Vu : 1° LA REQUÊTE de la Société générale d’armement…, tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler une décision du ministre du Ravitaillement du 5 déc. 1917, et une décision confirmative d » sous-secrétaire d’Etat du ravitaillement, du 23 mai 1918, déclarant que l’inobservation des ordres reçus a dégagé l’Etat de toute responsabilité à l’égard des risques de guerre courus par les voiliers Neuilly et Eugénie-Fautrel, affrétés par lui et coulés par des sous-marins ennemis ;
Vu : 2° la requête de la Société générale d’armement…, tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler, pour les mêmes motifs, une décision du 10 déc. 1919, par laquelle le commissaire du ravitaillement a : 1° rapporté la décision susvisée du 5 déc. 1917, comme émanant d’un fonctionnaire sans qualité ; 2° opposé une fin de non-recevoir à toute réclamation à lui adressée concernant la part de réparation qui incombait à l’Etat représenté par la commission exécutive des assurances contre les risques maritimes de guerre ; 3° confirmé le refus d’indemnité pour le surplus ;
Vu (les lois des 10 avr. 1915 et 24 mai 1872) ;
CONSIDÉRANT que les deux requêtes susvisées sont connexes et que, dès lors, il y a lieu d’y statuer par une seule décision ;
Cons. d’une part, que, par contrat d’affrètement du 1er mars 1917, le ministre du Ravitaillement a loué à la société générale d’armement les voiliers Neuilly et Eugénie-Fautrel, en garantissant cette Compagnie-contre les risques de la guerre maritime ; qu’il a déclaré, dans ce contrat, prendre ces. risques à sa charge pour la valeur totale de ces bâtiments, fixée à 1.200.000 francs pour chacun d’eux, étant spécifié, toutefois, que la société devait, aux frais de l’affréteur, assurer ces voiliers auprès de la Commission exécutive instituée à cet effet au ministère des Finances, laquelle fonctionne dans les conditions prévues par la loi du 10 avr. 1915 qui, notamment, limite à 80 0/0 de la valeur du navire l’assurance susceptible d’être consentie, au nom de l’Etat, par cette Commission ; qu’il suit de là que la Société générale d’armement est recevable à réclamer au ministre du Ravitaillement la totalité de l’indemnité afférente aux sinistres survenus, sauf à subroger ce dernier dans les droits qu’elle possède » à rencontre de la Commission exécutive en vertu du contrat d’assurances qu’elle a passé, le 14 juin 1917, avec celle-ci ;
Cons. d’autre part, que la Compagnie requérante ne conteste pas que le ministre du Ravitaillement, en la garantissant intégralement contre les risques de guerre courus par les deux voiliers, n’a voulu assumer cette charge que dans les conditions mêmes où ces risques se trouvaient couverts, pour les quatre cinquièmes, par la Commission exécutive des assurances ; qu’il a entendu, notamment, que, si ces navires venaient soit à quitter le port d’embarquement ou un port d’escale contrairement aux instructions des autorités maritimes ou consulaires françaises, soit à ne pas observer, pour leur conduite à la mer, les ordres desdites autorités, l’Etat serait, conformément à l’art. 5 de la loi
susvisée du 10 avr. 1915 déchargé de toute obligation quand le sinistre serait la conséquence de l’infraction commise ;
En ce qui concerne le « Neuilly » :
Cons. qu’avant de partir pour Bordeaux, le 7 juin 1917, le capitaine du trois-mâts Neuilly s’est régulièrement muni des instructions de l’Amirauté britannique à Melbourne et que ces instructions, prises de concert avec le consul de France en cette ville et non modifiées par lui, constituaient, bien que
dénommées simplement « advice », l’ordre prévu par l’art. 5 de la loi du 10 avr. 1915 ; qu’elles prescrivaient au Neuilly de passer par les Açores pour instructions ultérieures ; que si, à la vérité, le capitaine a passé par ces îles, mis en panne dans, la rade de la Horta, le 17 sept. 1917, et demandé, par signal, s’il avait quelque communication à son adresse, il ne pouvait, dés lors qu’aucune réponse ne lui était faite et à supposer même que l’état de la mer rendit malaisée la manœuvre de son bâtiment, se dispenser de se rendre à terre afin d’y recueillir auprès des autorités locales les instructions nouvelles exigées par les instructions initiales ; que, faute de l’avoir fait, il a, dans sa conduite à la mer, commis l’infraction prévue et, en cas de sinistre, sanctionnée par la disposition législative précitée; qu’il résulte, au surplus, des pièces versées au dossier qu’à la date du Neuilly aux Açores, des instructions avaient été données par le ministre de la Marine afin de dérouter tous les voiliers partis d’Australie pour France et de les envoyer des Açores sur Dakar ;
Eu ce qui concerne l’ « Eugénie-Fautrel » :
Cons. que le capitaine de l’Eugénie-Fautfel, parti aussi de Melbourne pour Bordeaux avec les mêmes instructions que celui du Neuilly, rencontra, le 10 sept. 1917, avant d’arriver aux Açores, le navire norvégien Orla qui, par signaux, l’engagea à veiller aux sous-marins autour de ces îles ; que cette indication, qui n’émanait pas d’un navire relevant des autorités françaises ou alliées et muni comme tel de renseignements précis, mais bien d’un navire neutre, ne pouvait, au regard de la loi du 10 avr. 1915, remplacer, eussent-elles trois mois de date, les instructions données par l’Amirauté britannique et autoriser le capitaine à se détourner de la route prescrite ; que la Société requérante ne saurait plus, dès lors, se prévaloir centre l’Etat d’une garantie subordonnée à des conditions qui n’ont pas été observées ;
Cons., sans qu’il soit besoin d’examiner si le fonctionnaire qui a signé pour le ministre, le 5 déc. 1917, la première des décisions rejetant la demande en indemnité formée par la Société générale d’armement avait qualité à cet effet ; qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre du Ravitaillement a, dans les circonstances de là cause, déclaré l’Etat dégagé de toute obligation de garantie en-raison de la destruction du Neuilly et de l’Eugénie-Fautrel par des sous-marins ennemis ;
(Rejet)