I. Sources internationales et normes internes

Selon l’article 55 de la Constitution de 1958, « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». En plaçant les normes internationales applicables à la France entre la Constitution et la loi, cet article a des effets importants sur le travail de contrôle des actes administratifs par le juge administratif, notamment lorsqu’il doit résoudre de possibles conflits entre ces sources, que ce soit d’un côté entre les traités et la Constitution (B), comme de l’autre entre les traités et la loi (C). Mais revenons tout d’abord sur quelques éléments de connaissance en droit international (A) afin de mieux comprendre ensuite les relations entre sources internationales et internes.

Brefs rappels de droit international

Un ordre juridique est par principe complet et autonome. En ce sens, une norme d’un autre ordre juridique n’est pour lui qu’un fait dont il peut choisir de tenir compte ou non. Comment alors aborder les relations juridiques entre États, et donc entre ordre juridiques ? C’est l’enjeu premier du droit supranational : organiser les relations entre ordres juridiques étatiques. Mais derrière cette affirmation se cache la question des relations entre ces deux niveaux normatifs au sein des États. Quelle norme appliquer lorsque la norme internationale et la norme locale diffèrent, voire sont incompatibles ? Où situer les normes internationales dans la hiérarchie des normes de chaque ordre juridique interne ?

De manière très schématique, trois réponses sont possibles, autour d’une distinction entre dualisme et monisme :

  • Le dualisme : les normes internationales n’ont par elles-mêmes aucun effet en droit interne et doivent être transposées (c’est-à-dire être copiées dans une norme de droit interne) pour pouvoir être appliquées. En Europe, c’est l’approche préférée (mais pas exclusive) du Royaume-Uni, de l’Irlande, de la Finlande ou encore de l’Italie.
  • Le monisme : les normes internationales ont, parfois sous certaines conditions de clarté et de contenu, un effet direct en droit interne, mais la question est alors de savoir où elles se situent dans la pyramide :
    • Le monisme avec primauté du droit interne : les normes internationales sont considérées comme inférieures au droit interne, l’État choisissant s’il souhaite de les appliquer ou non sur son territoire. Proche du dualisme, ce fut longtemps la conception « soviétique » du droit international.
    • Le monisme avec primauté du droit international : les normes internationales qui engagent un État priment sur ses normes internes. Toutefois, pour de nombreux États s’inscrivant dans cette approche, telle la France, cette primauté du droit international ne vaut pas pour la Constitution, celle-ci restant suprême dans l’ordre juridique de ces États.

En tout état de cause, que le système soit majoritairement moniste ou dualiste, si un État ne respecte pas le droit international qui s’applique à lui, il peut voir un autre État engager sa responsabilité internationale, notamment et sous certaines conditions devant la Cour internationale de justice.

La France envisage les rapports entre les normes internationales et son ordre juridique interne selon le modèle du monisme avec une primauté du droit international sur toutes les normes internes à l’exception de la Constitution. C’est de cela qu’il sera question plus en détail dans la première partie de cette section sur les sources internationales : à savoir l’impact des normes internationales sur la Constitution et sur la loi et les conséquences de tout cela sur les actes administratifs et le contrôle exercé par le juge administratif. Nous verrons notamment que les choses ont beaucoup évolué depuis 1958.

Plusieurs points sont dès à présent importants à retenir :

