La question de l’étendue des pouvoirs de police est fondamentale dès lors que la police administrative a par principe pour objet de limiter les droits et libertés des individus afin de protéger l’ordre public. Si le pouvoir de police est l’archétype du pouvoir discrétionnaire, son exercice n’est toutefois pas arbitraire et répond à un régime spécifique (A). L’autorité de police est d’ailleurs, dans certains cas, obligée d’agir (B). Dans d’autres cas, des circonstances exceptionnelles peuvent amener une extension de ses pouvoirs (C).
Le régime des pouvoirs de police
Comme tout acte administratif unilatéral, les mesures de police administrative sont soumises au principe de légalité (1). Leur impact presque inhérent sur les droits et libertés entraîne également des limites qui leur sont plus ou moins propres (2).
Les conditions générales de légalité des mesures de police
Une mesure de police administrative est un acte administratif unilatéral qui doit respecter les conditions de légalité des actes administratifs, sauf à encourir une annulation dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, notamment :
- Compétence : seule l’autorité de police compétente peut adopter une mesure de police en fonction de la situation donnée. Il peut être nécessaire de savoir si la mesure en cause est une mesure de police générale ou de police spéciale car l’autorité de police compétente n’est pas forcément la même.
- Formes et procédures requises : celles-ci peuvent changer suivant le type de police. Si nous sommes face à une mesure de PS, le texte qui l’institue peut prévoir une procédure spécifique. Les mesures de PG à caractère individuel (c’est-à-dire visant nommément une ou plusieurs personnes) et défavorables doivent être motivées par écrit et de façon précise (L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration). Si ce n’est pas le cas, la mesure pourra être annulée.
- But poursuivi : le but doit toujours être l’ordre public, entendu de manière générale (PG) ou avec un objectif plus précis prévu par le texte instituant une PS (par exemple, la prévention des atteintes aux biens et aux personnes pour la police spéciale des immeubles menaçant ruine). Tout autre but manifeste l’existence d’un détournement de pouvoir (CE, 1927, Bellescize : est illégale une réglementation limitant l’usage de la voie publique uniquement pour réduire les coûts d’entretien).
- Motif invoqué : le motif justifiant la décision doit être le risque de trouble à l’ordre public (ou le motif prévu par le texte de PS). Le juge va apprécier le respect de ce motif au regard des circonstances locales, la mesure doit ainsi être adaptée à ces circonstances.
Le respect des libertés fondamentales comme limite aux pouvoirs de police
La mise en œuvre des pouvoirs de police se traduit par une limitation des libertés des individus. Or la plupart des libertés sont protégées par la constitution et par les conventions internationales et seul le législateur peut en principe les restreindre (article 34 de la Constitution de 1958). Néanmoins, il est admis par le Conseil d’État (CE, 1978, association comité pour léguer l’esprit de la résistance) comme par le Conseil constitutionnel (CC, 1987, Nature juridique de dispositions du code rural et de divers textes relatifs à la protection de la nature) que la Constitution « n’a pas retiré au chef du gouvernement les attributions de police générale qu’il exerçait antérieurement en vertu de ses pouvoirs propres et en dehors de toute habilitation législative » ; en outre le juge constitutionnel fait des nécessités de l’ordre public un objectif constitutionnel permettant de restreindre les libertés fondamentales.
Les autorités de police peuvent donc prendre des mesures générales et des mesures individuelles au titre du maintien de l’ordre public mais elles doivent concilier le maintien de l’ordre public et le respect de ces libertés, ce que le juge pourra contrôler.
En matière de pouvoir de police comme en d’autres matières, le contrôle du juge est l’un des remparts contre la transformation possible d’un pouvoir discrétionnaire en un pouvoir arbitraire. La jurisprudence administrative a ainsi fixé de nombreuses limites à leur utilisation, interdisant notamment la substitution d’un régime préventif à un régime répressif (a) et développant un contrôle toujours plus étroit de leur mise en œuvre (b).
