III. Le régime juridique des contrats de l’administration

Au sein des contrats en lien avec les activités administratives, il faut donc distinguer entre ceux qui sont administratifs et ceux qui ne le sont pas. Aux premiers s’appliquent certaines règles spécifiques quant à leur exécution (B), tandis que tous, même ceux de droit privé, doivent respecter un processus de formation particulier (A). Si l’ensemble des règles pour la formation du contrat relèvent aujourd’hui du législateur et du pouvoir règlementaire, s’agissant de l’exécution des contrats c’est plutôt vers la jurisprudence qu’il faut se tourner.

La formation des contrats de l’administration

Pour les contrats de l’administration, certaines obligations spécifiques s’imposent aux seules personnes publiques (1), le choix du cocontractant étant en revanche encadré pour l’ensemble des contrats de la commande publique, quel que soit l’acheteur (2).

Les obligations spécifiques pour les personnes publiques

Au-delà du fait que toutes les matières relevant de la compétence des personnes publiques ne peuvent pas faire l’objet d’un contrat (cf. section précédente), certaines obligations s’appliquent spécialement à la personne publique souhaitant contracter.

L’engagement de la volonté de la personne publique à contracter ne peut résulter que d’une autorité administrative : un ministre ou un préfet pour l’État, le président du conseil régional ou du conseil départemental pour chacune de ces collectivités, le maire pour la commune, le président ou le directeur de l’établissement public pour cette catégorie de personne publique.

Dans certains cas particuliers, cette décision sera obligatoirement liée à une autorisation préalable ou à une approbation ultérieure. Ainsi les décisions de contracter pour les collectivités territoriales (régions, départements, communes) sont soumises à l’autorisation préalable de l’assemblée délibérante de la collectivité. De même, les contrats des établissements publics soumis à contrôle de l’autorité de tutelle doivent être soumis à une approbation de cette autorité.

Le choix du cocontractant

Deux éléments entrent en jeu dans le choix du cocontractant : d’un côté l’administration et/ou le gestionnaire privé d’un service public doit être libre de choisir son cocontractant mais de l’autre côté il faut éviter les collusions d’intérêt et que le gestionnaire ne fasse un choix préjudiciable à l’intérêt général.

Quelle que soit la qualité de l’acheteur (public ou privé), le Code de la commande publique souligne ainsi à son article L3 que doivent être respectés trois grands principes, déjà prévus par diverses directives européennes et reconnus comme de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel en 2003 (CC, 2003, n° 2003-473 DC, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit) :

  • Principe de liberté d’accès à la commande publique ;
  • Principe d’égalité de traitement des candidats ;
  • Principe de transparence des procédures.

Afin de permettre leur respect, ces différents principes impliquent des procédures de passation des contrats qui varient suivant le type de contrat et son montant (a) et dont le non-respect entraîne différentes sanctions possibles (b).

Les procédures de passation

Aujourd’hui, tant les marchés publics (i) que les contrats de concession (ii) nécessitent le respect d’un nombre plus ou moins important de formalités, même si elles sont plus légères pour ces derniers. Au-delà de ces deux contrats de la commande publique, le législateur a imposé une obligation minimale de publicité et de mise en concurrence pour les contrats d’occupation du domaine public, suite à une condamnation de l’Italie par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2016, Promoimpresa).

Les règles pour les marchés publics

Pour les marchés publics, la procédure de passation vise à sélectionner « l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution » (L. 2152-7 CCP). Ces critères doivent en ce sens être énoncés dès l’étape de publicité de l’offre qui est celle préalable à la mise en concurrence, une étape visant notamment à la transparence de l’action administrative. Elle se fait en principe par une publication au BOAMP (Bulletin officiel des annonces de marchés publics).

Le CCP impose la publicité et mise en concurrence pour tous les marchés publics, sauf pour un ensemble de cas limités prévus aux articles R. 2122-1 à 11, notamment :

  • R. 2122-1 CCP : les marchés conclus en cas d’urgence impérieuse et imprévisible résultant de circonstances extérieures (événement naturel, guerre…) ;
  • R. 2122-8 CCP : Pour les très petits marchés, c’est-à-dire dont le montant est inférieur à 40000 € HT. Avant 2011, ce montant était de 4000 € HT, relevé à 15000 € en 2011, à 25000 € en 2016, enfin à 40000 € depuis 2019 (la notion de « très petit marché » devenant de moins en moins limitée).

