Alfred Von Verdross, « Règles générales du droit international de la paix »

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    Pour ce nouvel article de la rubrique des Fondateurs, j’ai souhaité me tourner vers un peu de théorie du droit. Je livre donc à votre lecture ce texte de Alfred Von Verdross de 1929. Cet extrait est intéressant en ce sens où il nous force à réfléchir sur la place de la science juridique dans la formation et l’évolution du droit international. Verdross a ce mérite de distinguer deux fonctions dans la science juridique : l’une dite  « créatrice », et l’autre dite « reconstructive ».

    Alfred Von Verdross, « Règles générales du droit international de la paix », RCADI, t.30, 1929, pp. 271-518 (extrait des pages 275 à 277, texte complet sur Gallica)

    § 1. — Relations entre le droit des gens et la science de ce droit

    Pour bien comprendre le développement du droit international moderne, il faut remonter à l’origine de la science de ce droit. A première vue, cette constatation peut paraître  étrange et surprenante. Car toute science suppose déjà un objet préexistant, une certaine donnée qu’elle désire analyser.

    Ainsi celui qui voudrait connaître le développement d’un phénomène de la nature, par exemple l’évolution des végétaux ou des animaux, ne serait guère disposé à commencer ses recherches par la naissance de la science de ces phénomènes, à savoir de la botanique ou de la zoologie. Il tentera plutôt d’analyser le développement de ces phénomènes eux-mêmes, phénomènes qui existent avant toutes recherches scientifiques. Celles-ci ne précèdent donc pas les phénomènes de la nature, mais les suivent. Pourquoi donc n’existe-t-il pas la même relation entre le droit des gens et la science de ce droit ? Est-il vraiment possible que dans ce domaine le rapport entre la science et son objet soit inversé ?

    Cette thèse, il est vrai, est combattue par l’école dite positiviste. Pour cette dernière, en effet, la science juridique n’a d’autre but que celui d’analyser les règles de droit positif édictées par une certaine autorité.

    Ainsi pour J.-J. Moser, le premier porte-parole du positivisme pur dans la sphère du droit des gens, la science de ce droit n’a d’autre tâche que de rechercher les précédents de la pratique internationale et de décrire les règles qui en découlent. Son idéal est donc une science qui se contente d’être, en quelque sorte, un ensemble d’archives d’États, programme expressément déclaré par Moser lui-même [NBP : J.-J. Mosers, Programm einer Vôlkerrechtswissenschaft der Erfahrung, dans la Z. ô. R., III, 1922, p. 96 et suiv].

    Mais pour les grands fondateurs de notre science, le domaine de celle-ci est beaucoup plus large. Les coutumes des nations, qui pour Moser et ses successeurs sont l’unique objet du droit des gens, ne forment, d’après les fondateurs, qu’une source secondaire qui suppose déjà des principes primaires lui servant de base.

    En effet-il est facile de comprendre que chaque précédent n’est que l’application d’une idée, soit d’un principe reconnu comme tel par les organes compétents, soit d’une règle qui s’en dégage logiquement.

    Et le grand mérite des fondateurs de notre science consiste précisément dans le fait d’avoir découvert les idées directrices du droit des gens moderne, idées qui entrèrent ensuite, bien que graduellement, dans le cadre de la pratique internationale et fondèrent ainsi le droit des gens positif actuellement en vigueur.

    La science du droit des gens se divise ainsi en deux branches. L’une est pour ainsi dire créatrice, car elle cherche à découvrir les idées capables de régir les relations internationales. L’autre, au contraire, est plutôt reconstructive, car elle suppose déjà la pratique internationale et n’a d’autre but que d’analyser les règles appliquées par elle.

    Ce double aspect est caractéristique, contrairement à ce qu’il en est pour les sciences naturelles, de toutes les sciences sociales qui d’une part sont créatrices, tandis que d’autre part elles n’analysent
    qu’un phénomène social préexistant [NBP : Voir, par exemple, en ce qui concerne les règles de linguistique, W. Eckstein dans la Z. ô’. R., VII, 1928, p. 394 et suiv.].

    Il s’ensuit qu’on n’arrive pas à comprendre les faits sociaux si l’on ne pénètre pas les pensées qui sont à leur base.

    Maintenant notre thèse est claire. Elle soutient seulement que le droit des gens positif est obscur si l’on ne connaît pas ses idées créatrices, développées précisément par les fondateurs de notre science.

    Nous observons ainsi une méthode strictement réaliste, c’est-à-dire une méthode cherchant à embrasser le droit des gens positif avec les idées qui sont à sa base, tandis que le positivisme pur n’en voit souvent que la surface [NBP : Pour dissiper d’avance tout malentendu, nous sommes obligés de noter que cette doctrine, combattue par nous, n’a rien de commun avec la « Reine Rechtslehre » de mon cher maître et compatriote, M. Hans Kelsen. Car cette dernière théorie, par elle-même, ne traite pas du contenu variable du droit, mais de la structure invariable de l’ordre juridique. La partie morphologique (chap. n) de nos cours prouvera combien nous devons à cette théorie, ce qui n’empêche naturellement pas que, sur d’autres problèmes qui dépassent les cadres de la « Reine Rechtslehre », comme par exemple le problème du fondement du droit positif, mes idées diffèrent sensiblement de celles de M. Kelsen].

    En restreignant ainsi les données de notre science, l’école dite positiviste acquiert, en vérité, un caractère dogmatique. Elle se trouve par là, comme nous le verrons plus d’une fois, en pleine contradiction avec la réalité internationale. Néanmoins nous ne combattons pas le positivisme comme tel; nous soutenons seulement qu’il reste incomplet, s’il croit pouvoir faire abstraction des idées qui se trouvent à la base du droit positif au lieu de reconnaître que chaque règle positive n’est, pour ainsi dire, que l’incarnation d’une idée.

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