  • En droit international, il faut distinguer entre les normes conventionnelles, les normes déclaratoires, les normes coutumières et les normes impératives (ou dites de jus cogens). Que ce soit un traité, une convention, une charte ou tout autre nom importe peu, ce sont les conditions d’édiction et de mise en œuvre qui importent pour comprendre la portée normative du droit international :
    • Une norme conventionnelle (on emploie le plus souvent le terme de « traité ») est un contrat passé entre plusieurs États par lequel ils s’engagent à en respecter les termes entre eux. Ce consentement est explicitement manifesté par un acte spécifique de l’État (nommé, suivant sa forme une ratification, une adhésion, une approbation ou encore une acceptation). Au sein des normes conventionnelles, les traités touchant les droits humains ont une place particulière puisqu’ils ne visent pas les relations horizontales entre États mais les relations verticales entre un État et les personnes relevant de sa compétence.
    • Une déclaration est un texte par lequel des États manifestent l’expression d’objectifs communs sans pour autant en considérer le contenu comme une norme obligatoire. La plus connue est bien sûr la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Certaines déclarations telle justement la DUDH finissent toutefois par obtenir partiellement ou totalement un statut de droit coutumier et donc être obligatoires pour les États.
    • Une coutume internationale, comme en droit interne, nécessite la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant de droit. Dès lors qu’elle est reconnue comme telle, elle s’impose à l’ensemble des États (sauf aux objecteurs persistants, c’est-à-dire aux États ayant toujours manifesté leur opposition à cette pratique). De la même manière que la coutume interne, elle peut être renversée par des normes conventionnelles contraires (mais seulement pour les relations entre les États parties à ces conventions).
    • Enfin, il existe certaines normes internationales qui sont reconnues comme tellement importantes qu’elles ne peuvent faire l’objet d’aucune dérogation (c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être renversées par une norme conventionnelle contraire). Ce sont les normes impératives ou dites de jus cogens. S’il n’y a pas unanimité sur leur nombre, il est aujourd’hui accepté que sont impératives l’interdiction du génocide, de la piraterie en mer, de l’esclavage et de la torture (même si sur ce dernier point, un problème de définition se pose).
  • Invocabilité d’une norme : une norme est dite invocable lorsqu’elle peut être utilisée comme norme de référence dans un contentieux particulier. Nous verrons d’ailleurs que l’un des enjeux de l’application du droit international en droit interne français est que toutes les normes internationales que la France a acceptées ne sont pas forcément invocables dans tous les contentieux (notamment se posera la question de leur invocabilité face aux actes administratifs individuels).

Traité et Constitution

Situés sur deux niveaux juridiques différents, l’un interne et vertical (entre l’État et les citoyens), l’autre externe et principalement horizontal (entre États), les relations entre les traités et la Constitution s’inscrivent dans une hiérarchie complexe à résoudre (1). Mais dès lors que la Constitution est toujours considérée par le juge administratif comme supérieure à toute autre norme applicable à un contentieux, celle-ci fait écran au contrôle de conventionnalité d’une norme mettant directement en œuvre la Constitution (2). En revanche, il ne relève pas de la compétence du Conseil d’État de mettre en œuvre cette hiérarchie pour contrôler la constitutionnalité d’une norme internationale (3).

Une hiérarchie complexe à résoudre en théorie

L’article 55 de la Constitution dispose :

« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

Dès lors qu’ils respectent les conditions prévues à l’article 55 (ratification ou approbation régulière, publication et réciprocité d’application), les traités internationaux font donc partie de l’ordre juridique interne français sans qu’il soit nécessaire d’adopter une norme de transposition (contrairement aux systèmes dits dualistes). La France semble ainsi s’inscrire dans un système moniste de normativité du droit international, c’est-à-dire un système dans lequel il n’y a pas de séparation entre le droit international et le droit interne.

Toutefois, si l’article 55 indique que les traités sont dans l’ordre interne supérieurs aux lois, rien n’est précisé sur leur place par rapport à la Constitution. Cette question est d’autant plus importante que peuvent exister des contradictions entre ces deux sources.

À son alinéa 14, le Préambule de 1946 indique que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». Une telle formulation pourrait laisser penser que le droit international s’impose à l’ensemble des normes internes, même à la Constitution. Dans l’ordre juridique international, c’est d’ailleurs le traité qui prévaut sur toute norme interne, même sur la Constitution des États. En effet, lorsqu’un État ratifie un traité, il engage sa responsabilité internationale au cas où il ne le respecte pas, peu importe que la violation du traité résulte d’un acte d’un agent de l’État, d’une loi ou de sa constitution (Ex. : CrEDH, 1998, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie).

Toutefois, dans l’ordre interne, ce n’est pas la position des autorités politiques et juridiques françaises. Puisque la Constitution organise elle-même les relations entre le droit international et le droit interne, ces autorités considèrent qu’elle ne peut être inférieure au droit international (une norme inférieure ne pouvant conditionner la validité d’une norme supérieure dans la hiérarchie des normes). Ainsi, le Conseil constitutionnel affirme en 2004que face au terme de « constitution pour l’Europe », « cette dénomination est sans incidence sur l’existence de la Constitution française et sa place au sommet de l’ordre juridique interne » (CC, 2004, n° 2004-505 DC, Traité établissant une constitution pour l’Europe).

