III. Les sources infra-législatives

Situées comme leur nom l’indique en-dessous de la loi dans la hiérarchie des normes, les normes infra-législatives n’existent pas comme un bloc monolithique de sources de même valeur. Au sein des actes administratifs existe en effet une hiérarchie (A), à laquelle il faut également intégrer les principes jurisprudentiels que sont les principes généraux du droit (B).

La hiérarchie interne aux actes administratifs

Lorsqu’elles adoptent des actes administratifs, les autorités administratives sont tenues de respecter, outre les normes législatives et supérieures, tous les autres actes administratifs qui s’imposent à elles pour l’exercice de leur pouvoir.

De manière schématique – nous reviendrons sur cette question dans les chapitres suivants – il existe deux grands types d’actes administratifs : les actes administratifs unilatéraux (AAU) et les contrats administratifs. Au sein des AAU, il faut distinguer entre les actes réglementaires (généraux et impersonnels, c’est-à-dire qui ont vocation à régir n’importe quelle situation présentant les caractéristiques qu’ils énoncent) et les actes individuels (spécifiques et personnels, c’est-à-dire qui ont vocation à régir une situation individuelle donnée et visent nommément une ou plusieurs personnes). Une exception à cette distinction : les actes d’organisation d’un service public sont considérés par le juge comme réglementaires par principe (CE, 1969, Commune de Clefcy). Par exemple, un acte de dissolution d’un établissement public, alors même qu’il vise nommément une personne morale unique, est considéré comme réglementaire (CE, 1989, Me Saubot).

Pour ces deux types d’actes unilatéraux, il faut donc prendre en compte la hiérarchie qui existe entre les actes réglementaires (1), et celle qui règle les relations entre les actes réglementaires et les actes individuels (2).

La hiérarchie entre les actes réglementaires

La hiérarchie entre les actes réglementaires est fondée a priori sur la hiérarchie des autorités administratives, et donc sur l’organisation pyramidale de l’administration, avec à son sommet le Président de la République et le Premier ministre.

Il faut donc distinguer, dans l’ordre, entre :

  • les décrets réglementaires en Conseil d’Etat adoptés en Conseil des ministres et signés par le Président de la République. Un décret en Conseil d’État est un décret adopté après avis du Conseil d’État. Lorsqu’elles sont codifiées, les dispositions de ces décrets sont précédées de la lettre « R* » ;
  • les décrets réglementaires simples adoptés en Conseil des ministres et signés par le Président de la République. Lorsqu’elles sont codifiées, les dispositions de ces décrets sont précédées de la lettre « D* » ;
  • les décrets en Conseil d’État signés par le Premier ministre. Lorsqu’elles sont codifiées, les dispositions de ces décrets sont précédées de la lettre « R. » ;
  • les décrets simples signés par le Premier ministre. Lorsqu’elles sont codifiées, les dispositions de ces décrets sont précédées de la lettre « D. ».

Un décret de rang inférieur ne peut modifier les dispositions d’un décret de rang supérieur (CE, 19 fév. 2010, n°322407), l’inverse étant en revanche possible.

Ces décrets réglementaires se situent donc au sommet de la hiérarchie des actes administratifs et ils s’imposent notamment aux autres actes réglementaires.

Viennent ensuite les arrêtés, c’est-à-dire les actes des pouvoirs réglementaires spécialisés (un tel pouvoir spécialisé est conféré à une autorité administrative par la loi ou par délégation d’une autre autorité administrative). Ces actes respectent là aussi la hiérarchie des organes (ex : les arrêtés du ministre de l’Intérieur s’imposent aux arrêtés des préfets ou des maires. Les arrêtés préfectoraux s’imposent aux maires qui relèvent de la compétence territoriale du préfet en cause).

Enfin, il faut prendre en compte les circulaires. Une circulaire est un document rédigé par le chef de service d’une administration, destiné à ses subordonnés, et visant à faire passer une information ou une consigne sur le fond ou la procédure du service. Souvent simplement informatives, elles peuvent présenter dans certains cas un caractère impératif et s’inscrire dès lors dans la hiérarchie des normes (CE, 2002, Duvignères).

La hiérarchie entre les actes réglementaires et les actes individuels

Lorsque les deux actes, règlementaire et individuel, relèvent du même champ d’intervention, il y a toujours supériorité de l’acte réglementaire :

  • La supériorité apparaît clairement lorsque l’acte réglementaire est édicté par une autorité supérieure à celle qui a édicté l’acte individuel en cause et concernant le même domaine. Ainsi par exemple, pour la gestion des carrières des agents municipaux, le maire d’une commune doit respecter les décrets appliquant les dispositions législatives sur la fonction publique territoriale.
  • La solution est la même si les autorités édictant actes individuel et réglementaire sont identiques : quand une autorité édicte une mesure individuelle, elle doit respecter les mesures réglementaires qu’elle a elle-même adoptées dans le domaine. Par un acte individuel elle ne peut pas accorder de dérogation à un acte réglementaire qui ne le prévoit pas (ex : CE, 1930, Aubanel : à propos d’un ministre qui avait refusé d’appliquer à certains fonctionnaires les conditions d’attribution d’allocation préalablement fixées par lui-même par acte réglementaire).
  • Enfin les actes individuels sont toujours subordonnés aux règlements intervenant dans le même domaine y compris lorsque l’acte individuel est édicté par une autorité ayant un pouvoir territorial plus large que celle qui a édicté le règlement. Ainsi la délivrance par le préfet d’un permis de construire pour un lycée (AAU individuel) doit respecter le plan local d’urbanisme élaboré par la commune (AAU réglementaire).

