Depuis son entrée en vigueur en 2015, le Code des relations entre le public et l’administration dispose d’un livre consacré au régime juridique des actes administratifs unilatéraux (Livre II, art. L. 200-1 à L. 243-4), encadrant ces actes depuis leur élaboration (A) jusqu’à leur disparition (C), en passant par leur mise en œuvre (B).
L’élaboration des actes administratifs
Comme nous le verrons dans les développements (sources et contrôle de légalité) abordés dans la seconde partie, l’administration est tenue de respecter l’ensemble des normes supérieures, elle doit fonder correctement sa décision tant en droit qu’en fait et toujours poursuivre un but d’intérêt général. Nous insisterons ici sur les règles de compétence (1), de procédure (2) et de forme (3) qui s’imposent au stade de l’élaboration de la décision et qui ont été définies par les textes et la jurisprudence.
Les règles de compétence
Les règles de compétence sont des règles d’ordre public, c’est-à-dire qu’elles peuvent être soulevées d’office par le juge dans le cadre du recours d’une personne contre un acte, mais qui ne contesterait pourtant pas la compétence de l’auteur de l’acte. On estime en effet que l’importance des règles de compétence implique que le juge puisse dans tous les cas en vérifier la bonne application s’il est saisi d’un recours contre un acte.
Les éléments de la compétence
Pour analyser la compétence d’une autorité administrative à adopter un acte, on distingue généralement entre trois éléments :
La compétence matérielle (ratione materiae)
La compétence matérielle est la compétence de l’auteur à raison de l’objet de l’acte, du domaine qu’il vise à réglementer. Par exemple, pour un acte dont l’objet est de réglementer la circulation dans une ville, seul le maire est compétent car c’est un règlement de police municipale. Les règles de compétence sont en principe définies par les textes qui organisent les compétences des autorités administratives.
La compétence géographique (ratione loci)
Comme son nom l’indique, la compétence géographique est celle à raison du lieu, du champ géographique sur lequel va porter l’acte. Ainsi, si le préfet de l’Orne adopte un arrêté visant le département de la Manche, l’acte sera illégal pour incompétence du préfet.
La compétence temporelle (ratione temporis)
La compétence temporelle est celle à raison du moment où l’acte est adopté. Pour que l’acte soit légal, l’autorité doit être en fonction au moment où elle l’adopte, ce qui veut dire que si elle n’a pas encore été nommée ou élue ou si elle n’est plus en fonction, elle n’a plus ce pouvoir et l’acte sera illégal.
Une adaptation de la règle est toutefois envisagée pour favoriser la continuité de l’action administrative, dans les cas où une autorité ne dispose plus de l’investiture, tel un gouvernement démissionnaire ou ayant fait l’objet d’une motion de censure. Tant que la nouvelle autorité n’a pas été nommée, l’ancienne autorité pourra encore adopter les actes visant à justement assurer la continuité de l’action administrative (CE, ass., 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie).
Les dérogations aux règles de compétence
Il existe certains cas où un acte ne sera pas considéré illégal même si l’autorité qui l’a adopté n’est pas l’autorité qui est normalement apte à le faire. Il y a en ce sens des hypothèses prévues par les textes : délégation de compétence et suppléance ou intérim (i) et des hypothèses jurisprudentielles : circonstances exceptionnelles (ii) et théorie du fonctionnaire de fait (iii).
Les délégations de compétence
Certains textes admettent que l’autorité dont ils organisent la compétence puisse déléguer celle-ci à une autre autorité, c’est-à-dire autoriser une autre autorité à agir à sa place dans le domaine concerné. Si une délégation est donc possible, cette délégation ne peut toutefois pas aboutir à décharger l’autorité normalement compétente de l’essentiel de ses attributions. La délégation de compétence peut prendre deux formes aux conséquences distinctes.
Avec la délégation de pouvoir, l’autorité administrative se dessaisit d’une partie de sa compétence au profit d’une autorité de rang inférieure. Par exemple, le ministre peut se dessaisir d’une partie de sa compétence au profit des préfets pour édicter des actes dans un domaine précis. Cette délégation de pouvoir est faite au profit d’une autorité administrative et non d’une personne. Elle dure tant qu’elle n’a pas expressément été révoquée et on considère le délégataire (celui au profit duquel la délégation est faite) comme le véritable auteur de la décision.
