Cachez cette immunité que je ne saurais voir : la CPI et les Chefs d’Etat en exercice
Réunie en Session extraordinaire les 11 et 12 octobre, l’Assemblée générale de l’Union africaine a demandé l’ajournement de la mise en accusation du président et du vice-président kenyans par la Cour pénale internationale. Les membres de cette Assemblée mettent en avant une certaine vision des principes dérivants des droits nationaux et de la coutume internationale pour affirmer l’immunité des chefs d’Etat et de gouvernement en exercice durant leurs fonctions. En ce sens, l’Assemblée a affirmé que :
« Aucune accusation ne peut être engagée ou poursuivie devant une cour ou un tribunal international contre tout chef d’Etat en gouvernement ou quiconque agissant en cette qualité durant son mandat. Afin de préserver l’ordre constitutionnel, la stabilité et de l’intégrité des Etats membres, aucun chef d’État ou de gouvernement en exercice de l’union africaine, ou quiconque agissant ou le droit d’agir en cette qualité, sont tenus de comparaître devant une cour ou un tribunal international au cours de leur mandat »
Cette interprétation est ainsi très favorable au Président kenyan et à son vice-président, mais aussi au Président du Soudan, Omar El-Bechir, accusé pour ce dernier de crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide dans le cadre de la guerre civile au Darfour, et sous le coup d’un mandat d’arrêt international depuis le 4 mars 2009. Mais les membres de l’Assemblée générale de l’Union africaine semblent oublier que le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (1998) dispose d’un article 27 traitant justement du « Défaut de pertinence de la qualité officielle ».
Il est vrai que traditionnellement, les Chefs d’Etat et de gouvernement disposent d’une immunité dite personnelle ou de la fonction qui leur permet de pouvoir exercer leur mandat sans craindre des poursuites, dont parfois le but pourrait être de les déstabiliser politiquement. Dans les relations entre les Etats, cette question est traitée soit par des accords bilatéraux, soit par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961), soit par la coutume internationale.
Toutefois, depuis le procès de Nuremberg des hauts dignitaires nazis, le principe de la justice pénale internationale est justement de pouvoir juger n’importe quel individu accusé des crimes les plus graves : crimes de guerre, crime contre l’humanité, génocide. Et l’article 27 alinéa 2 du Statut de Rome indique justement que « Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ». Aucune immunité ne peut donc empêcher la Cour d’exercer sa compétence à l’égard d’une personne, que cette immunité soit reconnue au niveau international ou au niveau interne.
En 2002, dans l’affaire RDC c. Belgique, la Cour internationale de justice a ainsi pu rappeler que dans les relations entre Etats, les Chefs d’Etat, de gouvernement et les Ministres des affaires étrangères en exercice bénéficient d’une immunité de juridiction pénale et civile totale, ce principe étant reconnu de droit coutumier. Elle a toutefois précisé que des poursuites sont possibles devant les Tribunaux pénaux internationaux – tel celui pour l’ex-Yougoslavie – , car ils sont « établis par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies », et devant la CPI, en raison de son article 27(2).
Pour les Etats parties au Statut de Rome, dont le Kenya, ce texte fait office de loi spéciale venant déroger à la loi générale des immunités. Ainsi tout chef d’Etat, de gouvernement ou toute personne dont la qualité officielle lui offre généralement une immunité ou un privilège de juridiction durant l’exercice de ses fonctions, pourra donc, spécialement, être jugé par la Cour, si l’Etat dont il dépend a ratifié le Statut de Rome.
Concernant le Président soudanais, la situation est différente puisque le Soudan n’est pas partie au Statut. Mais comme c’est le Conseil de sécurité des Nations Unies qui a lui-même soumis la situation au Darfour à la CPI, aucune immunité ne peut jouer (comme pour les tribunaux pénaux internationaux).
Si donc, comme le souligne le Dr Nkosazana Dlamini Zuma, l’Union africaine souhaite agir dans le cadre légal du Statut de Rome, elle doit accepter que des Hautes personnalités puisse être jugées par la CPI. Finalement, et comme précisé justement par l’Union africaine, seule une demande expresse du Conseil de Sécurité des Nations Unies, au titre de l’article 16 du Statut, pourrait permettre de reporter les enquêtes et poursuites pour une durée de 12 mois, renouvelable.
Compte-rendu et documents sur : http://www.au.int/en/content/extraordinary-session-assembly-african-union
Pour plus d’éléments sur l’article 27 du Statut de Rome, je me permets de renvoyer à mon commentaire : Xavier Aurey, « Article 27 », Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Julian Fernandez, Xavier Pacreau (dir.), Pédone, 2012, pp.843-861.
J’ai aimé cet article, je n’avais jamais lu l’article 27 du statut de Rome de la CPI avant, et je me demandais comment cette dernière pouvait-elle demander l’arrestation du président Omar EL-Bechir par les autorité Sud-africaines
J’ai aimé cet article, je n’avais jamais lu l’article 27 du statut de Rome de la CPI avant, et je me demandais comment cette dernière pouvait-elle demander l’arrestation du président Omar EL-Bechir par les autorité Sud-africaines. Toutes mes excuses je voulais écrire "cet article"
Une question importante demeure celle de l’efficacité des conséquences juridiques du défaut d’exécution de l’obligation de coopérer par un État partie au Statut de Rome d’une part, et d’autre part par un État non partie. Je pense que la lutte contre l’impunité au sein de la communauté internationale est mise en mal par certaines pratiques au service des intérêts de puissants.