L’interdiction de substituer un régime préventif au régime répressif
En 1951, face à un arrêté municipal qui imposait une procédure d’autorisation préalable pour photographier sur la voie publique de la commune, le Conseil d’État estime que le maire avait substitué un régime préventif au régime répressif et il annule l’arrêté (CE, 1951, Daudignac).
Contrairement aux apparences, le régime répressif (régime de droit commun) est plus favorable que le régime préventif quant à l’exercice des libertés. Soumettre l’exercice d’une liberté à un régime répressif signifie que les individus ne sont soumis à aucun contrôle a priori, seuls les abus pourront a posteriori faire l’objet de poursuites. Certains droits et libertés relèvent constitutionnellement d’un tel régime, telles la liberté d’association (CC, 1971, Liberté d’association) ou la liberté de la presse (CC, 1984, Entreprises de presse).
Un régime préventif est un régime qui soumet l’exercice d’une liberté à un contrôle préalable de l’administration soit par le biais de l’obligation de déposer une déclaration préalable de l’intention d’user de sa liberté (manifestation), déclaration qui pourra être contrôlée et conduire à une interdiction, soit en instituant une procédure d’autorisation préalable auprès de l’administration. En vertu de l’article 34 de la Constitution, le régime préventif ne peut être mis en place que par la loi et se traduit par la création d’une police spéciale. On le trouve notamment en matière de communication audiovisuelle, de machines à sous dans les casinos ou encore de professions réglementées.
Un contrôle variable du juge sur l’usage des pouvoirs de police
En matière de contrôle des mesures de police, le juge opère selon une approche graduée (nous reviendrons plus en détail sur cette question au chapitre sur le recours pour excès de pouvoir).
Depuis 1933, il affirme que les mesures de police générale qui restreignent les libertés publiques doivent être parfaitement adéquates au risque de trouble à l’ordre public (CE, 1933, Benjamin). Dans cette affaire, le maire avait adopté un arrêté interdisant une réunion publique car des manifestations d’opposants étaient prévues. Le juge a annulé l’interdiction de cette réunion, considérant que le maire aurait pu prendre d’autres mesures moins attentatoires à la liberté de réunion (tels convoquer des renforts de police ou imposer la tenue de la réunion dans un endroit plus sécurisé).
Le juge exerce ici un contrôle dit maximal, c’est-à-dire qu’au-delà du contrôle de l’exactitude matérielle des faits et de la qualification juridique, il vérifie que la mesure est parfaitement adéquate et strictement nécessaire aux circonstances qui la motivent. Ce contrôle strict implique alors d’examiner si une mesure moins contraignante ne pouvait pas être adoptée.
Pour les autres mesures de police générale, c’est-à-dire celle qui ne sont pas attentatoires à une liberté publique, ce contrôle est dit normal. L’adéquation entre la mesure et les faits n’a pas à être parfaite mais simplement proportionnée. Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce contrôle normal inclut aujourd’hui un triple test, à savoir une analyse du caractère adapté, nécessaire et proportionné de la mesure. En pratique, il est souvent difficile de différencier entre les trois éléments de ce test, qui se rapproche également très souvent du contrôle maximal (la différence entre le simplement proportionné et le strictement proportionné n’étant pas des plus simple).
Pour les mesures de police spéciale, le juge considère que dès lors que le législateur crée un régime de police spéciale, c’est qu’il envisage l’activité donnée comme particulièrement susceptible de porter atteinte à l’ordre public. Le juge laisse alors une marge de manœuvre un peu plus importante à l’autorité de police. Là encore, deux niveaux de contrôle s’appliquent suivant l’atteinte ou non à une liberté fondamentale.
Dès lors que la mesure de police spéciale porte atteinte à une telle liberté, le juge effectue un contrôle normal. Alors qu’il n’effectuait jusque-là qu’un contrôle restreint, il a en effet admis la possibilité d’un tel contrôle normal en 1975 dans une affaire concernant la police spéciale du cinéma (CE, 1975, société Rome-Paris films). Depuis cette date et sous la pression de la Cour européenne des droits de l’Homme, il a étendu le champ d’application de ce contrôle normal à l’ensemble des mesures de police spéciale attentatoires à une liberté (CE, 1997, association Ekin, en matière de police des publications étrangères ; CE ass., 1991, Babas et Belgacem, en matière de police des étrangers).