Avec la délégation de signature, l’autorité administrative supérieure se décharge simplement d’une tâche matérielle, la signature d’actes dans un domaine précis, au profit d’une autorité inférieure. Cette délégation de signature s’opérait en principe au profit d’une personne nommément désignée, et cessait donc avec un changement de titulaire. Toutefois, depuis un décret de 2005, les responsables supérieurs des administrations des ministères disposent automatiquement d’une délégation de signature de leur ministre de tutelle dès leur entrée en fonction. Dans tous les cas, le délégant peut reprendre sa signature à tout moment et cette autorité administrative reste le véritable auteur de la décision.
Sans être considérés comme des systèmes de délégation, mais avec des effets équivalents, on trouve les systèmes de suppléance et d’intérim. Ce sont les hypothèses où l’autorité administrative normalement compétente est absente ou empêchée, le suppléant officiellement désigné va alors pouvoir prendre les mêmes décisions que la personne qu’il remplace.
Les circonstances exceptionnelles
En présence de circonstances exceptionnelles (guerre, révolution, catastrophe naturelle de grande ampleur…), le juge admet qu’une autorité administrative puisse empiéter sur les compétences d’une autre lorsque son action est justifiée par ces circonstances. Ainsi, le Conseil d’Etat a par exemple admis qu’un subordonné agisse en lieu et place de son supérieur hiérarchique en cas de circonstances exceptionnelles (CE, 1919, Société des établissements Saupiquet).
La théorie du fonctionnaire de fait
Une première branche de cette théorie trouve à s’appliquer en présence de circonstances exceptionnelles, lorsque le juge admet qu’une personne qui n’est absolument pas une autorité administrative puisse agir à la place de l’administration. Ainsi, en 1948, le Conseil d’Etat a considéré comme des décisions administratives légales les décisions adoptées au nom de la commune par un comité d’habitants de Saint-Valéry-sur-Somme après la fuite du conseil municipal face à l’invasion allemande (CE, 5 mars 1948, Marion).
Une seconde branche s’applique en dehors des circonstances exceptionnelles et vise à faire prévaloir les apparences sur la compétence réelle, afin de préserver les droits des usagers. Il s’agira de situations où l’autorité administrative n’était pas ou plus habilitée à agir, alors que les administrés ne pouvaient pas deviner cette incompétence. En 1883, la Cour de cassation a ainsi admis la légalité des mariages célébrés par un conseiller municipal de Montrouge, alors que la délégation qu’il avait reçue du maire n’était pas régulière. Les administrés ne pouvant le savoir, le juge a fait prévaloir l’apparence sur la légalité de la délégation pour préserver leurs droits. Toutefois, le juge a également admis cette théorie du fonctionnaire de fait lorsque la décision est défavorable à l’administré (pas de fonction donc à protéger ses droits). Il en est ainsi pour la décision de reconduite à la frontière prononcée par le préfet de police de Paris, pourtant illégalement maintenu en fonction après avoir dépassé l’âge de mise à la retraite (CE, 16 mai 2001, préfet de police c. Mtimet).
Les règles de procédure
Les règles de procédure sont celles qui concernent l’élaboration de l’acte lui-même. Elles visent donc le processus de prise de décision et constituent normalement une garantie que l’administration a adopté la décision après s’être correctement informée de la situation en cause, notamment par une participation des intéressés, que ce soit sous la forme de consultations (a), voire par le respect du principe du contradictoire pour les décisions défavorables à leurs destinataires (b).
Les consultations
Avant de prendre une décision, l’administration peut, voire doit, s’entourer d’avis afin d’éclairer son choix (i), que ce soit par l’apport d’expertise ou par la participation du public (ii). Ces consultations doivent respecter un certain nombre de règles assurant notamment l’impartialité de l’organisme consulté. À défaut, la décision prise sur la base de cette consultation pourra être annulée par le juge s’il est saisi.
Avis facultatifs et avis obligatoires
On peut distinguer entre deux types d’avis aux conséquences juridiques différentes. Le premier, dit avis facultatif ou spontané, n’entraine aucune conséquence réelle pour l’administration, dès lors qu’elle n’est ni obligée de le recueillir, ni obligée d’en suivre les conclusions. Pour n’importe quelle décision non soumise à une forme d’avis préalable, l’administration peut en ce sens consulter un organisme extérieur et ne pas tenir compte de l’avis formulé pour prendre la décision en cause. Cependant, si l’administration décide de consulter un organisme, elle doit le faire correctement, notamment en veillant à l’impartialité de ce dernier.
