Tout acte unilatéral de l’administration n’est pas un acte administratif. Il doit en effet présenter un caractère administratif (A) pour pouvoir ensuite être classé parmi les différents types d’actes administratifs (B).
Le caractère administratif de l’acte unilatéral
Avant même de distinguer entre les actes unilatéraux qui relèvent du droit administratif et ceux qui relèvent du droit privé (2), commençons par évacuer la distinction d’avec les autres actes que peuvent adopter les autorités publiques (1).
Acte administratif unilatéral et autres actes des autorités publiques
L’acte administratif est en principe un acte édicté par une autorité administrative (CE, 1907, Cie des chemins de fer de l’est) dans le cadre de la fonction administrative. Il faut en ce sens le distinguer de plusieurs autres types d’actes que l’on retrouve au sein de l’Etat : les actes du Parlement (a), les actes juridictionnels (b) et les actes de gouvernement (c).
Distinction acte administratif et acte législatif ou parlementaire
Les lois, résolutions ou encore les règlements des assemblées parlementaires ne sont pas des actes administratifs mais des actes parlementaires. Ils ont un statut propre avec des règles propres d’adoption, de mise en œuvre et de contestation. Toutefois, certains actes adoptés par un organe de l’une des assemblées (Assemblée nationale ou Sénat) peuvent être des actes administratifs. Il en va ainsi de la décision d’attribution d’un marché public conclu par l’Assemblée nationale pour de l’équipement audiovisuel. Cette décision est un acte administratif unilatéral susceptible de recours devant le juge administratif (CE ass, 1999, Président de l’Assemblée nationale). Il en va également ainsi des actes individuels concernant les agents des assemblées parlementaires selon une ordonnance du 17 novembre 1958. S’ils n’étaient pas qualifiés d’actes administratifs, les agents ne pourraient pas contester la validité des décisions prises à leur encontre.
Sans être des lois ou des résolutions, certains actes sont quand même exclus de la catégorie des actes administratifs et considérés comme des actes parlementaires. C’est le cas lorsque l’acte en question est relatif à « l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement » (CE, 2003, Papon). En 2003, la décision de refuser de rétablir le versement de la pension de retraite à Maurice Papon, ancien parlementaire est considérée par le juge comme un acte parlementaire insusceptible de recours.Il en va de même pour les sanctions prononcées contre les parlementaires par les bureaux du Sénat ou de l’Assemblée nationale (CE, 2011, Maxime Gremetz)
Distinction acte administratif et acte juridictionnel
Un acte juridictionnel n’est pas un acte administratif, mais tous les actes des juridictions ne sont pas des actes juridictionnels. Il y a en effet deux types d’hypothèses :
- Les actes qui portent sur l’exécution du service public de la justice : ce sont des actes juridictionnels ;
- Les actes qui ont trait à l’organisation du service public de la justice : ce sont des actes administratifs.
Ainsi, lorsqu’un recours en responsabilité est intenté pour obtenir réparation du dommage causé par l’arrêt du fonctionnement d’un tribunal en Guyane, le Tribunal des conflits juge que cette situation était due à l’absence de nomination d’un magistrat au sein de ce tribunal. C’est un problème d’organisation du service dont la contestation des actes qui y ont trait relève de la compétence des juridictions administratives (TC, 1952, Préfet de la Guyane). Il en va de même pour toutes les décisions qui concernent la création et la suppression de tribunaux, ainsi que celles touchant à la carrière des magistrats.
Mais cette délimitation entre l’organisation et l’exécution du service n’est pas toujours facile à établir. Ainsi pour les décisions concernant les détenus, une décision du juge d’application des peines (par exemple : réduction de peine, libération conditionnelle) est un acte juridictionnel (CE, 2001, Malbeau). En revanche, une décision disciplinaire prise à l’encontre d’un détenu par l’administration pénitentiaire est un acte administratif susceptible de recours devant le juge administratif (CE, 1995, Marie) dès lors qu’elle n’affecte ni la nature ni la durée de la peine.