En dehors de ces cas particuliers, différentes procédures sont possibles suivant le montant, le pouvoir adjudicateur et l’objet du marché public, à savoir :

  • La procédure adaptée : le marché est passé librement après négociation avec les candidats et attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse (ce n’est pas forcément l’offre la moins chère mais celle avec le meilleur rapport qualité/prix). L’utilisation de cette procédure est possible, mais pas obligatoire, dans un certain nombre de cas dépendants de l’objet du marché, de son montant et de l’acheteur :
    • Critère de l’objet uniquement : une procédure adaptée est possible quel que soit le montant du marché pour les contrats ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques, annexés au CCP (R. 2123-1 CCP). Ces services comprennent notamment : des services d’hôtellerie et de restauration, certains services juridiques, des services liés à l’administration pénitentiaire…
    • Critère de l’objet, du montant et de l’acheteur : tous les marchés de travaux dont le montant est inférieur à 5 538 000 € HT, ainsi que les marchés de service d’un montant inférieur à 143 000 € HT (si marché au profit de l’État et sauf marché de défense ou de sécurité), d’un montant inférieur à 221 000 € HT (si marché au profit de tout autre pouvoir adjudicateur ou pour certains marchés de défense) et d’un montants inférieur à 443 000 € HT (si marché de défense ou de sécurité ou si marché au profit d’un service en réseau).
  • Les procédures formalisées : au-delà des seuils mentionnés pour la possibilité d’une procédure adaptée, il est obligatoire de passer par l’une des procédures formalisées (dont le choix est parfois limité à certains cas) :
    • Procédure d’appel d’offres : C’est la procédure formalisée par défaut qui s’applique si l’une des deux autres n’est ni applicable ni appliquée. Elle commence par un avis d’appel à la concurrence qui indique l’objet du marché, les délais de dépôt des offres, critères d’attribution, etc… Cet appel peut au choix être ouvert ou restreint (dans ce dernier cas, il y a présélection sur critères objectifs établis à l’avance). Après examen des offres, l’acheteur peut demander des précisions supplémentaires aux candidats et ensuite il choisit l’entreprise qui présente l’offre économiquement la plus avantageuse. Aucune négociation n’est possible avec les entreprises.
    • Procédure avec négociation : cette procédure permet d’ajouter une étape de négociation à l’appel d’offres. Elle n’est possible que dans certains cas (Article R. 2124-3), notamment « lorsque le besoin consiste en une solution innovante », « comporte des prestations de conception » ou « ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent ».
    • Dialogue compétitif : Dans tous les cas où une procédure avec négociation est possible, un dialogue compétitif l’est également. Cette procédure généralement utilisée quand l’acheteur hésite entre plusieurs solutions techniques. Dans ce cas-là, il va y avoir une négociation qui passe par la soumission d’offres comme base générale de discussion, afin de permettre ensuite aux entreprises de formuler une offre finale. Cette procédure est généralement celle suivie en matière de marchés de travaux qui ne rentrent pas dans la procédure d’appel d’offre.
Les contrats de concession

Le régime du contrat de concession a été remanié suite à la transposition en droit interne de la directive européenne 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession. Alors qu’existait jusque-là une grande liberté dans le choix du cocontractant, le Code de la commande publique prévoit aujourd’hui une obligation de publicité et de mise en concurrence (L3121-1 CCP). Cette obligation peut toutefois être écartée dans certains cas spécifiquement prévus à l’article R3121-6 CCP, notamment lorsque le contrat « ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité » ou encore en cas d’urgence.

Cas particulier : les relations internes au secteur public

En 1970, le Conseil d’État affirme « que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’État satisfasse, par ses propres moyens, aux besoins de ses services » (CE, 1970, société Unipain). En l’espèce, la société Unipain avait demandé au juge administratif de reconnaître comme contraire à ce principe la fourniture de pain par une boulangerie militaire à des prisons et maisons d’arrêt. Si la jurisprudence est ici claire pour les relations internes à une même personne publique (en l’espèce l’État), cette question de prend une autre dimension lorsque les relations, bien qu’internes au secteur public, impliquent plusieurs personnes morales différentes.