De plus, l’article 54 de la Constitution organise la possibilité d’un contrôle de constitutionnalité des traités avant leur ratification. On pourrait donc considérer que cet article subordonne le traité à la Constitution car il ne peut être ratifié que s’il lui est conforme. Toutefois, en pratique, dès lors qu’un traité signé par la France a été jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, c’est toujours la Constitution qui a été modifiée pour permettre la ratification du traité. Ainsi, en 1999, le Conseil constitutionnel a jugé que « l’autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale exige une révision de la Constitution » (CC, 1999, n° 98-408 DC, Traité portant statut de la Cour pénale internationale). La France avait alors le choix : soit ne pas ratifier le traité dont elle était l’un des initiateurs et qu’elle venait de signer, soit modifier sa constitution pour pouvoir le ratifier. Sans aucune surprise, les autorités françaises ont opté pour la seconde option, et la Constitution a été modifiée par la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999. En revanche, alors que la France a signé la même année la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (un traité adopté dans le cadre du Conseil de l’Europe), le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, constate plusieurs motifs d’inconstitutionnalité qui empêchent sa ratification (CC, 1999, n° 99-412 DC, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires). Aucune révision de la Constitution n’est alors envisagée, et celle initiée plus de dix ans plus tard ne passera pas le vote du Sénat préalable à son adoption. La France n’a donc jamais ratifié ce texte.

S’alignant sur la position traditionnelle des institutions françaises, le Conseil d’État juge que « la suprématie conférée par l’article 55 aux traités internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions constitutionnelles » (CE, ass., 1998, Sarran, Levacher et autres). Pour le juge administratif, la Constitution reste la norme suprême dans l’ordre juridique interne dont il a en partie la charge de contrôler la mise en œuvre. Dès lors son contrôle de la conventionnalité des actes administratifs (c’est-à-dire de la conformité d’un acte administratif à un traité) peut se trouver bloqué lorsqu’une norme constitutionnelle s’intercale entre l’acte administratif contrôlé et le traité : c’est l’écran constitutionnel.

La théorie de l’écran constitutionnel

Lorsqu’en 1998 (CE, ass., 1998, Sarran, Levacher et autres) le Conseil d’État rappelle la suprématie constitutionnelle, il fait alors face à une affaire où il lui est demandé de contrôler la conventionnalité d’un décret au regard de normes internationales. Mais ce n’est pas un simple contrôle de conventionnalité car ce décret met directement en œuvre une disposition constitutionnelle. Il est en effet question dans cette affaire du contrôle du décret du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-Calédonie, une consultation prévue par l’article 76 de la Constitution. Les requérants demandent notamment au juge administratif de reconnaître la composition du corps électoral comme contraire au Pacte international sur les droits civils et politiques et à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Le Conseil d’État reconnait tout d’abord qu’en subordonnant la participation à la consultation à la condition que les électeurs aient leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, le décret se bornait à faire une exacte application de l’article 76 de la Constitution. En ce sens, la requête impliquerait donc la possibilité d’annuler un acte administratif pris sur la base de la Constitution et conforme à elle mais potentiellement contraire à un traité. Le Conseil refuse alors d’examiner la conventionalité de l’acte car il considère que cela reviendrait à contrôler la conventionalité de la Constitution. Or, on ne peut contrôler la validité d’une norme supérieure (la Constitution) par rapport à une norme inférieure (un traité).

Dès lors qu’un décret applique directement et de manière conforme la Constitution, celle-ci prévaut et fait écran entre l’acte administratif et les normes internationales, on parle d’écran constitutionnel.

La Cour de cassation adopte la même position deux années plus tard (Cass, 2000, Melle Fraisse).

L’impossible contrôle des traités par le juge administratif

Le juge administratif ne peut non plus contrôler la constitutionnalité d’un traité à l’occasion d’un recours contre un acte administratif pris conformément à un traité. En effet, au titre de l’article 54 de la Constitution, l’examen de la constitutionnalité des traités relève du Conseil constitutionnel.