En revanche lorsqu’il n’y a pas de liberté invoquée le contrôle reste en principe restreint (CE, 1975, ministre de l’Intérieur c. Pardov), même si l’évolution de la jurisprudence depuis les années 2000 montre que le contrôle normal sur les mesures de police spéciale tend à se généraliser.
Pour résumer, le contrôle du juge varie en principe selon l’approche suivante :
- Contrôle maximal : mesure de PG restreignant une liberté fondamentale ;
- Contrôle normal : mesure de PS restreignant une liberté fondamentale, ou toute autre mesure de PG ;
- Contrôle restreint : toute autre mesure de PS (ce niveau de contrôle est de moins en moins utilisé en matière de police).
L’obligation d’agir
En principe, l’autorité de police administrative est libre d’agir pour répondre à une menace à l’ordre public. Dès lors que les troubles à l’ordre public sont toujours situés et concrets, il est difficile pour des textes de prévoir à l’avance la conduite exacte à tenir par l’administration dans chaque cas possible.
Toutefois, cette liberté d’agir n’a pas empêché le développement d’une obligation d’agir de l’autorité publique face à certains troubles à l’ordre public qu’elle devrait faire cesser. En 1959, le juge a ainsi considéré que le refus du maire de réglementer le camping dans sa commune était illégal dès lors qu’existait un risque grave d’accident qui aurait dû le conduire à agir (CE, 1959, Doublet). Le juge se fonde alors sur l’hypothèse d’un péril grave pour qualifier cette obligation d’action de l’autorité de police.
Depuis les années 1990, une évolution doit être remarquée avec un juge qui admet de plus en plus facilement l’illégalité pour défaut d’action des autorités de police. Par exemple, en 1992, il annule refus du maire de prendre des mesures pour remédier aux nuisances sonores d’un club de tir, malgré l’absence de péril grave (CE, 1992, ville de Chevreuse).
Dans tous les cas, l’absence d’une obligation d’agir n’empêche pas de mettre en jeu la responsabilité de l’autorité de police si cette inaction a entraîné un dommage. Il en est ainsi par exemple lorsque la commune a tardé à aménager une voie d’accès pour les secours à un lieu de baignade très fréquenté (CE, 1983, Lefebvre) ou lorsque le maire n’agit pas contre les nuisances sonores liées à l’utilisation d’un terrain de sport (CE, 2003, Commune de Moissy-Cramayel).
Plus récemment, le juge a également découvert une obligation d’agir des autorités de police en matière de prévention des traitements inhumains et dégradants. Lorsque la carence de l’autorité de police expose des personnes à un traitement contraire à l’art 3 CEDH, elle doit agir (CE, 2015, ministre de l’Intérieur et Commune de Calais : sur l’obligation d’entreprendre des travaux dans le camp de migrants de Calais afin de permettre la collecte des ordures et l’accès aux services d’urgence et à des points d’eau et des sanitaires).
Aujourd’hui, c’est dans le cadre environnemental que se jouent nombre des nouveaux contentieux en matière de carence de l’action publique. S’il n’existe pour le moment pas d’ « ordre public écologique » susceptible de fonder une mesure de police, c’est sur le fondement de l’ordre public sanitaire que se jouent les affaires. En juillet 2020 (CE, 2020, Les amis de la Terre – France et al.), le Conseil d’État a enjoint l’État d’agir contre une pollution de l’air dans plusieurs départements, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. En août 2021 (CE, 2021, Les amis de la Terre – France et al.), constatant l’absence d’évolution significative sur la question, le juge du Palais Royal a condamné l’État à payer cette astreinte aux associations engagées dans ce contentieux et reconduit l’astreinte pour une nouvelle analyse début 2022.
