Le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre V. Poutine est-il légal ?

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    Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du Président russe, Vladimir Vladimirovich Poutine, dans le cadre de la situation en Ukraine, pour les faits spécifiques de déportation et de transfert illégaux d’enfants ukrainiens des régions occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie1.

    Visant pour la première fois le Chef d’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce mandat d’arrêt fait l’effet d’un véritable séisme dans les sphères politique et juridique internationales, certains se demandant si la Cour n’a pas franchi le Rubicon2. Il remet également sur le devant de la scène la question des « immunités » des chefs d’Etat en exercice devant la CPI.

    Dit simplement, la question serait de savoir si Vladimir Poutine bénéficie d’une immunité contre des poursuites devant la CPI ?

    En réponse, il serait logique de ne se référer qu’à l’article 27 du Statut de la CPI qui dispose que :

    1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.
    2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne.

    L’article 27 écartant toute immunité pour les crimes poursuivis par la Cour, Vladimir Poutine ne devrait donc pouvoir en bénéficier.

    Pourtant, la réponse n’est pas si simple et il est nécessaire de faire un petit détour préalable par un peu de droit international pour tenter de résoudre le problème.

    Tout d’abord, rappelons que la Cour pénale internationale est issue d’un traité international (le Traité de Rome) signé à Rome le 17 juillet 1998 et auquel sont aujourd’hui parties 123 Etats. Comme tout traité international, celui ne produit normalement des effets que dans les relations entre les Etats parties, entre ces Etats qui ont donc accepté que son contenu s’impose à leur égard.

    Or, ni la Russie, ni même l’Ukraine ne sont parties au Traité de Rome, ce qui exclut en temps normal toute compétence de la Cour à leur égard. Toutefois, l’Ukraine a explicitement accepté la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire dans le cadre du conflit armé l’opposant depuis 2014 à la Russie3. En vertu de l’article 12 al. 3 de son Statut, la Cour est alors compétente pour les crimes commis sur le territoire ukrainien pour lesquels sa compétence a été acceptée, quelque soit la nationalité des personnes impliquées (principe de compétence territoriale).

    Comprise ainsi, la Cour est une extension du système judiciaire ukrainien, en complément des juridictions nationales, comme le prévoit l’article 1er du Statut de Rome. Elle n’est alors pas une juridiction « réellement internationale » – ou plutôt « universelle » – comme les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda qui avaient tous deux été créés par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est-à-dire au nom et pour le compte de l’ensemble de la communauté internationale.

    Lorsque la Cour n’agit pas sur saisine du Conseil de sécurité de l’ONU (ce qui est prévu par par l’article 13 du Statut), elle n’est qu’une juridiction conventionnelle inter-étatique soumise aux règles du droit international pour tout ce qui touche ses relations avec des Etats tiers, telle la Russie.

    La question des immunités à l’égard des officiels russes n’est alors pas réglée par l’article 27 du Statut mais par les règles conventionnelles et coutumières de droit international.

    Or, en la matière, il existe une immunité dite personnelle (ou ratione personae). Cette immunité est attachée à son bénéficiaire en tant que titulaire de la fonction protégée – par exemple celle de chef d’Etat – et prend fin avec la cessation par la personne desdites fonctions. Elle vise à protéger les représentants des Etats contre toute pression d’un autre Etat par la voie d’un procédure judiciaire. Au niveau des relations bilatérales entre Etats, elle implique donc l’impossibilité pour une juridiction d’exercer sa compétence à l’encontre d’un Chef d’Etat étranger tant que celui-ci est en fonction. En revanche, dès que le Chef d’Etat étranger quitte ses fonctions, il perd par là-même cette protection et redevient un justiciable presque comme les autres pour les juridictions étrangères.

    Dans l’affaire ici en cause, la CPI n’est à l’égard de la Russie qu’une juridiction quasi-étatique devant laquelle Vladimir Poutine bénéficie pour le moment d’une immunité personnelle. A notre sens, le mandat d’arrêt émis à son encontre n’est pas en tant que tel illégal, mais il ne pourra être exécuté tant que Vladimir Poutine est officiellement Président de la Fédération de Russie (ou occupe une fonction le faisant bénéficier d’une immunité personnelle).

    Pour plus d’éléments sur cette question complexe des immunités, je me permets de renvoyer à mon chapitre sur l’article 27 du Statut de Rome publié à la 2e édition du Commentaire article par article du Statut de Rome, sous la direction de Julian Fernandez, Xavier Pacreau et Muriel Ubeda-Saillard.

    1. CPI, Communiqué du presse du 17 mars 2023
    2. Julian Fernandez, « Mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine : la Cour pénale internationale a-t-elle franchi le Rubicon ? », Le Rubicon, 20 mars 2023
    3. Déclaration d’acceptation de la compétence de la CPI, 2015

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