Enfin, la jurisprudence a tendance à traiter le Conseil constitutionnel comme une juridiction. Ainsi, il y a incompétence du juge administratif pour statuer sur la légalité des actes se rattachant à l’exercice par le Conseil constitutionnel des missions qui lui sont confiées par la constitution ou les lois organiques (CE, 2002, Jean-Philippe X).
Distinction acte administratif et acte de gouvernement
Tant le président de la République, que le Premier ministre et les ministres sont à la fois des autorités administratives et des autorités politiques. Il en résulte que les actes de ces autorités ne sont pas tous des actes administratifs, certains vont être qualifiés d’actes de gouvernement.
Définition générale des actes de gouvernement
Les actes de gouvernement sont les actes accomplis par les titulaires du pouvoir exécutif lorsqu’ils agissent dans le cadre de leur fonction gouvernementale. Au titre de la séparation des pouvoirs, aucun recours n’est alors possible contre de tels actes. La question de leur distinction avec les actes administratifs est ainsi essentielle.
Depuis la Révolution, il était considéré que tout acte accompli avec un mobile politique était un acte de gouvernement. Mais cette approche est abandonnée par le Conseil d’Etat en 1875 (CE, 1875, Prince Napoléon). Si le juge laisse de côté la théorie du mobile politique, il ne la remplace pour autant par aucun nouveau critère à même de permettre la reconnaissance d’un acte de gouvernement. C’est la doctrine qui petit à petit a essayé d’échafauder une théorie.
Finalement, on est obligé de se référer à une sorte de liste, la doctrine regroupant les actes de gouvernement en deux catégories : actes relatifs à la conduite des relations internationales (ii) et ceux concernant les relations entre les pouvoirs publics constitutionnels (iii).
Actes relatifs à la conduite des relations internationales
Tout acte en lien avec la conduite des relations internationales est considéré par le juge comme un acte de gouvernement. Il en est ainsi pour la décision de signer un traité ou encore le vote au sein d’une organisation internationale (CE, 1983, association Les Verts). En 1995, le Conseil d’Etat considère également que la décision de Jacques Chirac de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique « n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France » et qu’elle est donc un acte de gouvernement insusceptible de recours (CE, 1995, association Greenpeace France). La décision d’engager les forces armées françaises au Kosovo est de même considérée par le juge comme un acte de gouvernement (CE, 2000, Mégret).
En revanche, dès lors que l’acte est détachable des relations internationales, il retrouve son caractère d’acte administratif. Il en va ainsi pour les décrets autorisant l’extradition d’une personne vers un Etat qui la réclame (CE, 1937, Decerf) qu’il est donc possible de contester devant le juge administratif, ou de la décision d’exporter du matériel nucléaire au Pakistan (CE, 1988, société Robatel). Cette idée d’acte détachable n’est pas spécifique à ce domaine et c’est une notion extrêmement floue. De manière générale, il faut toutefois noter que la jurisprudence a évolué dans un sens favorable à la qualification d’acte administratif plutôt qu’à celle d’acte de gouvernement. Il est ainsi considéré que dans un Etat de droit le champ des actes qui ne peuvent pas être contrôlés doit être le plus restreint possible.
Actes concernant les relations entre pouvoirs publics constitutionnels
Dès lors qu’un acte relève des relations entre les pouvoirs publics constitutionnellement institués, il est considéré comme un acte de gouvernement. C’est notamment le cas pour le décret de dissolution de l’Assemblée nationale (CE, 1989, Allain) ou pour la décision de déclencher l’article 16 (CE, 1962, Rubin de Servens). Ce sont deux actes de gouvernement dès lors qu’ils affectent les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Comme pour les actes relatifs à la conduite des relations internationales, la tendance jurisprudentielle est plutôt à la restriction des actes concernant les relations entre pouvoirs publics constitutionnels, autrement dit, le juge accepte plus facilement de qualifier d’acte administratif ce qu’autrefois il aurait considéré comme un acte de gouvernement. En 2005, il considère par exemple que le déclenchement de l’état d’urgence n’est pas un acte de gouvernement mais bien un acte administratif (CE, 2005, Rolin).