Les extensions exceptionnelles des pouvoirs de police
Il existe en matière d’action de l’administration un possible « état de nécessité » qui autorise l’autorité administrative à adopter des mesures qui, en période normale, seraient considérées comme illégales, dès lors que ces mesures visent à la finalité même de l’administration : la protection de l’intérêt général. Au-delà de la notion traditionnelle d’urgence, cette nécessité s’exprime à travers l’idée prétorienne des circonstances exceptionnelles (1), qui au-delà d’une extension des pouvoirs de l’administration peut également autoriser l’application de régimes juridiques d’exception : état de siège (2), état d’urgence (3) et déclenchement de l’article 16 de la Constitution de 1958 (5). Durant la pandémie de COVID-19 (2020-2022), une nouvelle forme d’état d’urgence a temporairement été créée : l’état d’urgence sanitaire (4).
Les circonstances exceptionnelles
La théorie des circonstances exceptionnelles est une création jurisprudentielle née avec la Première guerre mondiale. Ces circonstances permettent de considérer comme légales des mesures qui en temps normal ne le seraient pas. En temps de circonstances exceptionnelles, le comportement de l’administration est alors jugé non pas au regard de la légalité ordinaire, celle applicable en temps normal, mais au regard d’une forme de légalité extraordinaire adaptée aux circonstances, même si aucun texte ne prévoit cette extension (CE, ass., 1943, Commeyne).
La première étape dans le contrôle passe par la vérification par le juge de la réalité de ces circonstances. Elles doivent ainsi revêtir un caractère de gravité, d’anormalité et d’imprévisibilité. Sont ainsi reconnues par le juge comme des circonstances exceptionnelles :
- La guerre (CE, 28 juin 1918, Heyriès et CE, 28 février 1919, dames Dol et Laurent) :
- Dans la première affaire, M. Heyriès, un agent public, est révoqué sans communication préalable de son dossier. En 1914 un décret avait en effet suspendu l’obligation de communication préalable des dossiers avant sanction. Heyriès estime que ce décret est illégal mais le juge affirme au contraire qu’il est légal du fait des circonstances exceptionnelles de la guerre.
- Dans la deuxième affaire, des recours ont été introduits par deux prostituées contre des arrêtés du préfet maritime interdisant aux cafés de servir à boire aux prostituées et à celles-ci de tenir un débit de boisson. Là encore, le juge n’invalide pas les actes en cause du fait des circonstances exceptionnelles de la guerre, ces mesures étant justifiées par une peur de l’espionnage.
- Des manifestations nationales très importantes (CE, 12 juillet 1969, chambre de commerce et d’industrie de saint Etienne) : dans cette affaire sont en cause les évènements de mai 1968. Le juge parle des circonstances particulières de l’époque pouvant dispenser l’autorité compétente de procéder aux consultations exigées par les textes en vigueur.
- Des catastrophes naturelles (CE, 1983, Rhodes : à propos d’une activité volcanique d’une intensité particulière en Guadeloupe en 1976).
Ensuite, pour que des mesures illégales puissent être justifiées au nom de circonstances exceptionnelles, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- Les autorités doivent être dans l’impossibilité d’agir en respectant la légalité ordinaire (CE, 21 février 1947, Ginestous) ;
- Elles doivent agir en considération d’un intérêt essentiel, tel que l’intérêt de la défense nationale, le maintien de l’ordre public ou le fonctionnement continu du service public (CE, 28 juin 1918, Heyriès) ;
- L’acte administratif adopté doit être proportionné à la situation (CE, 1949, Laugier).
Au-delà de cette extension prétorienne des pouvoirs de police en cas de circonstances exceptionnelles, le législateur et le constituant sont intervenus pour organiser l’action de l’administration en période de crise.
L’état de siège
L’état de siège est au départ organisé par la loi du 9 août 1849, aujourd’hui codifiée aux articles L. 2121-1 à 8 du Code de la défense et à l’article 36 de la Constitution de 1958. Jamais utilisé sous la cinquième République, il l’a été auparavant pour des troubles intérieurs : la révolution de 1848, la Commune de Paris en 1871, les deux guerres mondiales.
L’état de siège ne peut être déclaré qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection. L’article 36 de la Constitution prévoit que cette déclaration est faite par décret en Conseil des ministres, et que sa prorogation au-delà de 12 jours doit être autorisée par le Parlement.
