Le ZAN est (presque) mort, longue vie à la TRACE

Sommaire

    Alors qu’a été rendue publique sur le site du Sénat le 13 novembre 2024 la « Proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux » (dites proposition de loi TRACE) déposée le 7 novembre, il est pertinent de revenir plus en détail sur le rapport que ses auteurs ont publié un mois plus tôt au nom du groupe sénatorial de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols aux horizons 2031 et 2050. Ce rapport en fonde les dispositions qui ne peuvent ainsi être comprises sans une référence à celui-ci.

    Créé en février 2024, ce groupe sénatorial a ainsi présenté ses conclusions le mercredi 9 octobre 2024, sous la forme d’un rapport d’information déposé par les sénateurs Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc (https://www.senat.fr/rap/r24-019/r24-0191.pdf).

    La lecture de ce rapport illustre de manière symptomatique l’un des enjeux principaux du ZAN, souligné par la SCET dans un rapport publié le lendemain, à savoir que depuis 3 ans le « travail visant à réinterroger nos usages de la ville et des territoires, et nos imaginaires n’a pas été entrepris », faisant nécessairement « rentrer les territoires dans une planification de la contrainte » (https://www.scet.fr/wp-content/uploads/2024/10/LB-ZAN-2024-WEB.pdf, p. 6). Les sénateurs soulignent qu’il existerait ainsi un consensus des acteurs locaux sur « l’objectif de sobriété foncière, mais pas sur la méthode » (p. 6). Ils oublient dans le même temps de mentionner que la méthode (contrainte à moyen et long terme) n’est que le résultat d’une absence d’auto-régulation en matière d’artificialisation, pour de nombreux territoires où développement local rime encore avec consommation foncière débridée.

    En réalité, l’objectif sénatorial est clair, à savoir proposer « des évolutions ciblées des règles relatives à l’artificialisation des sols, afin d’éviter que ces dernières ne pénalisent excessivement l’industrie, l’agriculture et le logement social » (p. 6). Ne pas artificialiser, sauf lorsque que l’on veut artificialiser…

    En ce sens, l’objectif de division par deux de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers à l’horizon 2031 par rapport à la période 2011-2021 est jugé « trop rigide », ne prenant pas en compte « les réalités territoriales » (p. 1).

    Les sénateurs soulignent que l’utilisation de la consommation d’ENAF sur la période 2011-2021 comme référence pénalise certains territoires vertueux sur cette période ou à visage particulier (communes littorales ou de montagne) et « ne permet pas de répondre aux besoins objectifs de foncier induits par le volontarisme d’élus dont les efforts ont permis par exemple, d’implanter sur leur territoire une usine ou d’attirer de nouveaux habitants » (p. 3). Ils le répètent quelques pages plus loin lorsqu’ils affirment qu’une « condition importante serait qu’une consommation significative d’espace, si elle est dûment justifiée, ne pénalise pas la collectivité voisine en grevant sa propre enveloppe d’artificialisation, comme c’est pourtant le cas actuellement » (p. 10) ou qu’ « il devient difficilement défendable que la question de l’artificialisation puisse retarder l’installation d’entreprises, mais aussi d’infrastructures stratégiques ou de services publics : il n’est pas admissible, par exemple, que la construction d’un hôpital, ou même la détermination de sa localisation, soit dépendante au premier chef des enveloppes foncières artificiellement limitées par la loi Climat-résilience d’août 2021 » (p. 11).

    En disant cela, les sénateurs éludent toutefois un point fondamental, voire flirtent avec la fake news.

    L’objectif de division par deux de la consommation d’ENAF ne s’applique pas mécaniquement pour chaque commune. Il n’existe en fait en tant que tel qu’à l’échelon régional (plus particulièrement, c’est un objectif de réduction de 54,5 % afin de prendre en compte les projets d’envergure nationale ou européenne, cf. Arrêté du 31 mai 2024 relatif à la mutualisation nationale de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers des projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur), charge ensuite aux SRADDET et autres schémas régionaux de le « déclin[er] entre les différentes parties du territoire régional » (L. 4251-1 CGCT). L’article R. 4251-3 du CGCT précise que cette territorialisation de l’objectif prend notamment en compte « les efforts de réduction déjà réalisés », « le potentiel foncier mobilisable dans les espaces déjà artificialisés » ou encore « les dynamiques démographiques et économiques prévisibles ». Peuvent être mutualisés à l’échelle régionale les projets d’envergure régionale dont il serait contre-productif de faire peser le poids de l’artificialisation sur une ou plusieurs communes. Tel est le cas de l’exemple de l’hôpital cité par les sénateurs.

    De même, à l’échelon inférieur, celui des SCoT, l’enveloppe territoriale accordée par le schéma régional est potentiellement déclinée par secteur géographique en tenant compte des besoins et potentiels, tout comme « des efforts de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers déjà réalisés par les collectivités compétentes en matière d’urbanisme au cours des vingt dernières années » (L. 141-8 du Code de l’urbanisme).

    Reste en revanche à savoir dans quelle mesure ces critères de territorialisation des objectifs de réduction de consommation foncière sont réellement pris en compte et mis en œuvre lors de la zanification des schémas régionaux et des SCoT. Selon la consultation en ligne menée par le groupe de suivi, 75% des élus estiment que tel n’est pas le cas. Toutefois, le groupe de suivi ne présente aucun élément factuel au soutien de ce sentiment. Aucune analyse des SRADDET et SCoT déjà zanifiés ou en cours de révision n’est faite. Les sénateurs regrettent que les critères de territorialisation soient « peu coercitifs » mais proposent non pas de les rendre coercitifs mais de permettre aux acteurs locaux de s’exonérer au moins en partie d’une réduction de la consommation d’espaces.