Le deuxième, dit avis obligatoire, doit être sollicité par l’administration pour certaines décisions. Au sein de cette catégorie, il faut distinguer entre l’avis obligatoire simple et l’avis conforme.
Les avis obligatoires simples sont ceux que l’administration est obligée de recueillir, sauf à entrainer un vice de procédure (CE, 1970, CFDT), mais qu’elle n’est pas obligée de suivre. Existe tout de même une contrainte pour la décision finale car elle ne pourra adopter que le projet initial soumis à l’avis ou le projet issu des modifications de l’organe consulté. Toute décision sur avis obligatoire simple comprenant des modifications ultérieures à l’avis ne pourra être adoptée sans repasser par la procédure d’avis (CE, ass., 1998, UFFA-CFDT), sauf à entrainer un vice de procédure.
Enfin, l’avis conforme est une procédure encore plus contraignante. Dans ce cas, l’administration est obligée de consulter l’organisme et doit suivre son avis, sauf à ne finalement pas adopter la décision (CE, 1964, compagnie L’Union). Il en est ainsi pour la délivrance de permis de construire dans une zone proche d’un monument historique. Dans ce cas, le maire doit solliciter l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France et ne peut aller à l’encontre d’un avis négatif (en revanche, en cas d’avis positif, il peut refuser le permis de construire pour d’autres motifs). Dans une procédure d’avis conforme, l’organisme sollicité est considéré comme co-auteur de la décision et la non-sollicitation ou le fait de ne pas suivre un avis conforme est constitutif non pas d’un vice de procédure mais d’un vice d’incompétence, ce qui en fait un moyen d’ordre public (CE, 1994, Mme Laurent).
La participation du public à l’élaboration de la décision
Face aux limites de la démocratie représentative où la voix des citoyens ne peut souvent se faire entendre qu’au moment des élections, nombreux sont les acteurs politiques et citoyens à mettre en avant l’idée d’une démocratie dite participative. A mi-chemin entre la démocratie représentative et la démocratie directe, l’idée est alors d’associer le citoyen à la prise de décision, que ce soit au niveau de l’initiative, de l’élaboration, voire de l’adoption de cette décision. Le plus souvent facultative, la recherche de la participation du public peut toutefois être obligatoire dans certains cas précis, comme par exemple en matière environnementale. Trois mécanismes sont aujourd’hui utilisés pour faire participer le public à l’adoption d’un acte administratif, à savoir l’enquête publique, les consultations et le référendum local.
- Enquête publique : c’est une procédure ancienne de consultation obligatoire du public principalement utilisée aujourd’hui dans deux domaines : déclaration d’utilité publique dans le cadre d’une procédure d’expropriation (L. 1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique) et projets ayant un impact sur l’environnement (art. 7 de la Charte constitutionnelle de l’environnement, art. L. 123-2 du Code de l’environnement). Le régime juridique est alors prévu par ces deux codes. Tous les autres cas sont régis par le CRPA (L. 134-1 et s.). Des enquêtes publiques existent ainsi dans d’autres domaines, par exemple pour la mise en place de servitudes obligatoires en matière d’antennes relais de communication (L. 56 du Code des postes et des communications électroniques) ou pour le classement/déclassement de voies communales susceptible de porter atteinte aux fonctions de desserte ou de circulation assurées par la voie (L. 141-3 du Code de la voierie routière).
- Consultation (L. 1112-15 CGCT et L. 131-1 CRPA) : Même si cette faculté existait jusque-là en dehors de tout texte, l’article L. 131-1 CRPA prévoit la possibilité pour l’administration « d’associer le public à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte ». Elle doit alors rendre publiques toutes les informations utiles, dont la procédure pour participer, tout en laissant un délai raisonnable aux participants pour répondre et en organisant la publication des résultats et suites envisagées. Au niveau des collectivités territoriales, une procédure spécifique est prévue par le CGCT pour les décisions relevant de la compétence de la collectivité (L. 1112-15 et s. CGCT). La consultation locale peut être d’origine citoyenne avec un droit de pétition accordé aux électeurs des communes (demande de 20% des électeurs) et des autres collectivités territoriales (demande de 10% des électeurs), la décision finale d’organisation de la consultation relevant toutefois de l’assemblée délibérante de la collectivité (L. 1112-16 CGCT). Ces dispositions n’empêchent pas les collectivités locales d’ « associer le public à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte en procédant à une consultation du public » sur le fondement de l’article L. 131-1 CRPA (CE, 2017, association citoyenne « Pour Occitanie Pays Catalan »).