En principe, tout contrat conclu entre des personnes morales distinctes pour répondre aux besoins de la personne publique ou visant à la prise en charge d’un service doit passer par la procédure des marchés publics ou des concessions. Toutefois, il existe certains cas particuliers où une procédure sans publicité ni mise en concurrence est possible, à savoir celle des marchés (L. 2511-1 à L. 2511-9 CCP) ou concessions (L. 3211-1 à L. 3211-9 CCP) conclus dans le cadre des relations internes au secteur public.

Cette idée des relations internes au secteur public regroupe trois cas : la quasi-régie, la coopération entre pouvoirs adjudicateurs, et les contrats avec une entreprise liée ou une coentreprise. Pour tous ces cas, la conclusion d’un marché public ou d’une concession n’est soumise qu’à une obligation de publication d’un avis d’attribution.

Déjà entrevue dans le chapitre sur les services publics, la quasi-régie (ou relation in-house) est une notion issue du droit européen autorisant dans certains cas limitativement définis à considérer la personne morale cocontractante comme le prolongement administratif de la personne publique. Il n’y aurait en ce sens pas de réelle relation contractuelle, puisque les deux entités ne sont qu’artificiellement détachées. Selon la jurisprudence européenne (CJCE, 1999, Teckal Srl et CJCE, 2005, Stadt Halle), trois conditions sont nécessaires à la reconnaissance d’une telle situation (des conditions codifiées aux articles L. 2511-1 al. 1 et L. 3211-1 al. 1 CCP) :

  • La personne publique doit exercer « un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services », ce contrôle pouvant être exercé conjointement par plusieurs personnes publiques (CJCE, 2007, Asemfo et CE, 2009, Syndicat national des industries d’information de santé). Le contrôle analogue n’est caractérisé que si la personne publique « exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée » (L. 2511-1 al. 2 et L. 3211-1 al. 2 CCP, codifiant la jurisprudence CJCE, 2005, Parking Brixen) ;
  • Le cocontractant doit réaliser « l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent ». Le Code de la commande publique explicite ce deuxième critère en précisant que « La personne morale contrôlée réalise plus de 80 % de son activité dans le cadre des tâches qui lui sont confiées » par la ou les personnes publiques qui la contrôlent ;
  • Le capital de la société contrôlée ne doit pas comporter de capitaux privés, même minoritaires, ce qui exclut par principe les sociétés d’économie mixte. Toutefois, le droit français a codifié cette interprétation de manière souple, ouvrant la possibilité d’une exception pour les « formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par la loi qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée » (L. 2511-1 al. 1 et L. 3211-1 al. 1 CCP).

En France, le juge administratif a par exemple considéré comme une relation de quasi-régie, celle entre la ville de Paris et l’Office public d’aménagement et de construction de Paris (CAA Paris, 2009, Ville de Paris), impliquant qu’un contrat de bail les liant ne relevait pas des obligations de publicité et de mise en concurrence.

La sanction du non-respect des règles de passation

En cas de non-respect des règles de passation, un recours en suspension de la procédure (référé) ou en annulation du contrat (RPC) est possible. Lorsqu’il correspond également à une infraction pénale (délit de favoritisme, prise illégale d’intérêt), ce non-respect peut entraîner une sanction pénale pour l’autorité responsable.

Le référé précontractuel a été mis en place par le législateur en 1992 (L. 551-1 CJA). C’est une forme de recours préventif qui peut être exercé par les candidats au contrat avant sa signature. En cas d’illégalité constatée, ce recours permet au juge d’enjoindre aux parties de respecter les règles de procédure, voire d’annuler la décision de signer le contrat. Tant que le juge ne s’est pas prononcé sur le référé, la signature du contrat est suspendue. Ce référé précontractuel est un moyen efficace de faire respecter le principe d’égalité entre les candidats.

En application d’une directive européenne de 2007, le législateur a également mis en place en 2009 un référé contractuel (art. L551-13 CJA) qui permet de saisir le juge dans les 30 jours de la publicité de la signature du contrat. En cas, d’illégalité, le juge pourra en suspendre l’exécution, le résilier ou même l’annuler.

Il existe aussi des recours classiques de plein contentieux visant à contester la validité du contrat. Ces recours sont ici ouverts aux candidats évincés et aux parties au contrat, mais aussi aux tiers (cf. chapitre sur les recours). Ces recours permettent notamment l’annulation des clauses contraires au droit de la concurrence ou au droit de la consommation.