Il a pour conséquence de substituer les autorités militaires aux autorités civiles pour tout ce qui relève du maintien de l’ordre public et de l’exercice des pouvoirs de police générale. De plus, ces pouvoirs de police sont élargis pour permettre aux autorités militaires d’interdire des publications, des réunions, de procéder à des perquisitions de nuit… Enfin, les tribunaux militaires deviennent compétents pour les crimes et délits contre la sûreté de l’État.
L’état d’urgence
L’état d’urgence est un régime prévu initialement par la loi du 3 avril 1955 au moment de la guerre d’Algérie et qui peut être déclenché sur tout ou partie du territoire. Cette loi a été modifiée en 1960, mais surtout par les lois des 20 novembre 2015 et 21 juillet 2016 à la suite des attentats terroristes commis à Paris.
Depuis 1955, l’état d’urgence a été proclamé plusieurs reprises sur le territoire, parfois pour des périodes longues (2 ans à la suite de prolongations diverses entre 1961 et 1963, puis entre 2015 et 2017). Il l’a d’abord été à l’occasion de la guerre d’Algérie, puis pour des troubles violents sur le territoire métropolitain ou en Outre-mer, puis de novembre 2015 à novembre 2017, suite aux attentats perpétrés à Paris (le législateur en ayant alors autorisé la prorogation à 6 reprises). En mai 2024, il est proclamé sur le seul territoire de la Nouvelle-Calédonie suite à des émeutes ayant conduit au décès d’un gendarme.
Le régime de l’état d’urgence est assez proche de celui de l’état de siège. La grande différence entre les deux est que l’état d’urgence n’entraîne pas de transfert des pouvoirs de police aux autorités militaires, ni de compétence des tribunaux militaires pour certains crimes.
Déclenchement
C’est un décret en Conseil des ministres (donc signé par le Président de la République) qui décide de l’état d’urgence, en revanche, toute prolongation au-delà de 12 jours ne peut être que le résultat d’une loi. La loi de 1955 précise que l’état d’urgence ne peut être déclenché que : en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, ou en cas d’évènements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique (art. 1er de la loi de 1955). Il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire.
Ces conditions assez floues de déclenchement laissent une certaine marge de manœuvre au président de la République et au gouvernement, comme le reconnaît le Conseil d’État en 2005 (CE, 14 novembre 2005, ord. réf., Rolin). Le juge peut contrôler le déclenchement de l’état d’urgence (ce n’est pas un acte de gouvernement), mais ce contrôle est restreint à l’existence d’une menace et à l’erreur manifeste d’appréciation des faits.
Extension des pouvoirs de police pendant l’état d’urgence
Lorsque l’état d’urgence est déclenché, les pouvoirs des autorités de police peuvent être étendus plus ou moins largement, selon ce que prévoit un décret du Premier Ministre (venant compléter la déclaration d’état d’urgence résultant du décret pris en conseil des ministres, et susceptible de contrôle par le juge administratif). Ainsi :
- les préfets peuvent réglementer la circulation et le séjour des personnes dans leur département, et donc interdire la présence de personnes dans certains lieux (art. 5 Loi 1955) ;
- le ministre de l’Intérieur peut prononcer des assignations à résidence (art. 6 Loi 1955). La loi du 20 novembre 2015 a modifié le régime des assignations à résidence en l’élargissant à toute personne à l’égard de laquelle il existe des « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Ce régime n’a alors pas été utilisé que pour des personnes qui présentaient une menace en lien avec l’état d’urgence (terrorisme), mais également pour l’assignation à résidence de militants écologistes pendant la COP21 (des assignations validées par le Conseil d’État et par le Conseil constitutionnel saisi d’une QPC en décembre 2015) ;
- le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent ordonner la fermeture provisoire de lieux de spectacles, débits de boissons et autres lieux de réunion (y compris des lieux de culte), de nature à provoquer ou entretenir le désordre (art. 8 Loi 1955). Entre 2015 et 2017 plusieurs mosquées considérées par les autorités comme radicales ont par exemple fait l’objet de telles mesures de fermeture administrative ;
- les autorités administratives ont la possibilité d’interdire les manifestations sur la voie publique si elles affirment ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité (art. 8 Loi 1955) ;
- le ministre de l’intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions administratives en tout lieu ou presque et à toute heure lorsqu’existent des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. À cette occasion, les policiers peuvent saisir et copier des données informatiques (sous réserve de l’autorisation du juge administratif des référés)
Contrôle du juge administratif sur les mesures prises
Outre le contrôle opéré sur le décret de déclaration de l’état d’urgence, le juge administratif admet aujourd’hui de contrôler le décret du Premier ministre concernant l’étendue du renforcement des pouvoirs de police durant l’état d’urgence en exerçant un contrôle normal sur cette décision (CE, ass., 2006, Rolin et Boisvert).