- Référendum local (art. 72-1, al. 2 de la Constitution 1958 et LO. 1112-1 CGCT) : depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, les collectivités territoriales peuvent organiser un référendum local pour les décisions relevant de leur compétence. Le vote des électeurs emporte adoption de la décision, si un quorum de 50% est atteint, c’est-à-dire seulement en cas d’une participation minimale de 50% des électeurs.
Le respect du contradictoire
Conformément à l’article L. 121-1 CRPA, sauf si elles résultent d’une demande de la personne, toutes les décisions individuelles défavorables à leur destinataire et celles « prises en considération de la personne » doivent faire l’objet d’une procédure contradictoire préalable. Développé au départ par la jurisprudence en référence à l’idée de respect des droits de la défense dans les procédures contentieuses, puis par le législateur (loi du 12 avril 2000), le principe du contradictoire a pour objet de permettre aux personnes « visées » par une mesure administrative de présenter leurs observations avant son adoption. Ces observations doivent au minimum pouvoir être présentées par écrit, voire de manière orale sur demande de la personne (L. 122-1 CRPA). Celle-ci a également le droit de se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire.
Dès 1944, le Conseil d’Etat a reconnu le principe du contradictoire en matière de sanction administrative comme un principe général du droit (CE, 5 mai 1944, Trompier-Gravier). Dans cette affaire, le préfet avait retiré à Mme Trompier-Gravier son autorisation de tenir un kiosque à journaux en raison d’une infraction qu’elle avait commise. Le juge précise alors que cette mesure ne pouvait intervenir sans qu’elle n’ « eut été mise à même de discuter les griefs formulés contre elle ». En 1989 et 1990, le Conseil constitutionnel fait de l’obligation de respecter les droits de la défense pour les sanctions administratives un PFRLR (CC, 1989, Liberté de communication et CC, 1990, Loi de finances pour 1991). Pour les autres décisions individuelles défavorables à l’administré qui n’ont pas le caractère d’une sanction, le juge applique également ce principe dès 1952 (CE, ass., 1952, Ligue pour la protection des mères abandonnées).
Les règles de forme
Les règles de forme concernent le contenant de l’acte, ce que l’on appelle aussi l’instrumentum ou enveloppe extérieure de l’acte. De manière générale, le droit administratif français est assez peu formaliste, les décisions administratives pouvant d’ailleurs être des décisions verbales. Dès lors que l’acte est écrit, il doit toutefois absolument présenter la signature de l’autorité qui l’a adopté (a), et dans certains cas la motivation qui le fonde (b).
La signature de l’acte
Tout acte administratif qui n’est pas signé par l’autorité qui l’a adopté sera jugé illégal en cas de contentieux. Depuis la loi du 12 avril 2000, et aujourd’hui en vertu de l’article L. 212-1 CRPA, cette signature doit être accompagnée de « la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité » de l’auteur de l’acte. En cas d’absence de ces mentions, l’acte pourra être annulé pour vice de forme (CE, 11 mars 2009, commune d’Auvers sur Oise). Seules les décisions notifiées par voie électronique et certaines décisions en matière fiscale sont dispensées de l’apposition explicite d’une signature, dès lors que leur auteur est explicitement référencé dans la décision (L212-2 CRPA).
L’obligation d’une motivation écrite
Alors que le secret était jusque-là un principe fondant l’activité de l’administration, la fin des années 1970 a vu un changement d’approche, afin de faire valoir les droits des administrés. L’un de ces actes a été l’adoption de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public (dont les dispositions relèvent aujourd’hui du CRPA). Avant l’entrée en vigueur de cette loi, rares étaient les actes qui devaient être motivés, c’est-à-dire présenter de manière explicite et par écrit les raisons de fait et de droit qui en fondaient l’adoption. Le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que c’était le cas pour les décisions des organismes professionnels de droit privé (CE, ass., 1970, Agence maritime Marseille-Fret). En l’absence d’une telle motivation, toutes les autres décisions de l’administration semblaient présenter un caractère autoritaire, une volonté de cacher le véritable motif derrière ladite décision.
La loi de 1979 ne renverse pas totalement ce principe mais vient énumérer un ensemble de décisions administratives pour lesquelles la présence d’une motivation écrite est obligatoire, sous peine d’annulation de la décision pour vice de forme. Sont avant tout concernées les décisions administratives individuelles défavorables (aujourd’hui article L. 211-2 CRPA), telles par exemple les mesures de police, les sanctions ou encore les décisions refusant une autorisation. Sont également concernées les décisions individuelles dérogeant aux règles fixées par le législateur ou le règlement.