L’exécution des contrats administratifs

Par définition, le contrat administratif est soumis à un régime exorbitant du droit commun, ici le droit administratif, car il vise à la satisfaction d’un besoin d’intérêt général. Afin de réaliser cet objectif, l’administration doit alors disposer de prérogatives particulières lui permettant d’assurer que l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt du cocontractant, sans pour autant sacrifier ce dernier. L’exécution du contrat administratif résulte alors d’un équilibre entre les prérogatives de l’administration (1) et les contreparties limitées qui en résultent au profit du contractant (2), une relation gouvernée selon le principe de loyauté des relations contractuelles (CE, 28 déc. 2009, commune de Béziers).

Les prérogatives de l’administration

Les prérogatives de l’administration manifestent un déséquilibre de la relation contractuelle au profit de l’administration et visant à la poursuite de l’intérêt général. Elles sont destinées à permettre l’exécution correcte du contrat (a) et surtout son exécution continue, quitte à en modifier des éléments (b) ou à pouvoir le résilier (c), dans les deux cas de manière unilatérale. Elles donnent également à l’administration les moyens de sanctionner la mauvaise exécution, voire l’inexécution du contrat administratif (d).

Le pouvoir de contrôle de l’administration sur la bonne exécution du contrat

Au titre de ses prérogatives, l’administration dispose d’un pouvoir de contrôle des prestations fournies par le cocontractant mais aussi de celui de véritables ordres à son cocontractant pour la bonne exécution du contrat. Ce pouvoir permanent de direction est aujourd’hui codifié à l’article L. 6 CCP.

Le pouvoir de modification unilatérale des conditions d’exécution du contrat

Alors qu’existe en droit privé une règle d’immutabilité du contrat, sauf accord des parties, l’administration peut de sa seule volonté modifier le contrat administratif. Cette possibilité existe de plein droit pour tous les contrats administratifs (CE, 10 janv. 1902, compagnie nouvelle du gaz de Déville-Lès-Rouen). Dans cette affaire de Déville-Lès-Rouen, il était question d’un contrat de concession passé entre la commune et la compagnie assurant à celle-ci le monopole de l’éclairage public au gaz dans la ville. Quand l’électricité commence à se répandre, la ville demande à la compagnie de se charger également de l’éclairage électrique, ce qu’elle refuse. La commune concède alors l’éclairage électrique à une autre compagnie et la première saisit le juge administratif en réparation du préjudice subi par l’atteinte au monopole dont elle bénéficiait. A cette occasion, le Conseil d’État estime que la commune pouvait remettre en cause le monopole dès lors que la compagnie de gaz refusait de prendre en charge l’éclairage à l’électricité.

Ce pouvoir de modification unilatérale est reconnu de manière plus explicite quelques années plus tard dans l’affaire des tramways de Marseille. Le juge estime alors que l’administration avait le pouvoir d’augmenter de manière unilatérale, le nombre de rames en service, alors que ce nombre était initialement prévu par le cahier des charges du contrat, dès lors qu’elle le faisait « pour assurer, dans l’intérêt du public, la marche normale du service » (CE, 21 mars 1910, compagnie générale française des tramways).

Si, au départ, une question se posait quant à la portée de ce pouvoir de modification unilatérale au-delà des contrats de concession, seuls contrats pour lesquels son existence avait fait l’objet d’un contentieux devant le juge, ce dernier clôt les débats en 1983 en affirmant qu’il existe pour tous les contrats administratifs (CE, 2 fév. 1983, Union des transports publics urbains et régionaux).

Ce pouvoir existe donc de plein droit (aujourd’hui codifié à l’article L. 6 CCP), mais il est limité sur deux points. Tout d’abord, les modifications opérées doivent être limitées à ce qui est nécessaire et indispensable à l’exécution du contrat. Au-delà d’un certain volume de modification, le cocontractant peut en exiger la résiliation. Ensuite, l’administration ne peut pas modifier unilatéralement les clauses financières du contrat administratif dans le sens d’une réduction des avantages financiers du cocontractant. Tout modification entraînant des charges supplémentaires doit alors donner lieu au versement d’indemnités compensatoires.