Acte administratif unilatéral et acte de droit privé
Pendant longtemps seules les personnes publiques pouvaient édicter des actes administratifs. Mais avec la possibilité pour les personnes privées de gérer des services publics a été transférée celle d’adopter des actes administratifs unilatéraux (CE, 1942, Monpeurt), notamment ceux manifestant l’utilisation de prérogatives de puissance publique.
En principe, tout acte unilatéral adopté par une personne publique dans sa fonction administrative est un acte administratif unilatéral. Le critère organique (l’auteur de l’acte) est donc ici essentiel, mais il est aussi insuffisant. Il faut alors le compléter avec un critère matériel (le cadre dans lequel on agit) et un critère formel (les moyens utilisés pour agir). Le critère organique n’a pas complètement disparu, mais tous les actes administratifs ne sont pas pris par des personnes publiques. A partir du critère matériel, on envisage alors deux hypothèses : celles des actes unilatéraux édictés dans le cadre d’un service public administratif (a) et celle des actes unilatéraux édictés dans le cadre d’un service public industriel et commercial (b).
Acte unilatéral édicté dans le cadre d’un SPA
Les services publics administratifs sont soumis à un régime juridique dominé par le droit administratif. Toutefois, ce critère matériel n’est pas suffisant et doit être complété par les deux autres.
Ainsi, tout acte édicté par une personne publique (critère organique) dans le cadre d’un SPA (critère matériel) est un acte administratif.
En revanche, si l’acte est adopté par une personne privée (critère organique non rempli) agissant dans le cadre d’un SPA (critère matériel) le juge se tourne vers le critère formel pour trancher. Il va ainsi rechercher si l’acte met en œuvre des prérogatives de puissance publique, puisque celles-ci sont la manifestation du droit administratif (CE, 1961, Magnier). Il faut que ce soit l’acte en lui-même qui mette en œuvre de telles prérogatives (le fait que la personne privée en dispose ne suffit pas) et qu’il soit pris dans le cadre du SPA (et non pas pour la vie interne de la personne privée). En 2015, le Tribunal des conflits vient clarifier ce deuxième élément en soulignant que « dans le cadre du SPA » signifie pour régir l’organisation du service public (TC, 2015, Union interprofessionnelle CFDT de Saint-Pierre-et-Miquelon), c’est-à-dire, selon les mots du Rapporteur public Dacosta dans une affaire de 2010, les actes qui ont « une incidence directe sur la façon dont le service public lui-même est assuré » (M. Dacosta, conclusions sous CE, 2010, Comité mixte à la production de la direction des achats d’EDF).
Acte unilatéral édicté dans le cadre d’un SPIC
Alors que le SPA est dominé par le droit administratif, le SPIC est, lui, dominé par le droit privé. Il existe en ce sens une présomption réfragable (c’est-à-dire qui peut être renversée) d’acte de droit privé dès lors que l’on est en présence d’un SPIC.
Lorsque le SPIC est géré par une personne publique, tous les actes règlementaires sont des actes administratifs, ainsi que les actes individuels ne concernant ni le personnel, ni les usagers du service (CE, 1961, Agnesi). Lorsque le SPIC est géré par une personne privée seuls les règlements pris pour l’organisation du servicesont des actes administratifs (TC, 1968, Epoux Barbier). Tous les autres actes sont des actes de droit privé.
Les différents types d’actes administratifs unilatéraux
Attention, qualifier un acte d’acte administratif unilatéral n’entraîne pas automatiquement son contrôle possible par le juge. Il faut en effet distinguer la qualification d’acte administratif (le faisant relever du droit administratif) d’un possible recours juridictionnel contre cet acte (1). Ensuite, et pour reprendre la liste faite à l’article L. 200-1 CRPA, il faut également distinguer entre les actes réglementaires, les actes individuels et les actes qui ne sont ni réglementaires ni individuels (2).
