Elections présidentielles… idées autour du mode de scrutin dit australien

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    Depuis quelques temps, quelques bloggers tirent à boulets rouges sur l’institution du Président de la République et son élection au suffrage universel direct, et ce le plus souvent pour de très bonnes raisons (voir Pierre Brunet & Arnaud Le Pillouer ou encore Philippe Sage). Le sujet est presque aussi vieux que la Ve République, voire que l’histoire de la République française (l’on pense bien sûr au référendum de 1962, ou à la peur d’un nouveau Bonaparte). L’objet de cet article ne sera pas de revenir sur la question de l’existence même de l’institution ou de ses pouvoirs (nous avons pu le faire à un autre moment, et reviendrons sûrement dessus plus tard). Nous aimerions poser la question du mode de scrutin, souvent oublié au profit du seul et sacro-saint scrutin majoritaire à deux tours (utilisés en France également pour l’élection des députés). Ce mode de scrutin a tendance à polariser la vie politique autour des grosses structures partisanes, tant la possibilité d’aller au deuxième tour éloigne les chances des « petits » candidats. Associé à un scrutin au suffrage universel direct, au quinquennat et à l’inversion du calendrier électoral (les élections présidentielles avant les législatives), il favorise l’arrivée au pouvoir du chef de la majorité parlementaire, et donc, parmi d’autres conséquences :

    • une hiérarchisation implicite des pouvoirs avec un pouvoir législatif soumis à l’exécutif ;
    • une personnalisation de l’élection présidentielle, car c’est bien un chef de majorité qu’il faut élire ;
    • une apparence de légitimité pour le Président élu (sachant que les votes blancs ne sont pas pris en compte).

    Dans tous les cas, la « puissance » (au sens nietzschéen) démocratique du régime semble suspendue à la personnalité du Président élu. La question est donc de savoir, si, parmi toutes les évolutions qui pourraient améliorer le régime, on ne pourrait pas faire quelque chose au niveau du mode de scrutin. Intéressé par le mode de scrutin dit australien, encore appelé « vote alternatif » ou « scrutin préférentiel », j’ai eu envie de poser la question de sa pertinence pour une élection présidentielle.

     


    Présentation du vote alternatif

    Actuellement utilisé en Australie, en Irlande, à Nauru et dans les îles Fidji, ce mode de scrutin vise à diminuer la tentation du vote utile, ce vote pour le candidat le moins éloigné de ses idées qui a le plus de chance de gagner. Il favoriserait normalement une meilleure expression des idées réelles des électeurs, et de ce fait, la mise en oeuvre effective d’un multipartisme. Il fonctionne selon le principe suivant : c’est un scrutin uninominal à un tour dont la particularité est que l’électeur doit classer les candidats par ordre de préférence (tous ou en partie, suivant la formule choisie préalablement). Si un candidat obtient la majorité des voix (de rang 1), il est élu, sinon, on élimine celui qui a le moins de voix et on reporte les préférences des gens qui ont voté pour lui vers les autres candidats, selon leurs préférence exprimée en 2e choix. Après cet exercice, si un candidat obtient la majorité des voix, il est élu, sinon on continue… Et ainsi de suite…

    Un petit exemple permettra peut-être de mieux comprendre. Prenons une élection où quatre candidats sont en compétition (A, B, C et D) et 100 électeurs sont chargés de voter. A, C et D sont plutôt classés à gauche (par ordre croissant de « gauchitude »), tandis que B est classé à droite (mais avec des affinités au centre). Les électeurs font donc leur choix et les résultats peuvent être présentés de la manière suivante :

