La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à laquelle sont parties 47 Etats dont la France et les Etats membres de l’Union européenne, ne concerne comme son nom l’indique que la protection des droits humains, une protection déjà assurée en principe par la Constitution du 4 octobre 1958 avec des libellés toutefois différents, et prise partiellement en compte par le droit de l’Union européenne. Cette dernière n’est cependant pas partie en tant que telle à la CEDH.
Il s’ensuit que les relations entre CEDH, Préambule constitutionnel et Droit de l’Union s’avèrent relativement complexes même si les juges tentent d’éviter le conflit entre droit de l’Union et CEDH d’une part (A), mais aussi entre Constitution de 1958 et CEDH d’autre part (B).
La question de la conformité du droit de l’Union européenne à la CEDH
Parallèlement au droit de l’Union, la France est engagée par tous les autres traités qu’elle a ratifiés. Parmi ces traités figure notamment la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) adoptée non pas dans le cadre de l’Union européenne mais dans celui du Conseil de l’Europe.
En droit international, il n’existe pas de hiérarchie entre les traités. Et pour la Cour européenne des droits de l’Homme, l’État ne peut pas se cacher derrière son obligation européenne de transposition d’une directive pour échapper à ses obligations à l’égard de la Convention européenne des droits de l’Homme (Cour EDH, 1996, n° 17862/91, Cantoni c. France). La France peut donc être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour non respect de la CEDH lorsqu’elle transpose une directive de l’UE qui serait elle-même contraire à la Convention. À l’inverse, elle peut être condamnée par la CJUE pour non respect du droit de l’Union si elle refuse de transposer une directive qui serait potentiellement contraire à la CEDH.
L’Union européenne a tenté de résoudre ce problème en intégrant les droits énoncés par la CEDH dans le droit de l’Union. Ainsi, en 1999, le Traité de Maastricht introduit un article (article F § 2, devenu ensuite 6 § 3 du Traité sur l’Union européenne) qui reconnait aux droits fondamentaux garantis par la CEDH le statut de principes généraux du droit de l’Union européenne. Il institutionnalise par là-même une jurisprudence ancienne de la Cour de justice, même si celle-ci ne mentionnait alors pas explicitement la CEDH mais seulement les « droits fondamentaux » (CJCE, 1969, aff. C-29/69, Eric Stauder c. Ville d’Ulm).
De son côté, la Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît en 2005 qu’il existe une équivalence des protections des droits fondamentaux entre le système de l’Union européenne et celui de la CEDH (Cour EDH, Grande Chambre, 2005, n° 45036/98, Bosphorus c. Irlande). En ce sens, pour toutes les actions d’un État qui relèvent d’une application directe et immédiate du droit de l’Union, sans marge de manœuvre nationale, il existe une présomption de respect de la CEDH dont le contrôle est effectué par la Cour de justice de l’Union européenne.
En 2008, le Conseil d’État met en œuvre cette série d’arrêts pour considérer que face à la mise en cause de la conventionnalité d’une directive précise et inconditionnelle et de la loi qui la transpose au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme, il peut écarter le moyen en l’absence de difficulté sérieuse de compatibilité, ou, dans le cas contraire, saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle (CE, 2008, Conseil national des Barreaux).
En 2009, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne ajoute un article 6 § 2 au Traité sur l’Union européenne selon lequel « L’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Toutefois, dans un avis de 2014, la CJUE a considéré que le projet d’adhésion de l’Union à la CEDH était contraire au droit de l’Union européenne. Les négociations ont alors été rompues et n’ont été reprises que début 2020. Elles sont encore en cours.
Un contrôle de constitutionnalité qui ne dit pas son nom
Il arrive que le contrôle de conventionalité d’une loi place le juge administratif dans une position inconfortable à l’égard du Conseil constitutionnel. Par exemple, un traité comme la Convention européenne des droits de l’Homme contient des dispositions très proches de celles du Préambule de 1946 et de la DDHC. En contrôlant la conformité d’une loi à la CEDH, le juge administratif est parfois conduit à apprécier la conformité de la loi à des dispositions similaires de celles que l’on trouve dans la Constitution. Le contrôle de conventionnalité se transforme alors en un contrôle de constitutionnalité qui ne dit pas son nom. Cette question est d’autant plus sensible qu’il est possible qu’une loi jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (CC, 1994, n° 93-332 DC, Loi relative à la santé publique et à la protection sociale) soit par la suite considérée par la Cour européenne des droits de l’Homme comme violant la convention européenne (Cour EDH, 1999, Zielinski, Pradal et Gonzales c. France).
Face à la place toujours plus importante de la CEDH dans la jurisprudence administrative et judiciaire sur la protection des droits et libertés, la révision de 2008 créant la QPC visait à réaffirmer la primauté de la Constitution et le rôle du Conseil constitutionnel comme protecteur des droits et libertés constitutionnellement garantis.
En principe, face à un droit également protégé par la Constitution et un texte international, le contrôle de conventionalité va se trouver partiellement bloqué car la QPC est prioritaire : la constitutionnalité de la loi est jugée avant sa conventionalité. Si le Conseil constitutionnel estime que la loi est contraire à la Constitution, elle est abrogée et le contrôle de conventionnalité perd tout objet. Si en revanche, il estime que la loi est conforme à la Constitution, il sera sans doute plus difficile pour le juge ordinaire de la déclarer incompatible avec un traité au contenu comparable au Préambule de la Constitution.
Toutefois, il est nécessaire que les requérants soulèvent une QPC en même temps qu’une violation d’une disposition internationale pour que ce cas de figure se présente. Dès lors que le juge ordinaire peut immédiatement juger de la conventionnalité d’une loi sans devoir attendre le temps de la procédure liée à la QPC, dès lors aussi que les normes à sa disposition sont plus larges, les requérants pourront préférer ne soulever que l’exception d’inconventionnalité (comme par exemple dans l’affaire sur l’arrêt des traitements de Vincent Lambert : CE, ass., 2014, Mme F. I.).
Il n’existe pour le moment pas d’affaire dans laquelle le Conseil d’État aurait écarté une disposition législative au titre de l’exception d’inconventionnalité, alors que cette même disposition avait auparavant été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Si la question se posait, des auteurs tels Marc Guillaume – ancien Secrétaire général du Conseil – souhaitent que « les juridictions administratives et judiciaires considèrent qu’une disposition législative jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel bénéficie d’une présomption de conventionnalité » (Marc Guillaume, « Avec la QPC, le Conseil constitutionnel est-il devenu une Cour suprême ? », JCP G, 2012). En conclusion, il est important de remarquer que l’on assiste à une imbrication croissante des différents ordres juridiques au sommet de la hiérarchie des normes. La présentation classique de cette hiérarchie comme pyramide tend désormais à être remplacée par l’idée d’un réseau de normes (Ost et Van de Kerchove).
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