La justiciabilité des actes administratifs unilatéraux
Même lorsqu’ils sont qualifiables d’actes administratifs unilatéraux, tous les actes de l’administration ne peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. De manière générale, seuls les actes décisoires peuvent faire l’objet d’un recours (a). Sans remettre en cause cette notion d’acte décisoire, notamment prévue à l’article L200-1 CRPA, le juge a étendu en juin 2020 le champ de la justiciabilité des actes administratifs unilatéraux en intégrant définitivement la question de leur effet notable (b). Entre temps, c’est du côté des mesures d’ordre intérieur que les lignes ont également bougé (c).
Le critère de l’acte décisoire
Un acte décisoire est un acte qui s’impose et qui affecte l’ordonnancement juridique. Cette approche semble assez évidente dès lors que l’on est face à un acte règlementaire qui créé de nouveaux droits ou de nouvelles obligations. L’arrêté municipal qui règle le stationnement est ainsi un acte décisoire puisqu’il crée des obligations à la charge des administrés.
Cette qualification est également vraie pour les actes individuels affectant la situation juridique de l’administré. Il en va par exemple de l’octroi d’un permis de construire : il s’impose et modifie l’ordonnancement juridique, c’est-à-dire qu’il crée en l’espèce une nouvelle situation juridique pour l’administré. La décision de refus d’un permis de construire est dans le même sens un acte décisoire. Même si on n’observe pas de changement dans l’ordonnancement juridique (le refus laissant la situation en l’état), cette décision affecte la situation de l’administré en ce sens qu’il ne peut pas en l’espèce mener à bien son projet.
N’étaient en en revanche pas considérés comme des actes décisoires :
- les actes incitatifs : actes qui encouragent l’adoption de certains comportements par les administrés sans toutefois les prescrire. Le destinataire reste libre de ne pas les suivre ;
- les actes interprétatifs : actes, notamment les circulaires interprétatives et les directives, visant à clarifier une interprétation du droit et/ou pour l’administration à se donner une ligne de conduite à elle-même ;
- les actes préparatoires : vœux, avis, rapport… c’est-à-dire l’ensemble des actes qui permettent à l’administration de préparer une décision ultérieure ;
- les actes informatifs : information, description, rappel de l’existence d’un fait, d’un acte juridique ou de l’état du droit ;
- les actes confirmatifs : actes qui se contentent de confirmer une décision antérieure. Finalement rien ne change car c’est exactement la même décision. Une exception existe toutefois lorsqu’entre la première décision et la seconde, il y a eu un changement de droit ou de fait. L’acte n’est plus confirmatif mais considéré comme une nouvelle décision (CE, 1983, Tribier : première décision de refus de permis de construire, le requérant demande à nouveau l’année suivante et essuie un nouveau refus. Ce n’est toutefois pas une décision confirmative car entre-temps la réglementation avait changé) ;
- les mesures d’ordre intérieur : actes purement internes à l’administration.
Un premier coup de pioche dans l’édifice est donné par le juge dans le cadre de l’appréciation du caractère décisoire des circulaires interprétatives impératives. Une circulaire est un document rédigé par le chef de service d’une administration, destiné à ses subordonnés, et visant à faire passer une information ou une consigne sur le fond ou la procédure du service. Dans l’ancienne distinction entre les circulaires réglementaires et les circulaires interprétatives, les premières étaient vues comme ajoutant au droit tandis que les secondes ne faisaient qu’informer sur une interprétation du droit existant. Les premières étaient décisoires et relevaient donc d’un possible contrôle du juge, les secondes non (CE, 1954, Institution Notre Dame du Kreisker).
En 2002, sans remettre en cause complètement cette distinction, le juge va s’intéresser au caractère impératif de la circulaire pour en qualifier l’aspect décisoire ou non (CE, 2002, Duvignères). La circulaire invite-t-elle ou oblige-t-elle à agir d’une certaine manière ? Par exemple, n’est pas impérative une circulaire adressée par le ministre de l’Education nationale aux recteurs d’académie pour inviter les chefs d’établissement à proposer une modification du règlement intérieur de leur lycée. Au contraire, dès lors qu’une interprétation du droit s’impose aux administrations déconcentrées, le juge considère que cela va produire des effets sur la situation juridique des administrés et que cela relève donc de son contrôle.