Seules l’urgence ou la protection de faits couverts par le secret autorisent l’absence d’une motivation écrite, même si pour l’urgence l’administré concerné peut ensuite demander à l’administration de préciser sa motivation, dans le délai de recours contentieux (L. 211-6 CRPA).
Enfin, la motivation ne doit pas être stéréotypée, c’est-à-dire qu’elle doit « comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision » (L211-5 CRPA). Ainsi, le Conseil d’Etat a pu annuler pour vice de forme une décision d’expulsion du territoire pour trouble à l’ordre public, dès lors que la décision ne précisait pas les faits commis par l’intéressé (CE, 1982, Belasri).
La mise en œuvre d’un acte administratif
Un acte administratif ne produit d’effet qu’après son entrée en vigueur (1). Il peut alors être exécuté par l’administration (2), disposant à cette fin de prérogatives de puissance publique.
Entrée en vigueur des décisions
L’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux déclenche leur opposabilité aux administrés, en d’autres termes, l’administration ne pourra pas exiger le respect des droits ou obligations créées par sa décision tant que celle-ci n’est pas entrée en vigueur. L’entrée en vigueur de l’acte conditionne aussi la possibilité pour les administrés de s’en prévaloir : ces derniers ne peuvent donc pas exiger en principe de l’administration qu’elle respecte l’acte qu’elle a édicté tant qu’il n’est pas entré en vigueur.
Condition d’entrée en vigueur : la publicité
Pour entrer en vigueur, un acte doit être porté à la connaissance des administrés. Suivant le type d’acte cette publicité pourra se faire de deux manières : par la publication officielle de l’acte et/ou par sa notification individuelle.
Etant de portée générale, les actes réglementaires doivent faire l’objet d’une publicité par une publication officielle (Journal officiel, Bulletin officiel) et/ou par voie d’affichage, même si la loi ou le règlement peuvent prévoir des modalités particulières pour certains actes (L. 221-2 al. 1 CRPA). Pour les décrets, la publication doit être au Journal officiel de la République (L. 221-9 CRPA). Ces différents actes entrent ensuite en vigueur le lendemain de cette publicité, sauf pour les mesures nécessitant des mesures d’application. Dans ce cas-là, leur entrée en vigueur est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures (L. 221-2 al. 2 CRPA).
Les actes ni réglementaires ni individuels font l’objet des mêmes mesures de publicité que les actes réglementaires (L. 221-7 CRPA).
Les actes individuels doivent quant à eux être directement notifiés à leur destinataire, le moment de cette notification conditionnant leur entrée en vigueur (L. 221-8 CRPA) sauf s’il s’agit d’une décision individuelle légale favorable à son destinataire, celle-ci créant alors des droits à son profit dès sa signature (CE, 1952, Mattéi ; art. L. 242-1 CRPA).
Dès lors qu’un acte individuel intéresse également les tiers (par exemple un permis de construire peut avoir des implications pour les voisins), il doit faire l’objet d’une publicité, notamment par voie d’affichage (par exemple, les permis de construire sont affichés sur le lieu de la construction). En cas d’absence d’une telle publicité, l’acte entre en vigueur mais les délais de recours des tiers contre cet acte ne commencent pas à courir.
Pour les communes et les établissements publics locaux, une formalité supplémentaire est celle de la transmission préalable des actes les plus importants au représentant de l’Etat dans le département (L. 2131-1 CGCT).
Le principe de non-rétroactivité des actes
Pour des raisons de sécurité juridique et de respect des droits des administrés, l’acte administratif ne peut en principe déployer d’effets que pour le présent et l’avenir. Conformément à l’article L. 221-4 CRPA, un acte administratif ne peut donc pas s’appliquer « aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur ou aux contrats formés avant cette date ».
Il n’y a pas d’atteinte à ce principe de rétroactivité si une mesure nouvelle s’applique à une situation en cours : ainsi par exemple lorsque la réglementation change après le dépôt d’une demande de permis de construire, cette nouvelle réglementation s’appliquera (sauf le cas particulier de l’obtention d’un certificat d’urbanisme par le demandeur, ce certificat cristallisant les règles applicables le temps de sa validité). En revanche, elle ne pourra pas s’appliquer aux permis déjà accordés.