Par exemple, en 2002 (CE, 2002, Commune de Porta),le juge administratif considère qu’il n’est pas compétent pour contrôler la constitutionnalité du décret de publication de l’accord signé en septembre 2000 entre la France et l’Andorre et portant sur la rectification des frontières les séparant. Un tel contrôle impliquerait de contrôler la constitutionnalité du traité, ce qu’il ne peut pas faire. 

Dans certains cas, assez rares, le juge va toutefois utiliser l’outil de l’interprétation conforme du traité à la Constitution pour atténuer ce principe d’incompétence. Ainsi, en 1996 (CE, 1996, Moussa Koné), le Conseil d’État a interprété la convention franco-malienne d’extradition de manière à la rendre conforme au PFRLR de non-extradition dans un but politique (principe constitutionnel). Le juge a donc interprété le traité de manière à le rendre conforme à la Constitution, dans ce qui ressemble à un contrôle de constitutionnalité du traité. Toutefois, cette exception se limite aux cas où une telle interprétation est possible.

Sur ce point, la mise en place de la Question prioritaire de constitutionnalité ne change rien. Comme le souligne le Conseil d’État en 2010 (CE, 2010, Rujovic), la QPC ne vise que les lois et non les traités. Il est de plus impossible pour le requérant de soulever devant le juge l’inconstitutionnalité du traité à travers celle de la loi de ratification, car la loi de ratification n’est pas susceptible d’être contraire à la Constitution, elle est « vide », elle n’édicte aucune norme.

Les traités et la loi

Comme nous l’avons vu, l’article 55 de la Constitution énonce que les traités applicables à la France ont, sous réserve de réciprocité, une valeur supérieure aux lois dans l’ordre interne. Si, a priori, cet article ne semble pas avoir de conséquence pour le juge ordinaire – qui normalement n’est pas le juge de la loi –, les choses évoluent dès lors que le Conseil constitutionnel a refusé d’en assurer lui-même l’application.

En 1975 (CC, 1975, n° 74-54, Loi IVG), face à des députés qui lui demandent de considérer la loi IVG comme contraire à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel affirme que ni l’article 55, ni l’article 61 de la Constitution ne lui donnent compétence pour contrôler la conventionnalité des lois (une jurisprudence confirmée notamment par CC, 2010, n° 2010-605, Jeux d’argent et de hasard en ligne).

Le Conseil souligne alors que la supériorité des traités sur les lois est seulement relative et contingente – « sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie », une application qui peut ainsi varier dans l’espace et dans le temps – alors que sa censure au titre de l’article 61 est absolue.

Par cette décision, le Conseil renvoie implicitement aux juges ordinaires le soin de faire prévaloir la supériorité du traité sur la loi, un rôle que le juge administratif finit par accepter d’endosser (1). Pour ce faire, il doit au préalable analyser les trois conditions de l’effet normatif du traité  (2), puis considérer sa possible invocabilité (3), avant de pouvoir envisager l’interprétation de ses dispositions (4).

Compétence du juge ordinaire pour écarter la loi incompatible avec le traité

Lorsque le juge administratif est saisi au cours d’une instance de la question de la légalité d’un acte administratif, et que les requérants soutiennent que la loi sur laquelle il se fonde est contraire à un engagement international de la France, il est alors compétent pour contrôler la conventionalité de la loi. C’est le mécanisme de l’exception d’inconventionnalité.

Très rapidement, le juge judiciaire va accepter de contrôler la conventionnalité d’une loi (Cass, 1975, Société des cafés Jacques Vabre). En revanche, il faut attendre plus longtemps pour que le juge administratif fasse de même.

Avant même la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État acceptait de faire prévaloir un traité sur une loi si et seulement si le traité avait été ratifié après l’entrée en vigueur de la loi, dans une forme d’abrogation implicite de la loi antérieure contraire (CE, 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France). En revanche, la loi faisait écran à tout contrôle de conventionnalité au regard d’un traité qui lui était antérieur.

Ce n’est qu’en 1989 (CE, 1989, Nicolo) que le Conseil d’État accepte finalement d’effectuer le contrôle de la conventionnalité de toute loi, même de celles qui sont postérieures au traité en cause.

