution de 1958 prévoit plusieurs possibilités pour empêcher le législateur d’empiéter sur le domaine du pouvoir réglementaire :
- l’article 37 al. 2 permet au gouvernement de modifier par décret pris après avis du Conseil d’État toute disposition d’une loi empiétant sur le domaine réglementaire. Ce processus dit de « délégalisation » n’implique pas d’autre action pour toutes les lois promulguées avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. En revanche, s’il s’agit d’une loi promulguée après l’entrée en vigueur de cette Constitution, le gouvernement devra d’abord saisir le Conseil constitutionnel qui se prononcera sur la nature de la disposition en cause. S’il en confirme la nature réglementaire, le gouvernement pourra alors la modifier par Décret.
- l’article 41 permet au gouvernement d’empêcher la discussion d’une disposition de nature réglementaire au cours de la procédure législative en opposant son irrecevabilité.
- l’article 61 devrait en principe permettre de saisir le Conseil constitutionnel d’une loi votée dans le domaine du règlement pour en obtenir l’annulation. Mais le Conseil constitutionnel a de manière étonnante refusé de censurer une telle loi du fait de l’existence des autres procédures permettant au gouvernement de récupérer sa compétence (CC, 30 juillet 1982, Blocage des prix et des revenus).
La protection du domaine législatif
Tout acte réglementaire qui empiète sur le domaine de la loi viole la Constitution et est contraire à la hiérarchie des normes. Il appartient alors au juge administratif saisi d’un recours d’annuler ce règlement pour incompétence de son auteur.
Cette situation résulte parfois de l’inaction, volontaire ou non, du législateur. Il en est ainsi lorsque celui-ci n’a pas usé de sa compétence pour préciser telle ou telle disposition constitutionnelle renvoyant au législateur le soin d’intervenir. Tel a par exemple été le cas pour la mise en œuvre de la Charte de l’environnement. En 2006, alors que l’article 7 de la Charte prévoit que la loi détermine « les conditions et les limites » du droit d’accès à l’information en matière environnementale, le législateur n’est pas encore intervenu et le gouvernement adopte un décret instaurant notamment des modalités d’information et de publicité en matière de règles applicables aux lacs de montagne. Le Conseil d’État censure alors cette disposition pour incompétence (CE, 3 octobre 2008, commune d’Annecy). Le législateur ne semblant pas très enclin à mettre en œuvre rapidement la Charte de l’environnement, la situation se reproduira par la suite pour l’article 3 relatif au principe de prévention (CE, 24 juillet 2009, Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, n°305314). Seule une situation de nécessité impérieuse peut permettre de déroger à ce constat d’incompétence (CE, 7 juillet 1950, Dehaene : à propos de la réglementation du droit de grève).
Le législateur ne peut non plus déléguer au pouvoir réglementaire le soin d’intervenir dans le domaine législatif. Cette situation dite d’ « incompétence négative » est susceptible d’être censurée par le Conseil constitutionnel s’il est saisi avant la promulgation de la loi (CC , 1er juillet 1980, Loi d’orientation agricole), ou, en cas de QPC, si cette délégation affecte un droit ou une liberté fondamentaux (CC, 18 juin 2010, n° 2010-5 QPC).
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