Il admet également aujourd’hui d’exercer un contrôle normal sur les mesures particulières prises sur le fondement de ces décrets : alors qu’initialement, le Conseil d’État refusait de contrôler les mesures adoptées sur le fondement de l’état d’urgence (CE, 1956, Keddar), il est passé à un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation des faits (CE, 1985, Dagostini) pour aujourd’hui faire un contrôle normal de proportionnalité des mesures (CE, 2015, Cédric D.).
L’état d’urgence sanitaire
Pour faire face à l’épidémie de COVID-19, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, inséré aux articles L. 3131-12 et s. du Code la santé publique. Distinct de l’état d’urgence prévu par la loi de 1955, il ne remplace pas non plus la police spéciale de l’urgence sanitaire, créée par la loi du 9 août 2004 au profit du ministre de la Santé (L. 3131-1 et s. du Code de la santé publique).
L’état d’urgence sanitaire n’est applicable qu’en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. C’est un régime juridique temporaire introduit dans le code de la santé publique de façon provisoire, initialement jusqu’au 1er avril 2021, puis jusqu’au 31 décembre 2021 depuis la loi du 15 février 2021. Il a été abrogé par la loi du 30 juillet 2022. Toutefois, certaines des dispositions adoptées dans le cadre de cette procédure ont aujourd’hui été retranscrites au sein de la police spéciale de l’urgence sanitaire (Mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement prévues aux nouveaux articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du Code de la santé publique).
L’article 16 de la Constitution
Utilisé une seule fois depuis 1958, du 23 avril au 29 septembre 1961, à la suite du putsch des généraux en Algérie, et en même temps que l’état d’urgence, l’article 16 de la Constitution est inspiré de l’état de siège et permet au président de la République de s’attribuer des pouvoirs spéciaux si deux critères cumulatifs sont réunis :
- Une menace grave et immédiate sur
- les institutions de la République, ou
- l’indépendance de la nation, ou
- l’intégrité du territoire, ou
- l’exécution des engagements internationaux.
- Et une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels.
Si ces conditions sont réunies, la décision de déclencher l’article 16 appartient au Président de la République seul, sans qu’un contrôle du juge soit possible, cet acte étant un acte de gouvernement (CE, 2 mars 1962, Rubin de Servens).
Une fois l’article 16 déclenché, le Président peut intervenir dans le domaine législatif. Pour le contrôle de ces mesures, il faut alors distinguer dans quel domaine elles sont prises :
- soit la mesure est prise dans le domaine législatif, c’est alors un acte législatif et le Conseil d’État ne peut pas le contrôler ;
- soit la mesure est adoptée dans le domaine réglementaire, c’est en ce sens un acte administratif et le contrôle du Conseil d’État est possible.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, après 30 jours d’exercice de ces pouvoirs exceptionnels, chaque président des assemblées, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel afin de lui demander d’examiner si les conditions justifiant ces pouvoirs de crise sont toujours réunies. Après 60 jours, le Conseil procède de plein droit à cet examen sans avoir besoin d’être saisi.
Les pouvoirs de police peuvent donc être particulièrement étendus en période exceptionnelle, ce qui pose à la fois le problème d’assurer un contrôle efficace sur les mesures prises et celui de la tendance à la pérennisation des périodes exceptionnelles et donc de l’extension de ces pouvoirs sur le long terme.
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