Ce mécanisme de l’exception d’inconventionnalité ne permet toutefois pas au juge d’annuler la loi qu’il jugerait contraire à une disposition internationale applicable à la France. Il ne peut que l’écarter pour l’affaire en cause. Une fois la loi écartée, l’acte administratif visé par la requête perd son fondement normatif, et peut être annulé pour défaut de base légale. Si en droit, la loi reste en vigueur ; dans les faits, elle perd pratiquement toute valeur normative.

Les trois conditions de l’effet normatif des traités

Comme prévu par le texte de l’article 55 de la Constitution, la supériorité d’un engagement international sur la loi n’est valable que si trois conditions sont remplies : la ratification ou approbation régulière (a), la publication (b) et la réciprocité de mise en œuvre des engagements (c). L’absence de l’un de ces trois éléments renvoie le traité à n’être pour le juge interne que de l’encre sur un bout de papier, sauf, comme nous le verrons s’agissant de la condition de réciprocité, dans le cas de traités relatifs aux droits de l’homme.

Ratification ou approbation régulière

Ici, le juge administratif est conduit à vérifier que le traité qu’il doit appliquer a été régulièrement accepté par la France comme étant de droit. La signature d’un traité par les représentants d’un État n’entraîne pas sa normativité complète à l’égard de cet État. Pour ce faire, l’accord international doit en effet être régulièrement ratifié ou approuvé, selon les procédures internes de l’État.

Dans ce cadre, le juge vérifie notamment l’existence d’une autorisation donnée par le Parlement à la ratification lorsque cette autorisation est nécessaire (CE, 1998, SARL du parc d’activités de Blotzheim). Il ne peut toutefois pas saisir le Conseil constitutionnel d’une QPC sur la loi de ratification (CE, 2010, Rujovic).

Publication

Le juge vérifie également que le traité a bien été publié au Journal officiel. Il ne peut toutefois pas contrôler le décret autorisant la publication (CE, 2002, Commune de Porta).

Réciprocité

En droit international, un traité est un contrat entre États. Il ne s’applique donc à un État partie dans ses relations aux autres États parties que si ces derniers le respectent également dans leurs relations avec cet État (Convention de Vienne sur le droit des Traités, 1969, art. 60).

Jusqu’en 2010, le juge administratif ne s’estimait pas compétent pour apprécier cette condition et renvoyait systématiquement la question au ministère des Affaires étrangères pour appréciation. Toutefois, cette attitude a été condamnée en 2003 par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 2003, Chevrol c. France). La Cour considère que si le juge peut consulter les services ministériels, il ne peut s’estimer lié par leur réponse, sauf à remettre en cause le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial.

En 2010 (CE, 2010, Cheriet Benseghir), le juge administratif s’est conformé à cette jurisprudence de la Cour EDH. Seul le juge est donc compétent pour apprécier cette condition de réciprocité. Ce moyen n’est toutefois pas d’ordre public (il ne peut être soulevé d’office par le juge) et il doit préalablement recueillir les observations du Ministre des Affaires étrangères, et éventuellement de l’État tiers concerné.

Enfin, cette condition de réciprocité ne vaut pas pour un cas spécifique, mais très important, d’engagements internationaux : les dispositions relatives à la protection des personnes (Convention de Vienne, art. 60 al. 5). En effet, alors qu’un traité traditionnel est un contrat qui vise à régir les relations entre États – une relation horizontale –, un traité protégeant les droits humains a pour objectif d’encadrer les relations entre un État et les personnes soumises à sa compétence – une relation verticale. Qu’un autre État membre ne respecte pas ce traité à l’égard d’individus n’implique rien pour la France, sauf à faire perdre leur sens à tous les traités de cette catégorie.

Ces traités relatifs à la protection des personnes sont aujourd’hui assez nombreux et souvent invoqués par les requérants. C’est le cas en particulier de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CEDH) qui énonce une série de dispositions très proches de celles qui figurent dans le Préambule constitutionnel (notamment la DDHC). Le contrôle de conventionnalité que peut exercer le juge ordinaire n’est alors guère différent quant à son contenu d’un contrôle de constitutionnalité, ce qui peut placer le juge dans une position très inconfortable vis-à-vis du Conseil constitutionnel lorsque la loi dont l’inconventionnalité est invoquée devant lui a déjà fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité au regard de dispositions au contenu presque identiques. Ce fut le cas en 1990 (CE ass, 1990, confédération nationale des associations familiales catholiques) à propos de l’IVG, et de manière plus nette encore en 2006 (CE, 2006, association AIDES) à propos de la loi restreignant l’accès des étrangers à l’aide médicale d’État, jugée conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel en 2003, mais partiellement incompatible avec la CEDH par le juge administratif en 2006.