En 2005, il étend cette approche du caractère impératif à un autre type d’acte : les actes incitatifs. Le Conseil d’Etat considère ainsi que l’acte incitatif est décisoire s’il est rédigé de façon impérative (CE, 2005, Conseil de l’Ordre des médecins : recommandations de bonnes pratiques médicales homologuées par le ministre de la Santé) ou s’il s’inscrit dans un cadre qui le rend impératif (CE, 2011, FORMINDEP : sur les recommandations de bonne pratique de la Haute autorité de santé. Elles ont pour objet de guider les professionnels dans la détermination des protocoles de soin. Or le Code santé publique impose aux médecins d’informer les patients à partir des données acquises de la science, déterminées à la lumière de ces recommandations. Le non-respect de ces recommandations peut donc avoir un impact sur la situation du médecin).
A partir de là, le Conseil d’Etat va continuer à étendre les exceptions jusqu’à devoir synthétiser les choses autour d’un nouveau critère en 2020.
L’apparition du critère de l’effet notable
A partir des années 2010, le Conseil d’Etat commence à s’intéresser à la justiciabilité des actes dits de « droit souple », c’est-à-dire ces actes qui « ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant leur adhésion » sans pour autant « [créer] par eux-mêmes de droits ou d’obligations » (Conseil d’Etat, Etude annuelle, 2013). Très utilisés par les autorités administratives indépendantes de régulation, ces actes incitatifs ont souvent un impact factuel important sur leurs destinataires. En 2016, le juge est ainsi confronté à un recours contre des communiqués de presse de l’Autorité des marchés financiers qui appelaient les investisseurs à la vigilance concernant certains produits commercialisés par la société Fairvesta International GMBH. Le juge considère alors que « les communiqués contestés doivent être regardés comme étant de nature à produire des effets économiques notables et comme ayant pour objet de conduire des investisseurs à modifier de manière significative leur comportement vis-à-vis des produits qu’ils désignent » (CE, 2016, Société Fairvesta International GMBH. Voir également l’arrêt CE, 2016, Numéricable rendu le même jour à propos d’une prise de position adoptée par l’Autorité de la concurrence). Ils sont alors susceptibles de recours devant le juge de l’excès de pouvoir.
Adoptée au départ pour les seuls actes de droit souple des autorités de régulation, cette approche de l’effet notable est ensuite rapidement étendue aux lignes directrices (CE, 2017, Société Bouygues Télécom) et aux prises de position des autres autorités administratives, telles celles par exemple de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (CE, 2019, Le Pen).
Appliquée ici et là au cas par cas, cette approche nécessitait une synthèse par un arrêt de principe. C’est chose faite en juin 2020 avec un arrêt par lequel le juge entérine ce critère de l’effet notable pour analyser la justiciabilité des actes à la portée floue. Le juge affirme ainsi que :
« Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices » (CE, 2020, Gisti).
Aujourd’hui, tout acte administratif entraînant un effet notable sur les tiers à l’administration en cause doit donc pouvoir être contrôlé par le juge. On retrouve d’ailleurs cette question des effets dans l’évolution spécifique de la justiciabilité des actes touchant à l’ordre intérieur des administrations.
Le cas particulier des mesures d’ordre intérieur
Les actes que l’on comprend comme purement internes à l’administration ont longtemps été vus comme un ensemble homogène pour lequel aucun recours juridictionnel n’était possible. Parmi ces actes figuraient ceux gérant les rapports entre les gestionnaires des activités administratives et leurs agents, mais aussi les relations entre les administrations présentant un caractère disciplinaire marqué (écoles, hôpital, prisons) et leurs usagers. Tous ces actes étaient qualifiés de mesures d’ordre intérieur.