    De manière intéressante, le groupe de suivi conteste ensuite la dichotomie entre surfaces artificialisées et surfaces non-artificialisées considérant que c’est une « approche réductrice [qui] ne permet pas de prendre en compte la diversité des qualités et des propriétés des sols et, partant, leur capacité à rendre des services écosystémiques et leurs potentiels agronomiques » (p. 3). Ils en concluent deux choses.

    Tout d’abord, que l’ « on pourrait même imaginer qu’un meilleur ciblage de la protection des terres permette de desserrer la contrainte surfacique du « ZAN » » (p. 4), sous-entendant qu’il serait possible de protéger moins mais mieux. Ils ne présentent toutefois aucun élément permettant de chiffrer une telle consommation d’ENAF « vertueuse », sans vouloir dire « verte »… Sans aller jusqu’à remettre en cause la vision purement anthropocentrée des sénateurs, il est difficile de comprendre où ils voient des espaces non-artificialisés dont la « capacité à rendre des services écosystémiques » serait réduite voire nulle. La formule est ainsi plus rhétorique que réaliste, le pragmatisme affiché cache en réalité une volonté de continuer à faire rimer développement et artificialisation des terres.

    Ainsi, ils promeuvent une auto-régulation locale qui serait « la seule manière de prendre réellement en compte les besoins des territoires […] en invitant chaque collectivité à planifier son développement territorial « sous contrainte ZAN » en justifiant les besoins en foncier nécessaires à son développement et son dynamisme, sans enveloppe limitative préétablie » (p. 10). Or c’est justement parce que l’auto-régulation locale ne fonctionne pas que le législateur est intervenu pour fixer des objectifs précis.

    Ensuite, ils préconisent un retour à une approche par la seule consommation d’ENAF (en lieu et place de celle d’artificialisation à partir de 2031), alors que cette approche n’est pas plus claire, les sénateurs soulignant eux-mêmes que « Plus des deux tiers des élus ayant participé à la consultation en ligne organisée par le groupe de suivi ont ainsi indiqué éprouver des difficultés à déterminer quelles opérations seraient classées comme consommatrices d’Enaf » (p. 5). Au contraire, l’approche par l’artificialisation a le mérite d’une prise en compte de la réalité des sols, ce qui n’est pas le cas avec celle des ENAF.

    Il est ensuite difficile de comprendre comment la mise en œuvre de la stratégie ZAN constituerait selon les sénateurs « un frein à la réalisation d’autres politiques publiques de décarbonation et de préservation de l’environnement, comme le déploiement d’industries « vertes », d’infrastructures de production ou de transport d’énergies renouvelables ou encore le développement de modes de transports décarbonés » (p. 4). Selon eux, les projets de « petites lignes de chemin de fer, postes électriques de moins de 220 kV, sous-traitants d’industries « vertes » » ne seraient pas pris en compte et pourrait ne pas voir le jour. Là encore, ils oublient les mécanismes mis en place par la loi et ses décrets d’application, notamment la mutualisation pour les projets d’envergure régionale ou encore la prise en compte des besoins dans la territorialisation locale des objectifs de réduction. Le problème n’est alors pas tant l’absence de mécanisme qu’un potentiel défaut dans leur mise en œuvre, notamment par les élus en charge des schémas régionaux et des SCoT.

    Sur un point plus technique et de manière intéressante, les sénateurs rappellent à juste titre « les effets pervers de la fiscalité locale, par essence artificialisante » (p. 8). Ils soulignent donc qu’ « il faut impérativement que le coût d’artificialisation d’un sol naturel soit plus élevé que le coût de recyclage d’un sol déjà « artificialisé » [du type friche], ce qui est très loin d’être le cas actuellement » (p. 8) mais ne présente pas d’élément particulier, attendant simplement les résultats de la mission d’information relative au financement du « zéro artificialisation nette » lancée en février 2024.

    Enfin, Le groupe de suivi demande à l’Etat pour l’avant 2031 :

    • Une « Application systématique de la tolérance de 20 % de dépassement de l’enveloppe d’artificialisation mentionnée dans la circulaire ministérielle du 31 janvier 2024 » (p. 7)
    • La création d’un « guichet unique » d’information à destination des élus
    • De « Lever temporairement et de manière ciblée la contrainte « ZAN » pour faire face à l’urgence de la crise du logement et de la crise climatique » (WTF)
      • Par le « décompte de l’artificialisation, jusqu’en 2031, de l’emprise foncière de l’ensemble des implantations industrielles, afin d’accompagner le mouvement de relocalisation et de reconquête de la souveraineté industrielle ».
      • Idem pour les logements sociaux « pour les communes faisant face à la rareté du foncier » (p. 8)

    Au final, et alors que les sénateurs se demandent « comment concilier sobriété foncière, développement territorial, protection des sols, préservation de la biodiversité et des activités agricoles ? » (p. 12), il est clair que leur choix est fait, à savoir celui d’une remise en cause d’un cadre national de préservation des zones encore libre de toute artificialisation.

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