La révision constitutionnelle de 2008 instituant la QPC peut ainsi être comprise dans ce contexte comme la volonté de réaffirmer la Constitution et le Conseil constitutionnel comme premiers protecteurs des libertés avant les conventions internationales et les juges ordinaires. Avec la QPC, le contrôle de conventionnalité peut se trouver bloqué dans certains cas. Si elle est posée, la QPC étant prioritaire, la constitutionnalité de la loi est nécessairement jugée avant sa conventionnalité et si le CC juge la loi contraire à la constitution, elle sera censurée et il n’y aura pas lieu pour le juge ordinaire d’en examiner la conventionnalité. Dans le cas contraire (disposition législative jugée conforme à la constitution), le juge ordinaire hésitera sans doute à juger la loi inconventionnelle au regard d’une disposition du traité similaire à la disposition constitutionnelle préalablement invoquée devant le CC.

L’invocabilité d’un traité

Qu’un engagement international ait un effet normatif en droit interne n’implique pas automatiquement qu’il puisse être invoqué par un particulier dans le cadre d’un procès. En effet, seule une stipulation d’un accord international pourvue d’effet direct peut être utilement invoquée devant les juridictions internes (CE, 1997, GISTI).

En 2012 (CE, 2012, GISTI et FAPIL), le Conseil vient préciser ce qu’il entend par là. Une stipulation internationale est ainsi réputée d’effet direct, « lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ».

Deux conditions cumulatives sont donc ici prévues :

  • La disposition doit créer des droits ou obligations pour les individus (« elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États ») ;
  • La disposition est suffisamment précise pour pouvoir être appliquée directement (elle « ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers »).

Cette condition d’effet direct est appréciée au cas par cas par le juge interne, qui dispose ici d’une large marge d’appréciation dès lors qu’il ne se fonde pas seulement sur les termes du traité mais également sur l’intention des parties. De plus, l’appréciation ne concerne pas l’ensemble du traité, mais bien chaque disposition prise de manière individuelle. Ainsi, l’article 3.1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (protection de l’intérêt supérieur de l’enfant) est jugé d’effet direct (CE, 1997, Cinar) tandis que son article 3.2 qui prévoit que l’État doit « assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être » ne l’est pas (CE, 2000, Association Promouvoir).

Aujourd’hui, seule la Convention européenne des droits de l’Homme s’est vue reconnaître par le juge un effet direct pour l’ensemble de ses dispositions.

Toutefois, le Conseil d’État a récemment laissé entrevoir une possible évolution de sa jurisprudence face à l’inaction de l’État à mettre en œuvre ses engagements internationaux. Ainsi dans son arrêt du 19 novembre 2020, commune de Grande Synthe, si le juge reconnaît l’absence d’effet direct de l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015 et de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992, il affirme dans le même temps que leurs dispositions « doivent néanmoins être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national » en la matière. La Commune de Grande Synthe qui attaquait l’inaction de l’État pouvait ainsi valablement invoquer ces accords pour interpréter les objectifs que la France s’est fixés sur la base de ces traités et juger de la légalité des actes administratifs édictés par la France (CE, 19 nov. 2020, n° 427301).

Interprétation des traités

Tout comme pour la question de la vérification de la condition de réciprocité, le Conseil d’État a pendant longtemps considéré qu’il n’était pas compétent pour interpréter les dispositions d’un engagement international. Il s’en référait alors toujours à l’interprétation du Ministre des Affaires étrangères.

La situation change en 1990 (CE, 1990, GISTI), et depuis lors le juge administratif s’estime compétent pour effectuer une telle interprétation du contenu des traités.

Pour citer cette page : Marie-Joëlle Redor-Fichot et Xavier Aurey, « I. Sources internationales et normes internes », Introduction au droit administratif, Fondamentaux, 2024 [https://fondamentaux.org/?p=1289]

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