Le pouvoir de résiliation unilatérale pour un motif d’intérêt général

Le pouvoir de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général existe de plein droit depuis longtemps pour les contrats administratifs (CE, 17 mars 1864, Paul Dupont, aujourd’hui prévu à l’article L. 6 CCP). L’administration ne peut ainsi renoncer à ce pouvoir par une clause contractuelle contraire (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat). Seuls les baux emphytéotiques et les concessions y ont échappé jusqu’au milieu des années 1980, le Conseil d’État les incluant depuis au régime général (respectivement par CE, 6 mai 1985, Association Eurolat et CE, ass., 2 févr. 1987, Société TV6). La résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général correspond à une résiliation sans faute faite dans l’intérêt du service. En cas de résiliation unilatérale du contrat par l’administration, le cocontractant a droit à une indemnisation intégrale (L. 6 CCP).

Pendant longtemps, face à la contestation d’une telle résiliation par le cocontractant, le juge administratif ne pouvait faire autre chose que d’accorder des indemnités supplémentaires si la résiliation était jugée illégale. Après quelques hésitations (notamment CE, 13 mai 1992, commune d’Ivry sur Seine), le juge ouvre définitivement la voie en 2011 à « un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles » (CE, sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, dit Béziers 2). Mais cette solution est rare, la résolution du litige passant le plus souvent par des indemnités.

Si elle est en principe expresse, la résiliation peut également être tacite et déduite du comportement de la personne publique dès lors que par celui-ci « la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles » (CE, 11 déc. 2020, Société Copra Méditerranée).

Enfin, depuis 2013, le Conseil d’État a intégré dans la résiliation pour un motif d’intérêt général la possibilité d’une résiliation unilatérale du contrat par l’administration en cas d’irrégularité de celui-ci (CE, 7 mai 2013, n° 365043, Société auxiliaire des parcs de la région parisienne). En l’espèce, le contrat de délégation de service public en cause contenait une clause prévoyant une durée excessive au regard de la loi en vigueur. Comme souligné dans un arrêt de 2020, le juge limite toutefois cette possibilité de résiliation unilatérale aux irrégularités les plus substantielles (CE, 10 juillet 2020, Société Comptoir négoce équipements).

Le pouvoir de sanction en cas de mauvaise exécution du contrat

Dernière prérogative, et non des moindres, en cas de mauvaise exécution du contrat l’administration peut elle-même prononcer une sanction contre le cocontractant sans avoir besoin de passer par un juge. Là encore, c’est un pouvoir qui existe de plein droit dans tout contrat administratif (CE, 1907, Deplanque), mais une sanction ne peut être prononcée qu’en cas de faute du cocontractant dans l’exécution du contrat et après mise en demeure d’exécuter correctement ses obligations.

Les sanctions contractuelles sont exclues dans deux cas :

  • soit parce que la mauvaise exécution est due à un agissement de l’administration elle-même ;
  • soit parce que la mauvaise exécution du contrat résulte d’un cas de force majeure (une situation irrésistible, imprévisible et extérieure aux parties).

Si le cocontractant ne peut invoquer l’un de ces deux faits justificatifs, trois sortes de sanctions sont possibles :

  • Les sanctions pécuniaires, elles peuvent avoir été prévues au contrat (ce sont des pénalités contractuelles) ou calculées après coup en fonction du dommage subi par l’administration (ce sont des dommages et intérêts) ;
  • La substitution, l’administration se substitue à son cocontractant pour exécuter elle-même le contrat ou le faire exécuter par un tiers, en faisant supporter au cocontractant initial les frais et risques de l’exécution ;
  • La résiliation sanction, ici l’administration prononce la résiliation du contrat non pas dans l’intérêt du service mais en raison d’une faute grave du cocontractant dans l’exécution de celui-ci. Jusqu’à récemment, les contrats de délégation de service public ne pouvaient faire l’objet d’une sanction de résiliation unilatérale par l’administration, cette « déchéance » devant être prononcée par un juge en raison des implications importantes d’une telle sanction Toutefois, le Conseil d’État est revenu sur cette jurisprudence en 2015, en raison de la possibilité nouvelle du juge d’ordonner la reprise des relations contractuelles en cas de litige (CE, 2015, société Le jardin d’acclimatation). Le cocontractant peut contester la résiliation sanction, en saisissant le juge du contrat. Si le juge considère que la sanction est illégale, il va accorder des dommages et intérêts au cocontractant et il pourra aller jusqu’à imposer la reprise des relations contractuelles (CE, 2011, commune de Béziers).