Ce principe de non-rétroactivité des actes administratif a été affirmé comme principe général du droit par le Conseil d’Etat en 1948 (CE, 1948, société du journal l’Aurore). Il n’a toutefois qu’une valeur infra-législative, la loi pouvant donc prévoir une forme de rétroactivité des actes administratifs, sauf en matière répressive (CC, 30 déc. 1982, n° 82-155 DC, Loi de finances rectificative pour 1982).
En dehors d’une habilitation législative strictement contrôlée par le Conseil constitutionnel s’il est saisi (CC, 14 fév. 2014, n°2013-366 QPC), le juge administratif admet une forme de rétroactivité des actes administratifs dans le cas où un acte est annulé à la suite d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 1925, Rodière). Pour combler le vide laissé par l’acte qui n’est alors réputé n’avoir jamais existé, l’administration peut être amenée à adopter des actes à portée rétroactive. Par exemple, l’annulation d’une mesure d’éviction d’un agent administratif implique sa réintégration rétroactive dans son emploi, ou dans un emploi équivalent (CE, 1959, Sieur Guille).
Enfin, l’administration doit prévoir des mesures transitoires lorsque la réglementation change et que son application immédiate entraînerait une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause (CE, 2006, KPMG et art L. 221-5 CRPA).
Exécution des décisions
Une fois entrée en vigueur, la décision administrative doit être appliquée. Or elle possède une force particulière : la force exécutoire (a) qui lui permet de surmonter l’éventuelle résistance des administrés à son exécution (b).
Force exécutoire et privilège du préalable
Dès lors que l’administration a pris une décision, celle-ci produit des effets dès son entrée en vigueur sans avoir besoin d’en faire vérifier la légalité par un juge, c’est le privilège du préalable, à savoir une présomption de conformité au droit. C’est donc à l’administré de saisir le juge et de faire la preuve de l’illégalité de la décision qu’il conteste. En outre, en attendant le jugement, la décision contestée continue à s’appliquer car les recours contre l’acte ne sont pas suspensifs sauf si le juge en décide explicitement dans l’attente d’une décision sur le fond.
Dépasser le refus d’exécution
Dès lors qu’un acte administratif met une obligation à la charge de l’administré, celui-ci doit en respecter les éléments et agir en conséquence. En cas de refus, il s’expose à une sanction (i) et/ou à une exécution forcée de la décision par l’administration (ii).
Sanction pour non-exécution
Tout d’abord la sanction de la non-exécution d’une décision administrative peut être pénale lorsque la loi ou le règlement prévoit une infraction spécifique. En ce sens, l’article R. 610-5 du Code pénal énonce que le non-respect des décrets et arrêtés de police est punissable d’une amende prévue pour les contraventions de première classe.
Ensuite sous certaines conditions, l’administration peut elle-même prononcer une sanction pour le non-respect d’un acte administratif, la transformant dès lors en juge et partie de l’action administrative, ce qui n’est évidemment pas sans danger pour l’administré. C’est pourquoi la jurisprudence a prévu des garde-fous pour préserver les libertés et le droit à un tribunal impartial. Il faut tout d’abord que la sanction soit prévue par un texte (CE, ass., 1962, Bertaux). En 1989 (CC, 17 janv. 1989, Loi relative à la communication), le Conseil constitutionnel pose également un certain nombre de limites au législateur lorsqu’il prévoit la possibilité de sanctions administratives : la sanction prononcée ne peut comprendre une peine d’emprisonnement ; elle doit avoir fait l’objet d’une procédure contradictoire et doit être proportionnée aux faits qui la motivent. Une même autorité ne peut à la fois exercer les fonctions d’instruction et de jugement (CC, 9 mars 2017, n° 2016-616 QPC).
Enfin, l’administré peut toujours effectuer un recours juridictionnel contre la sanction administrative dont il fait l’objet, sous la forme aujourd’hui d’un recours de plein contentieux.
Exécution forcée
L’exécution forcée ou exécution d’office permet à l’administration d’imposer, par la contrainte s’il le faut, le respect de sa décision.