Le juge considérait ainsi qu’il existait des actes nécessaires à un service qu’il serait dangereux de soumettre à un contrôle juridictionnel, afin de ne pas remettre en cause l’organisation du service, d’en perturber le fonctionnement normal et régulier. Dès lors qu’une telle décision est « prise dans l’intérêt du service », elle relevait d’une mesure d’ordre intérieur non justiciable devant les tribunaux administratifs. C’est ce qui ressort d’une jurisprudence ancienne du Conseil d’Etat (CE de 1917, Druhot). Une autre raison peut-être moins avouable était la peur de l’encombrement des tribunaux administratifs en cas de multiplication des recours contre ces décisions (en termes de sécurité juridique, cela pose de sérieux problèmes de justification).
L’illégalité de ces mesures ne pouvait donc être attaquée ni de manière directe (CE, 1966, Guillain), ni même de manière indirecte à l’occasion d’un recours contre un acte d’application de cette mesure, ni être le fait générateur d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration (CE, 1982, Taddei).
Pourtant, pour nombre de ces actes existe bien une décision administrative, parfois avec des conséquences importantes pour l’individu, notamment pour les administrés usagers du service concerné par la mesure (exclusion d’un élève d’un lycée, sanction disciplinaire contre un militaire, placement d’un détenu dans un quartier de haute sécurité…). Il est alors facile de se rendre compte du problème posé par l’absence de contrôle du juge pour la personne à laquelle s’applique une mesure qui pourrait être illégale.
Depuis les années 1990, notamment sous la pression de la Cour européenne des droits de l’Homme, la jurisprudence a évolué vers une restriction du champ des mesures d’ordre intérieur. Certaines de ces mesures sont aujourd’hui qualifiées d’actes décisoires, entraînant la possibilité d’un recours juridictionnel.
La première évolution touche ainsi les établissements scolaires, avant de s’étendre aux prisons et à l’armée. Par un avis de 1989 et un arrêt de 1992 (CE 1992, Kherouaa), le Conseil d’État juge ainsi que les règlements intérieurs des établissements scolaires ne doivent plus être considérés comme des mesures d’ordre intérieur mais comme des décisions administratives susceptibles de recours. Il en va de même pour les sanctions les plus graves prononcées à l’encontre des élèves.
Deux arrêts rendus en 1995 viennent transposer cette solution aux détenus (CE, 1995, Marie : détenu mis en cellule de punition pour 8 jours) et aux militaires (CE, 1995, Hardouin : militaire mis aux arrêts pour 10 jours). Ces deux décisions sont alors susceptibles de recours devant les juridictions. Toutefois, la solution n’est pas encore complètement acquise pour les détenus, le Conseil d’Etat jugeant l’année suivante qu’une simple mise à l’isolement reste une mesure d’ordre intérieur (CE, 1996, Fauqueux).
En 2007, par trois arrêts rendus le même jour, le juge administratif va finalement énoncer les critères de distinction entre les mesures d’ordre intérieur et les décisions susceptibles de recours (CE, 14 décembre 2007, Boussouar ; Planchenault ; et Payet). En l’espèce, il était question de savoir si la décision de transférer un détenu d’une maison centrale, établissement pour peines, à une maison d’arrêt était ou non une mesure d’ordre intérieur. Pour le juge, nous sommes ici face à une décision susceptible de recours car elle présente des effets importants pour le détenu dès lors que le régime d’incarcération d’une maison d’arrêt ne permet plus de participer à des activités de réinsertion. Il se fonde ainsi sur deux critères : la nature de la mesure (son objet, son caractère – civil, pénal, disciplinaire, mesure prise dans l’intérêt du service – et son statut juridique) et ses effets sur le destinataire (effets juridiques et/ou matériels, notamment l’atteinte aux droits et libertés de la personne).
Sont par exemple toujours reconnus comme des mesures d’ordre intérieur : le refus de changer un détenu d’établissement (CE, 13 nov. 2013), dès lors qu’il n’est pas établi qu’un tel refus est de nature à porter atteinte au respect de la vie privée et familiale de la personne incarcérée, ou encore la décision de contrôler l’équipement informatique d’un détenu (CE, 9 nov. 2015).