    • 1e rang (avant toute opération) : A : 26 voix / B : 41 voix / C : 19 voix / D : 14 voix (aucun vote blanc) : aucun candidat n’obtient donc la majorité de 51 voix. On doit alors éliminer le candidat avec le moins de voix, soit D, et reporter ses 14 voix en fonction des préférences de ses électeurs. Les 2e choix de ces 14 personnes donnent : A : 2 voix, B : 1 voix, C : 11 voix.
    • 2e rang : A : 28 voix (26 + 2 ) / B : 42 voix (41 + 1) / C : 30 voix (19 + 11) : aucun candidat n’obtient la majorité de 51 voix. On continue donc en éliminant celui qui dispose du moins de voix. Une surprise apparaît ici : le candidat de gauche, majoritaire en rang 1 (A, avec 26 voix), n’a pas su obtenir les voix des électeurs de D qui se sont plutôt tournés vers C. Il se retrouve en 3e position ici et est donc éliminé. Les voix de ses électeurs sont donc reportées sur les 2 autres candidats en fonction de leurs préférences, avec la particularité que pour les 2 électeurs qui avait voté pour D en 1e choix, et A en 2nd choix, on regarde quel est leur 3e choix. On obtient les reports suivants : B : 10 (A) + 0 (D) ; C : 16 (A) + 2 (D).
    • 3e rang : B: 52 voix (42 + 10) / C : 48 voix (30 + 18) : le candidat B obtient donc la majorité des voix et est élu. Ce dernier « tour » est intéressant en ce sens où l’on se rend compte que 38 % des électeurs de A (candidat de gauche majoritaire au 1 tour) ont reporté leurs voix vers B (candidat de droite), peut-être pour éviter que des candidats plus à gauche ne soient élus. Mais le scénario aurait pu être différent, voire même permettre l’élection d’un candidat à gauche de A (C en l’occurrence qui n’a été battu que de 3 voix).

    On remarque que l’intérêt de ce mode de scrutin est, normalement, de favoriser des relations électorales de points de vue, plutôt que des alliances tactiques. L’influence partisane devrait en théorie être moins prégnante, même si les partis ont tendance à présenter des listes de préférence à leurs électeurs (leur indiquant pour qui voter en second choix).

     

    Implications d’un tel scrutin pour l’élection présidentielle

    Quel serait l’intérêt d’un tel mode de scrutin pour les élections présidentielles ? Changerait-il dans les faits quelque chose aux critiques qui sont adressées à cette institution et à son mode de désignation ? Pour tout vous dire… il ne changerait pas grand chose en théorie : nous serions toujours face à une élection à connotation providentielle (pour reprendre les termes de Pierre Brunet et Arnaud Le Pillouer) qui tend à porter un homme au pouvoir, comme on appelait un dictateur de ses voeux dans la Rome républicaine en cas de crise exceptionnelle (à ne pas confondre à l’époque avec le tyran ou le despote, la dictature étaient une magistrature légalement définie). Nous serions toujours face à une fonction disposant de grands pouvoirs, sans  une grande contre-partie en matière de responsabilité. Le Président peut ainsi défaire sans être défait, comme Jacques Chirac nous l’a montré en 1997 (avec un résultat que François Baroin a récemment qualifié d’effraction…). En fait, aucune des critiques formulées par ces deux auteurs ne peut trouver sa réponse dans le choix du mode de scrutin, et pourtant, c’est sur ce point que porte leur attaque.

    L’intérêt d’un mode de scrutin à l’australienne ne pourrait se révéler qu’avec une véritable réforme des institutions, avec un Président qui comprend que le plus grand pouvoir n’est pas de faire obéir quelqu’un à un ordre, mais avant tout de donner envie de suivre ses conseils. Je rêve, sûrement naïvement, d’un président médiateur, centre d’impulsion, laboratoire d’idées. Et dans ce cas, ce mode de scrutin est intéressant, car il peut permettre de choisir celui qui fait le plus consensus, qui regroupe réellement le plus de voix derrière lui. Mais, dans le système actuel, il pourrait encore renforcer la « légitimité » du Président élu et donc accentuer d’autant plus les problèmes que nous soulignons en introduction.

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