Les principes jurisprudentiels : les principes généraux du droit

Lorsqu’il tranche un litige, le juge constate le droit positif et l’applique à l’affaire. Tandis que l’édiction de la norme relève des autorités politiques, le juge ne peut qu’interpréter ces normes sans se substituer à ces autorités. Toutefois, par son interprétation, le juge n’est pas seulement la bouche de la loi, mais il doit faire des choix entre plusieurs significations possibles des normes. Ces choix ont une portée dans l’ordonnancement juridique. De plus, le juge administratif n’a cessé par sa jurisprudence de forger les règles applicables aux litiges portés devant lui ; il a donc, dans le silence des textes ou face à leur flou, largement « créé » les normes applicables en droit administratif : on parle alors de principes jurisprudentiels, sous la forme de principes généraux du droit.

Les principes généraux du droit (PGD) sont des principes jurisprudentiels dégagés par le juge administratif « à partir des conceptions idéologiques de la conscience nationale et / ou d’une masse de textes constitutionnels, internationaux ou législatifs » (Frier et Petit, Droit administratif, LGDJ). Par sa jurisprudence, le juge les impose à l’ensemble des autorités administratives, mais leur place exacte dans la hiérarchie des normes est discutée en doctrine. Ils ont une valeur infra-législative mais supra-décrétale selon René Chapus.

Avant 1971, ils ont été utilisés par le juge administratif pour contrer l’absence de valeur normative de la DDHC. Ainsi, dès 1913, le Conseil d’Etat a reconnu la valeur juridique du principe d’égalité figurant dans cette déclaration et en a imposé le respect au pouvoir réglementaire (CE, 1913, Roubeau) sans pour autant statuer sur la valeur juridique de l’ensemble de la DDHC. En 1954, face au refus du gouvernement d’autoriser des candidats communistes à passer le concours d’entrée à l’ENA, le Conseil d’Etat juge que le Ministre « ne saurait méconnaître le principe de l’égalité d’accès de tous les Français aux emplois et fonctions publics [en écartant] de ladite liste un candidat en se fondant uniquement sur ses opinions politiques » (CE, 1954, Barel). En exprimant ce principe, le juge reconnait indirectement une valeur normative tant à l’article 6 de la DDHC qu’à l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946. Et en 1959 (CE, 1959, syndicat général des ingénieurs conseils), le juge reconnaît explicitement que les PGD « résultant notamment du préambule de la Constitution, s’imposent à toute autorité réglementaire », notamment au pouvoir réglementaire autonome, « même en l’absence de dispositions législatives ».

Depuis 1971, et la reconnaissance par le Conseil constitutionnel de la normativité de l’ensemble du bloc de constitutionnalité, ces PGD issus du Préambule de la Constitution ont perdu de leur utilité, sauf à vouloir contourner le principe de la loi écran. Par exemple, dès lors que le principe d’égalité est à la fois un PGD et un droit constitutionnellement reconnu, en cas de loi-écran, le juge administratif pourra toujours appliquer le PGD d’égalité.

En outre, tous les PGD ne sont pas tirés du Préambule, tels celui d’interdiction faite à l’administration de licencier une femme au motif qu’elle est enceinte, un principe tiré du Code du travail qui n’est pas applicable à l’administration (CE, 1973, dame Peynet), ou encore celui de l’interdiction faite à l’employeur d’infliger des amendes ou des sanctions pécuniaires à ses employés (CE, ass., 1988, Billard et Volle).

Le juge administratif a également eu recours à la notion de PFRLR (principes fondamentaux reconnus par les lois de la République évoqués mais non détaillés dans le Préambule de 1946) et relevant plutôt de l’oeuvre jurisprudentielle du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat a ainsi énoncé un nouveau PFRLR en 1996 (CE, 1996, Moussa Koné : principe de non extradition dans un but politique) : il s’agissait alors d’interpréter une convention d’extradition (de valeur supra législative) sur laquelle se fondait le décret d’extradition attaqué.

En matière de droits et libertés, et au-delà de la normativité de la DDHC et du Préambule de 1946, c’est également la Convention européenne des droits de l’Homme qui vient aujourd’hui « remplacer » nombre de possibles PGD dans le contrôle des actes administratifs. Ces derniers ont en ce sens une place de plus en plus limitée, et les nouveaux PGD exprimés par le juge visent principalement à combler des lacunes normatives sur des points très spécifiques (ex. : CE, 28 juin 2011, A. : le droit pour tout agent public à la protection fonctionnelle par son employeur public en cas de poursuites pénales, hors toute faute personnelle).

***

Si les sources internes constituent la majorité des normes applicables aux actions de l’administration, le développement important de sources internationales, notamment dans le cadre de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, oblige le juge à des interprétation parfois complexes. C’est ce que nous allons voir maintenant dans le chapitre 2 qui leur est consacré.

Pour citer cette page : Marie-Joëlle Redor-Fichot et Xavier Aurey, « III. Les sources infra-législatives », Introduction au droit administratif, Fondamentaux, 2024 [https://fondamentaux.org/?p=1287]

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