Pour les fonctionnaires, un simple changement d’affectation qui n’entraîne aucune perte de rémunération ou de responsabilité est considéré comme une mesure d’ordre intérieur, sauf s’il est la traduction d’une sanction déguisée, d’un harcèlement moral ou d’une discrimination (CE, sect., 25 sept. 2015, Mme B).
La distinction actes réglementaires et actes individuels
La distinction entre les actes réglementaires et les actes individuels a une portée juridique dès lors qu’elle conditionne notamment les délais de recours, la compétence du juge, les normes de référence et la possibilité de révoquer un acte. Même si cette distinction est en principe assez simple (a), il faut ajouter certains cas particuliers (b).
Le critère matériel de distinction : l’objet de l’acte
L’acte réglementaire est un acte qui fixe une règle de droit à portée générale et impersonnelle. En ce sens, il s’adresse à une catégorie d’administrés visés en tant qu’appartenant à cette catégorie, celle-ci pouvant d’ailleurs ne comprendre qu’un seul individu. Par exemple, la décision d’attribution d’une indemnité de fonction au préfet de Paris est un acte réglementaire, car elle vise la catégorie administrative « préfet de Paris » qui ne comporte toutefois qu’un seul membre. À ce critère initial de l’objet, le juge a depuis longtemps ajouté celui de l’organisation des services publics, même si alors la règle n’a pas toujours une portée générale et impersonnelle. De ce fait, sont notamment considérés comme réglementaires l’acte de dissolution d’un établissement public (CE, 1989, Saubot) alors que l’acte vise nommément cet établissement), la décision d’ouvrir une classe supplémentaire dans une école donnée (CE, 1993, commune de la Chapelle-Saint-Sauveur) ou encore la délégation de signature par laquelle une autorité administrative délègue à une personne nommément désignée la compétence pour signer une décision à sa place (CE, 1990, de Marin). Les actes réglementaires sont publiés, et c’est cette publication qui conditionne les délais de recours et l’opposabilité de l’acte.
L’acte individuel est un acte appliquant une règle de droit préétablie à une situation particulière. En ce sens, ses destinataires sont individuellement identifiés, soit nominativement, soit par la situation à laquelle ils sont parties (cas par exemple d’une décision appliquant une règle aux riverains d’un quartier). Il importe peu que le destinataire soit une personne privée ou publique. Sont en ce sens des actes individuels la décision de nommer une personne à un poste dans l’administration ou encore la délivrance d’un permis de construire. Un acte reste individuel quel que soit le nombre de personnes nommément visées par cet acte (on parlera parfois d’acte collectif pour des actes concernant beaucoup de personnes tels une délibération d’un jury d’examen ou la proclamation des résultats d’un concours). L’acte individuel fait l’objet d’une notification, mais pas forcément d’une publication à destination du public (sauf nécessité d’informer les tiers comme pour le cas des permis de construire). C’est la notification qui fait courir le délai de recours et d’opposabilité pour le destinataire, la publication pour les tiers.
Les actes ni réglementaires, ni individuels
Parfois appelées décisions d’espèce, actes particuliers ou actes sui generis, les « décisions ni réglementaires ni individuelles » (L. 200-1 CRPA) sont des actes qui ne rentrent dans aucune des cases de la distinction. Ces décisions ne visent ni à créer une règle de droit générale et impersonnelle, ni à appliquer une règle de droit à une situation particulière, mais à qualifier de manière générale et objective une situation pour la faire rentrer dans un cadre juridique prédéterminé. Entrent par exemple dans cette catégorie le décret de convocation des électeurs pour une élection donnée, l’acte de fusion de communes, l’ouverture d’un concours administratif, le décret de dissolution d’un conseil municipal, l’acte de classement d’un site naturel, la déclaration d’utilité publique ou encore la déclaration de l’état de catastrophe naturelle. L’approche du juge se fait alors au cas par cas. Leur régime juridique est proche de celui de l’acte individuel sans toutefois s’y superposer.
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