Les contreparties limitées du cocontractant de l’administration

Au-delà du droit aux avantages prévus par le contrat, le cocontractant a le droit au maintien de l’équilibre financier du contrat, c’est la contrepartie des prérogatives exorbitantes de l’administration, notamment en matière de modification unilatérale du contrat. En cas de rupture de cet équilibre, et hors les cas prévus par le contrat lui-même pour y remédier, le juge a mis en place un système d’indemnisation, notamment pour éviter une atteinte au principe de continuité du service public si le contrat est en lien avec un tel service. Il existe ainsi trois situations auxquelles s’appliquent trois théories jurisprudentielles : théorie de l’équation financière face aux modification unilatérales du contrat (a) ; théorie du fait du prince face à une aggravation des charges du fait de l’administration (b) ; et théorie de l’imprévision face à une aggravation des charges due à un élément extérieur aux cocontractants (c).

Théorie de l’équation financière

Dans les cas où l’administration a usé de son pouvoir de modification unilatérale du contrat dans l’intérêt du service et qu’il en résulte des obligations supplémentaires pour le cocontractant, ce dernier a droit à une indemnisation compensatrice qui doit couvrir intégralement les charges nouvelles (CE, 1910, compagnie générale française des tramways).

La théorie du fait du prince

L’hypothèse de départ est ici celle où l’administration contractante intervient en tant que puissance publique et non pas en tant que partie au contrat. Dès lors que cette intervention a des répercussions sur le contrat et entraine des charges supplémentaires pour son cocontractant, celui-ci a droit à une indemnisation intégrale. Tel est le cas par exemple lorsqu’un maire modifie par un arrêté de police la réglementation de la circulation dans la ville, entrainant des charges nouvelles pour la compagnie de transport liée par contrat à la ville.

Cette théorie ne joue toutefois pas lorsque l’aggravation des charges résulte d’une autre personne publique que celle qui est partie au contrat (par exemple, un acte réglementaire de l’Etat qui vient faire peser de nouvelles charges sur le cocontractant d’une commune).

La théorie de l’imprévision

Il y a imprévision lorsqu’un bouleversement de l’équilibre du contrat est dû à un évènement non prévisible et extérieur aux parties. L’application de cette théorie entraîne une indemnisation temporaire du cocontractant tant que durent les circonstances ayant mené à la situation (CE, 1916, compagnie générale d’éclairage au gaz de Bordeaux). Dans cette affaire, du fait de l’occupation des mines de charbon pendant la guerre, le prix de ce combustible nécessaire à la création du gaz a augmenté. Pour éviter la rupture de la fourniture de gaz, le juge impose au cocontractant de continuer l’exécution du contrat et en contrepartie il va avoir droit à une indemnité.

Si, en cas d’imprévision, le cocontractant cesse l’exécution du contrat il commet alors une faute. Il n’aura pas le droit à une indemnisation et l’administration pourra résilier le contrat à ses torts (CE, 1982, société Propétrol).

Pour faire jouer la théorie de l’imprévision, il faut réunir un certain nombre de conditions, à savoir :

  • Un véritable bouleversement de l’équilibre financier du contrat et pas une simple aggravation des charges du cocontractant, il faut que la marge d’augmentation éventuelle des coûts que le cocontractant aurait dû envisager soit dépassée (ce que l’on appelle le seuil d’imprévision).
  • Ce bouleversement doit résulter d’un évènement imprévisible pour les parties (CE, 1920, Fromassol). Il ne doit pas s’agir d’un risque normal et prévisible que le cocontractant est censé accepter de courir lorsqu’il conclut un contrat (notamment pour les contrats de longue durée).
  • L’évènement doit enfin être extérieur aux parties.

En cas d’un tel bouleversement, le cocontractant a l’obligation de continuer à exécuter le contrat mais il bénéficie d’une indemnisation partielle (environ 90% de la charge financière supplémentaire). Si la situation à l’origine de l’imprévision venait à perdurer, les cocontractants peuvent demander au juge de prononcer la résiliation du contrat (CE, 1932, compagnie des tramways de Cherbourg).

Pour citer cette page : Marie-Joëlle Redor-Fichot et Xavier Aurey, « III. Le régime juridique des contrats de l’administration », Introduction au droit administratif, Fondamentaux, 2024 [https://fondamentaux.org/?p=1244]

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