Face à la résistance d’administrés, l’administration peut donc procéder à l’exécution d’actes administratifs (TC, 1902, Société immobilière St Just), dans trois cas :
- lorsque la loi a expressément prévu l’exécution forcée de décisions prises dans un domaine précis, tel par exemple en matière de droit des étrangers où un chapitre du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est consacré à cette question (éloignement du territoire, articles L. 722-1 à L. 722-12) ;
- lorsque face à la résistance de l’administré, aucune autre solution n’est possible ou quand celles engagées – sanction pénale et/ou administrative – n’ont pas eu d’effet ;
- lorsqu’il y a une urgence caractérisée. Selon la célèbre formule du Commissaire du gouvernement Romieu dans l’affaire précitée de 1902 : « Quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ».
Quelles que soient les hypothèses, dans tous les cas l’exécution forcée doit être strictement limitée à ce qui est nécessaire. Si l’exécution forcée avait lieu dans un autre cas que ceux exposés ci-dessus, alors il peut y avoir voie de fait (TC, 1935, Action française).
La disparition de l’acte administratif unilatéral
La disparition d’un acte administratif unilatéral peut résulter de différents cas de figure :
- l’acte a produit ses effets et n’a pas vocation à en produire d’autres ;
- l’acte a fait l’objet d’un recours juridictionnel et a été annulé par le juge administratif en raison d’une illégalité ;
- l’acte a fait l’objet d’une révocation par l’administration elle-même qui en décide soit le retrait (effet rétroactif : suppression des effets passés et à venir de l’acte), soit l’abrogation (disparition des seuls effets à venir de l’acte).
Cette possibilité donnée à l’administration de révoquer elle-même l’acte qu’elle a édicté obéit à des règles particulières (2) afin de concilier les deux principes qui gouvernent cette question : le principe de sécurité juridique et celui de respect de l’intérêt général (1). Ce régime est aujourd’hui codifié aux articles L. 240-1 à L. 243-4 CRPA.
La conciliation de principes parfois contradictoires
Le principe de sécurité juridique renvoie à l’idée que l’administration ne doit pas pouvoir trop facilement remettre en question le droit existant et que doivent être préservés les droits créés au profit des administrés. Il ne faut pas que les situations juridiques déjà établies puissent facilement être remises en cause. Absent de la Constitution ou des textes législatifs, ce principe n’a été affirmé de manière explicite par le Conseil d’Etat qu’en 2006 (CE, ass., 2006, société KPMG), celui-ci soulignant qu’il implique dans certains cas de prévoir des mesures transitoires en cas de modifications de la réglementation.
Ce principe de sécurité juridique se retrouve dans le principe de non-rétroactivité des actes administratifs et conduit logiquement à interdire ou au moins à limiter les possibilités de retirer des actes ayant créé des droits. Mais il implique aussi de limiter les possibilités de les abroger afin de préserver les droits des administrés.
Face à cela, l’administration doit dans le même temps respecter l’intérêt général, comprenant le respect des principes de légalité et de mutabilité. Au titre du premier, tous les actes figurant dans l’ordonnancement juridique doivent être légaux, impliquant normalement une obligation de révocation des actes illégaux. Au titre du second, l’administration doit pouvoir faire évoluer les règles pour les adapter aux évolutions sociétales. Il ne devrait pas être possible en ce sens de lui imposer de conserver des actes adoptés dans des circonstances différentes.
Visant deux objectifs parfois contradictoires, ces deux principes d’action – sécurité juridique et intérêt général – doivent alors être conciliés pour permettre la mise en place d’un régime équilibré de révocation des actes administratifs.
Le régime de révocation d’un acte administratif unilatéral
Jusqu’en 2015, le régime du retrait et de l’abrogation des actes administratifs unilatéraux était assez complexe. Le juge avait développé une jurisprudence protéiforme, adaptant le régime suivant le type de révocation (abrogation ou retrait), la qualité de l’acte (réglementaire ou individuel), son aspect créateur de droits ou non (l’acte a-t-il conféré à son destinataire un droit subjectif ou un avantage légalement reconnu), ou encore son caractère explicite ou implicite.
En 2015, le législateur est venu unifier le contentieux de la révocation des actes administratifs unilatéraux autour de deux catégories – les actes créateurs de droits et ceux qui ne le sont pas – et de deux conditions cumulatives – le caractère illégal ou non de l’acte et un délai de quatre mois suivant son adoption. Une exception générale à ce principe existe si l’acte a été obtenu par fraude (CE ass., 1935, Sarovitch, codifié par L. 241-2 CRPA). Il peut alors être retiré ou abrogé sans condition de délai.
Aujourd’hui codifié aux articles L. 240-1 à L. 243-4 CRPA, ce régime de droit commun s’applique « sous réserve des exigences découlant du droit de l’Union européenne et de dispositions législatives et réglementaires spéciales » (L. 241-1 CRPA).
Les actes créateurs de droits
Sont considérés comme créateurs de droits essentiellement les actes individuels qui ont modifié la situation juridique d’une personne dans un sens qui lui est favorable. Pour ces actes créateurs de droit, le retrait ou l’abrogation n’est en principe possible que dans un délai de 4 mois et seulement si l’acte est illégal (CE, ass., 2001, Ternon, codifié par L. 242-1 CRPA). Plusieurs exceptions à ces principes sont toutefois prévues :
- Pour les décisions conditionnelles, c’est-à-dire assortie de conditions légales à remplir pour leur adoption :
- l’abrogation est possible si les conditions de maintien de la décision ne sont plus remplies (L. 242-2 CRPA) ;
- le retrait est possible pour de telles décisions attribuant une subvention « lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées » (L242-2 § 2 CRPA). L’administration peut alors demander le remboursement des sommes versées.
- Pour la révocation à la demande du bénéficiaire : le retrait ou l’abrogation sont possibles à tout moment, même pour une décision légale, tant que cela ne porte pas atteinte aux droits des tiers (CE, 1974, Barras, codifié par L. 242-4 CRPA) ; elle est obligatoire si la décision est illégale et que le retrait ou l’abrogation peuvent intervenir dans les 4 mois de son édiction (CE, 1974, Barras et L. 242-3 CRPA).
- Pour les décisions soumises à recours administratif préalable obligatoire : le retrait ou l’abrogation ne sont possibles que dans le délai de réponse de l’administration au recours administratif (L. 242-5 CRPA).
En dehors de ces hypothèses, l’illégalité du retrait ou de l’abrogation d’un acte légal n’implique pas l’impossibilité de tout changement normatif. Pour modifier la situation, l’administration doit alors procéder à l’adoption d’un nouvel acte, respectant les conditions de formes et de fonds prévues par les textes. En ce sens, l’administration ne peut par exemple révoquer un fonctionnaire en abrogeant son acte de nomination, mais seulement en adoptant un acte de révocation suivant la procédure prévue par le code de la fonction publique.
Les actes réglementaires sont généralement assimilés par la doctrine à des actes non créateurs de droit alors même qu’ils ont pu créer des droits (et pas seulement des obligations) auquel cas leur retrait n’est possible que s’ils sont illégaux et dans le délai de 4 mois.
Si les actes réglementaires sont souvent assimilés à des actes non créateurs, c’est parce que, contrairement aux actes individuels créateurs de droits, ils ne créent pas de droit à leur maintien, ce qui signifie qu’ils peuvent toujours être abrogés car il n’est pas pensable de devoir conserver pour toujours la même réglementation, celle-ci doit pouvoir être adaptée aux circonstances. Les actes règlementaires sont donc des actes « qui ne créent pas de droit à leur maintien » et leur abrogation est même obligatoire s’ils sont illégaux ou devenus illégaux et cela sans condition de délai (CE, 1989, compagnie Alitalia, codifié à l’article L. 243-2 CRPA).
Les actes non créateurs de droit
Par définition, il n’y a pas de difficulté liée à la nécessité de préserver des droits acquis. Pour ces actes, l’abrogation est donc toujours possible, quel que soit le délai et sans motif (L. 243-1 CRPA), « sous réserve, le cas échéant, de l’édiction de mesures transitoires dans les conditions prévues à l’article L. 221-6 » (à savoir une date d’entrée en vigueur différée, la précision des conditions d’application de la nouvelle réglementation aux situations en cours, ou la mise en place « règles particulières pour régir la transition entre l’ancienne et la nouvelle réglementation »).
En revanche, le retrait des actes réglementaires et des actes non réglementaires qui n’ont pas créé de droits n’est possible que dans un délai de 4 mois si l’acte est illégal (L. 243-3 CRPA), sauf si l’acte a le caractère d’une sanction, autorisant alors son retrait quel que soit le délai (CE, 1947, Société Duchet, codifié par L. 243-4).
L’impossibilité de retirer l’acte non créateur illégal au-delà du délai de 4 mois a été introduite par le CRPA alors que la jurisprudence antérieure l’admettait (leur retrait était possible à tout moment et pour tout motif). Cette modification du régime juridique n’apparaît pas très logique : dans la mesure où un acte n’a pas créé de droits, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas possible de le retirer sans condition de délai surtout s’il est illégal.
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